Mieux pour la mécanique, mieux pour le vendangeur… et mieux pour le rosé : à Marcillac (Gironde), la vendange s’effectue de nuit pour préserver la fraîcheur du raisin, une pratique qui se répand face au réchauffement climatique. À cinq heures du matin, alors qu’une vague de chaleur tardive étouffe la France en ce début septembre, il fait environ 20 degrés Celsius au moment où les vignes sont parcourues et secouées par la “vendangeuse”, un tracteur-portique qui enjambe les rangs.
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“Vendanger la nuit, c’est pour la qualité du raisin, pour la fraîcheur et les arômes”, explique à l’AFP son conducteur, Loïc Malherbe, debout depuis deux heures du matin. “Ce n’est pas désagréable, c’est un autre rythme de vie. […] C’est mieux pour la machine et mieux pour l’homme aussi.” Mieux, aussi, pour la facture énergétique dans un vignoble bordelais en crise, souligne Kees Van Leeuwen, professeur de viticulture à Bordeaux Sciences Agro. Cela permet en effet d’éviter les coûts de refroidissement des grappes.
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“Si on vendange la nuit, la température des grappes est plus basse, surtout dans des journées très chaudes comme cette semaine. Il y a un énorme avantage dans l’utilisation de l’énergie”, fait-il valoir. Une fois les cuves pleines de merlot, le gyrophare de la machine à vendanger s’active et Stéphane Héraud, l’exploitant de la parcelle, positionne sa remorque pour réceptionner les raisins. “Ça fait 15 ans qu’on vendange les blancs et les rosés la nuit, et peut-être qu’un jour on fera aussi les rouges”, observe le viticulteur, président de la coopérative des Vignerons de Tutiac. “Si on vendangeait de jour, on aurait des vins plus oxydés, donc en termes de goût, ce serait beaucoup moins joli.”
Neige carbonique
Stéphane Héraud grimpe sur sa remorque et asperge la récolte avec de la neige carbonique (-80 degrés Celsius) tirée d’une glacière. Là aussi, il s’agit de contenir l’oxydation en réduisant la quantité d’oxygène dans la benne, précise-t-il avant de conduire sept tonnes de baies jusqu’aux chais de Tutiac, première coopérative AOC de France avec 500 vignerons adhérents, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et 190 salariés.
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Remorques et viticulteurs défilent parmi les dizaines de cuves en inox : quelque 500 tonnes de raisins doivent être amenées au pressoir cette nuit-là, l’équivalent de 4 000 hectolitres de vin ou 525 000 bouteilles. Chez les Vignerons de Tutiac, l’accent mis sur le rosé (45 000 hectolitres produits par an, sur un total de 150 000 dans le Bordelais) semble porter ses fruits : l’une des cuvées, labellisée “Zéro résidu de pesticides”, a joué les trouble-fêtes lors d’une dégustation à l’aveugle de la Revue des vins de France, se classant quatrième au beau milieu des rosés de Provence, référence de la catégorie.
“Pour faire des bons rosés, des rosés clairs comme le demande le consommateur, la couleur est un critère“, rappelle Paul Oui, œnologue en chef de Tutiac. “Il faut limiter la migration de la couleur (de la peau) dans le jus et pour ça, plus on ramasse les raisins tôt et frais, plus on arrive à la limiter.” La pratique de la vendange nocturne était déjà “courante” dans des pays chauds, comme l’Australie ou la Californie, mais elle tend à se répandre aussi dans le Bordelais, note Kees Van Leeuwen.
“Sur des blancs et des rosés, on peut imaginer que ça va se généraliser”, relève cet universitaire qui n’exclut pas que le rouge, représentant plus de 85 % du vignoble bordelais, s’y mette aussi car avec le dérèglement climatique, les vendanges deviennent de plus en plus précoces et donc soumises aux fortes chaleurs. C’est ce que confirme Stéphane Héraud : “Je me rappelle, quand j’étais tout petit, voir mes parents vendanger au mois de novembre. L’année dernière, le 30 septembre on avait fini… Le changement climatique, celui qui dit qu’il n’existe pas, il n’est pas viticulteur à Bordeaux”.
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