Qu’est-ce que Star Wars, Simone de Beauvoir et un chocolat chaud ont en commun ? Les Deux Magots, un café-restaurant historique de la capitale, planté en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, et épicentre de la vie culturelle et intellectuelle parisienne depuis plus d’un siècle.
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L’an dernier, après avoir passé l’été à arpenter les lieux emblématiques et touristiques parisiens pour voir s’ils valaient vraiment le détour, j’avais fini mon périple en terrasse des Deux Magots, au soleil avec un Perrier-tranche, avec la ferme intention d’y revenir un soir, pour dîner et vivre la vraie expérience du lieu. Celle qu’ont pu vivre, à leur époque, des Simone de Beauvoir, des Jean-Paul Sartre et autres Paul Éluard.
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“Les Deux Magots a toujours été un lieu de rencontres, et d’échanges intellectuels et artistiques, attirant les esprits brillants qui recherchaient un espace propice à la créativité et aux discussions animées. La réputation culturelle du café, avec son rôle clé dans le mouvement existentialiste en fait un lieu idéal pour les écrivains et les philosophes en quête d’inspiration”, confie Catherine Mathivat, présidente de Les Deux Magots, dont la propriété des lieux revient à sa famille depuis plus de quatre générations. “J’ai grandi entre les murs de cette institution familiale et j’y travaille depuis 30 ans. Il est dans ma famille depuis quatre générations et chaque propriétaire a contribué à son évolution progressive pour en faire un lieu faisant rayonner l’art de vivre à la parisienne, au cœur de Saint-Germain-des-Prés.”
Point de rendez-vous
Coincé entre le Café de Flore et la brasserie Lipp, Les Deux Magots abrite tout un pan de la vie culturelle de la capitale depuis près de 140 ans. Quand l’arrière-grand-père de Catherine Mathivat, Auguste Boulay, est devenu propriétaire des Deux Magots en 1914, la littérature et les arts sont alors en plein essor dans le quartier. Philosophes, peintres et écrivains dont Guillaume Apollinaire, Arthur Rimbaud ou Oscar Wilde commencent à fréquenter assidûment le café pour échanger et débattre sur l’état du monde. “Verlaine y rencontre Mallarmé. Dans les années 1920, André Breton, Louis Aragon et André Derain sont rejoints par Paul Éluard, Pierre Brasseur ou Max Ernst, pour partager leurs extravagantes aventures durant des heures aux Deux Magots”, dit-elle. “C’est également un peu plus tard qu’Ernest Hemingway, correspondant étranger à Paris, tombe sous le charme de Saint-Germain-des-Prés, y fréquentant James Joyce et des artistes américains de la ‘Lost Generation’.”
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Dans “la moiteur de l’avant-guerre”, Saint-Germain-des-Prés se mue en “nombril intellectuel” de Paris. Voilà comment André Gide, André Malraux et Albert Camus y finissaient régulièrement leurs discussions à la terrasse du café-restaurant. “Pablo Picasso y rencontre Dora Maar grâce à Paul Éluard. Après la Libération, Juliette Gréco et Boris Vian sont de véritables icônes du quartier et Jean-Paul Sartre lance la vague existentialiste, s’installant régulièrement aux Deux Magots avec Simone de Beauvoir pour écrire sans relâche durant des heures”, ajoute-t-elle. Plus tard, la légende des Doors, Jim Morrison, fait des Deux Magots l’une de ses adresses favorites durant son exil parisien. De grands auteurs continuent de fréquenter les lieux, notamment des écrivains étrangers attirés par l’aura littéraire du quartier, tels Jorge Luis Borges, Mario Vargas Llosa ou James Baldwin.
Mais l’une des grandes de l’histoire des Deux Magots est sa place dans l’histoire littéraire française. Car les Deux Magots ont joué un rôle essentiel dans le développement du mouvement existentialiste, auquel Simone de Beauvoir était intimement liée. “C’était là que se réunissaient les membres du mouvement. Simone de Beauvoir était une habituée des Deux Magots où elle a écrit notamment son roman Les Mandarins qui reçut le prix Goncourt. Elle aimait se mettre souvent au fond de la salle à gauche pour se concentrer et prendre sa plume pour écrire ses manuscrits, sous le regard curieux de nos statues.” Précisément là où je suis attablé, accompagné de mon amie Louise, vouant un culte sans pareil à l’écrivaine.
