C’est devenu un grand classique des portraits de chefs et de l’imaginaire collectif des cuisines, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. De Paul Bocuse à Christina Tosi, de Jamie Oliver à David Chang, quel que soit leur âge, leur sexe ou leur pays d’exercice, tous semblent avoir adopté, avec le temps, cette même pose figée, stéréotypée et assez peu originale dans le fond. Mais pourquoi donc ?
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Un récent article du magazine Eater s’est penché sur ce phénomène… qui n’est pas véritablement une invention des chefs et des cuisiniers, mais plutôt un poncif déjà aperçu dans les innombrables portraits d’hommes d’affaires, de politiques ou de chefs d’entreprise. C’est une posture destinée, a priori, pour imposer et laisser transparaître une forme de prestance, de fermeté et une illusion de stabilité et de sérénité. Mais comment les chefs ont-ils fini par l’adopter, eux aussi ?
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Pour répondre à cette question, Eater a interrogé plusieurs photographes pour recueillir leur point de vue. Melanie Dunea, qui a déjà eu la chance de tirer le portrait du très regretté chef-journaliste Anthony Bourdain. “C’est un réflexe qui vient probablement de l’autoprotection et de la mise en place d’une certaine distance entre eux et l’appareil photo. Car lorsqu’un grand objectif d’appareil photo noir se dresse à quelques centimètres de votre visage, cela peut paraître intimidant”, confie-t-elle.
Après tout, qui n’a jamais été un peu crispé au moment d’être pris en photo par un — presque — inconnu ?
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Mais cela pourrait également avoir une symbolique moins glamour et maladroite, selon Mark Bowden, expert en langage corporel. “La pose fait écho au langage de la cuisine professionnelle : agressif et militaire. [Il y a] des ordres, des coups de feu, des brigades et des chefs [avec] de l’acier tranchant entre les mains. Le geste des bras croisés suggère une grande force du haut du corps, une barrière que vous ne pouvez pas franchir”, dit-il “C’est un geste non verbal qui crie : ‘Je suis armé et dangereux.’ Ne me contrarie pas.”
Ne pas savoir où mettre ses mains
Après avoir moi-même eu l’occasion de prendre plusieurs chefs et cheffes en photo, je trouve une autre explication à ce geste qui pourrait davantage s’apparenter à de la maladresse et de l’inconfort. Car la plupart du temps, les chefs et cheffes n’ont pas vraiment l’habitude et l’expérience de la séance photo et ils n’ont jamais vraiment été entraînés à prendre la pose comme peuvent l’être les acteurs, les comédiens, les chanteurs ou d’autres personnalités médiatiques. Un chef, sorti de sa cuisine, n’a souvent que quelques minutes pour prendre la pose, avant de retourner aux fourneaux. Le geste le plus simple, pour dissimuler le fait qu’il ne sait pas quoi faire de ses bras, est ainsi souvent de les croiser naturellement et malhabilement.
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Pour une autre source du milieu qui souhaite rester anonyme — et qui adopte fréquemment ladite pose —, la réponse pourrait se trouver encore ailleurs. Selon lui, elle permettrait de dissimuler un ventre, et un éventuel embonpoint, que le principal concerné ne voudrait mettre en avant sur un support photo qui restera gravé dans le temps, dans les journaux ou sur Internet. Autre théorie ? La paresse de certains photographes qui, peu aptes ou peu enclins à vouloir se creuser la tête, auraient tendance à ce contenter de cette pose passe-partout. “On nous le demande tout le temps, bordel. C’est les photographes qui réclament cette pose, à chaque fois !”, nous confie un autre chef. En résulte une uniformisation et une codification un peu bancale, pas très créative, qui arrange personne et tout le monde à la fois.
Mais tout cela n’enlève pas la portée symbolique présumée du geste. Dans un article de L’Express, plusieurs experts analysaient le geste et le message caché qu’il renfermait. À la différence des bras ouverts, les bras croisés sont l’un des gestes “qui prête le plus à interprétation”. “C’est une posture de confort, mais cela peut également être le signe d’un retrait, d’un repli sur soi. Si les autres la perçoivent comme une fermeture à la discussion, il vaut mieux l’éviter”, soulignait Christine Mercuri, consultante et coach en langage corporel. Si la posture dit déjà beaucoup, la place des bras serait, elle aussi, un autre indicateur majeur. “Les ‘gestiologues’ vont jusqu’à analyser la façon dont l’on croise les bras. Le bras droit se place sur le bras gauche : vous êtes un impulsif et un hyperactif. Inversement le bras gauche domine le bras droit : vous êtes prudent et consensuel”, concluait le magazine.
Conclusion : nul ne sait vraiment pourquoi ces chefs croisent les bras de la sorte — volontairement ou de manière inconsciente —, mais ce qui est certain, c’est que l’on pourrait désormais s’en passer… au profit de poses plus naturelles, ou plus actuelles.
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