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De Jean-Paul Sartre… à Star Wars
Mais si l’on connaît déjà l’héritage littéraire et intellectuel du lieu, qui vient de remettre son prix littéraire, né il y a 90 ans, l’une des plus anciennes distinctions littéraires françaises à Guy Boley pour son roman À ma sœur et unique, on ignore souvent que les Deux Magots ont également servi de décor à l’écriture d’œuvres artistiques plus contemporaines. En effet, c’est ici même que J.J. Abrams, le réalisateur et producteur américain, est venu chercher l’inspiration, en 2014. “Il a travaillé avec son coscénariste, Lawrence Kasdan, à la table des Deux Magots sur le scénario de l’épisode 7 de Star Wars à cette période”, nous souffle la présidente des lieux. Pendant près d’une semaine, ils sont ainsi restés de longues heures aux tables “recherchant les enchaînements, et le dénouement de l’histoire”. “Je me rappelle les avoir vus, rieurs et détendus, sans savoir évidemment ce que ces Américains très fidèles à la maison venaient rédiger sur leurs carnets…”, se souvient-elle.
Mais alors, comment un lieu comme Les Deux Magots parvient-il à mêler et relier ces deux mondes, d’époques et de dimensions si différentes ? Pour Catherine Mathivat, au-delà d’un café-restaurant, “Les Deux Magots est depuis toujours au carrefour de nombreux arts”, dit-elle. “Un lieu de convivialité et de rencontres où nous sommes heureux de voir se croiser, au milieu des ballets des serveurs, des profils de clientèle très variés qui viennent chacun passer un petit moment de vie avec nous : couples, familles, hommes d’affaires et artistes qui se retrouvent aux Deux Magots tous les jours de l’année de 7 h 30 à 1 heure du matin.” Un lieu qui vit mille vies en une seule journée, aussi. “Aux Deux Magots, les artistes peuvent trouver un calme relatif le matin lorsque l’effervescence parisienne n’est pas encore à son comble. Ils peuvent au contraire bénéficier de la frénésie de la capitale dès l’approche de l’heure du déjeuner et jusque tard le soir, profitant des extérieurs et de la vie tourbillonnante de Saint-Germain-des-Prés.”
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Les fidèles, les Parisiens et les autres
La force du lieu est aussi de pouvoir offrir aux clients et aux fidèles différents espaces, certains plus calmes — le “huis clos”, en mémoire à Jean-Paul Sartre, la véranda fermée sur le boulevard, un peu en retrait de la vie du café, ou encore l’écrin de verdure du jardin qui peut inspirer des auteurs et autrices qui recherchent un peu de fraîcheur, avec une vue directe sur le clocher de l’église de Saint-Germain-des-Prés, l’une des plus anciennes de Paris. “Suivant les moments et les espaces, chacun peut donc trouver son inspiration aux Deux Magots, selon son humeur et sa personnalité.” Le lieu peut ainsi autant plaire à des fidèles, à des habitués, à des artistes, qu’à des Parisiens de passage dans le quartier ou à des touristes ayant fait le déplacement exprès. Mais n’est-il pas justement difficile de concilier son attrait touristique avec une clientèle parisienne du quotidien ?
“C’est un enjeu essentiel pour notre maison. Nous sommes dans le cœur des Parisiens depuis 140 ans et très attentifs à rester proches de notre clientèle de proximité. Notre offre de restauration a beaucoup évolué notamment avec l’aide de plusieurs conseillers culinaires pour satisfaire les Parisiens, les plus exigeants. Nous proposons à la fois des plats à déguster sur le pouce, et des incontournables de la cuisine française repensés avec finesse. Nous accordons aussi beaucoup d’attention au service : accueil bienveillant, service attentionné, plaisir sincère et partagé. Nos évènements aussi sont un vecteur de fidélisation à l’image des jeudis du jazz ou du lundi des écrivains, rencontre littéraire mensuelle pour les amoureux de la littérature à Saint-Germain-des-Prés avec un auteur de renom.”
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C’est ainsi qu’un beau jour, des habitués des Deux Magots, provinciaux, Monsieur et Madame Magot, ont eu l’idée, l’envie et le plaisir de venir célébrer leur union lors d’un repas festif au sein du café-restaurant, entre les souvenirs et les âmes fantomatiques de Simone de Beauvoir, Star Wars et d’un bon chocolat chaud.