La jeune cheffe à suivre (de très près) se cache au bout du bout de la Bretagne

Publié le par Robin Panfili,

Nolwenn Corre est une jeune cheffe étoilée dont vous allez bientôt entendre parler. On est allés la rencontrer pour faire connaissance.

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Aussi loin que les locaux s’en souviennent, les Corre ont toujours été là, face aux vagues, dans le petit hôtel-restaurant qui borde la mer. Les grands-parents, les parents et maintenant les petits-enfants : c’est l’histoire d’une famille qui a posé sa griffe sur la pointe Saint-Mathieu, ce bout de falaise qui marque l’extrémité et la limite de la Bretagne avec le grand large. Parmi eux, il y a la cadette de la famille, Nolwenn Corre, dont le nom devrait résonner de plus en plus fort dans les mois et années à venir.

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Parce que Nolwenn Corre est une cheffe pas comme les autres. Une jeune cheffe qui a bâti sa propre histoire à la force de ses idées et de ses convictions jusqu’à obtenir l’étoile, arrivée à un moment où elle s’y attendait le moins. “Je me suis toujours fixé l’étoile Michelin comme objectif. J’en ai toujours rêvé”, dit-elle. “Je me suis toujours dit que je la voulais avant mes 30 ans, mais elle est arrivée un peu avant.” Et si elle a beau présenter les choses comme d’heureux hasards, cette consécration n’a pourtant rien de fortuit.

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Nolwenn Corre a toujours baigné dans la cuisine, mais c’est loin de ses terres qu’elle s’est construite. D’abord à Quimper, où elle commence ses études, puis à Lannilis, où elle comprend que la cuisine sera sa destinée. Elle passera ensuite par les cuisines de chefs dont la réputation n’est plus à faire, comme Yannick Alléno au temps du Meurice, et Christian Le Squer, alors au Pavillon Ledoyen, avant de s’envoler pour la Corse, pour se retrouver aux côtés de Jean-Luc L’Hourre.

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Mais même à des centaines de kilomètres, l’appel de la Bretagne et son Finistère natal ne l’a jamais quittée. “Rentrer en Bretagne a toujours été une évidence.” En 2015, à 25 ans, elle fait donc ses valises et retourne sur la côte qui l’a vue grandir. “Quand je travaillais en Corse, c’est mon chef de l’époque qui m’a incitée et convaincue de revenir en Bretagne”, confie-t-elle. Alors rentrer, certes, mais dans quel but ? “À ce moment, je n’étais pas vraiment prête à devenir cheffe, mais on n’est jamais prêt à devenir chef. Mon chef m’a dit : ‘Fonce !’, et je n’ai pas hésité longtemps ensuite.”

En débarquant à la pointe Saint-Mathieu, le projet est clair : reprendre le flambeau des cuisines de l’hôtel-restaurant familial. “Il était acté que je rentrais pour devenir cheffe pour succéder à mon père dans les cuisines.” Pour cette grande aventure, elle ne serait pas seule. Si ses parents sont enchantés de la voir rentrer au pays, elle s’est surtout liée à son grand frère, Tanguy, afin de perpétuer l’héritage familial, elle en cuisine, lui dans la gestion du quotidien et la paperasse. “C’était une évidence de travailler avec mon frère. Lui aime tout ce que je n’aime pas faire : la gestion, les comptes, l’organisation… À l’inverse, il m’offre une totale liberté en cuisine.”

“Quand mon frère vient en cuisine pour goûter, il me dit toujours : ‘C’est bon, mais tu sais, moi, j’aime un peu tout…’ Chacun a son domaine, ses limites et sa marge de manœuvre. Il y a un immense respect du travail de l’autre et c’est ce qui nous offre une belle complémentarité.”

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Un tremplin, mais aussi une vraie pression pour la fratrie, livrée à elle-même, ou presque. “Je n’ai jamais eu le sentiment de faire un sacrifice en rentrant à la maison. J’avais envie de rentrer, mais avec un sentiment mitigé.” Le poids de l’héritage, d’abord. “Il y a évidemment la pression de la reprise familiale. Il y a une expression que j’avais en tête et qui me faisait un peu peur : ‘La première génération crée l’entreprise, la seconde la développe et la troisième la ruine.’ Et tu ne veux pas être de la génération qui détruit tout ce qui a été construit auparavant. Tu dois rester fidèle à l’esprit de la maison…”

Par chance, cette charge mentale, bien réelle, sera vite balayée par un avantage précieux dont Nolwenn prend rapidement conscience. “Il y a ce poids de la famille, mais ce n’est qu’un côté de la médaille. L’autre, dont on parle moins dans ces histoires de succession, est bien plus positif : l’accompagnement familial. On bénéficie d’une expertise incroyable et de l’expérience des autres. C’est comme si tu travaillais avec des consultants gratuitement”, sourit-elle. “Beaucoup de chefs rêveraient d’avoir des gens avec autant de connaissances autour d’eux, avec une telle vision du passé et de l’avenir. Tu as la pression de ne pas tout ficher par terre, mais aussi un accompagnement rare et précieux.”

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“On travaillait à quatre, avec mon frère et mes parents. J’ai bénéficié de leur expérience à eux. Ça tient dans des choses toutes bêtes : savoir que tel week-end il y a aura plus de monde que le précédent, qu’un autre sera plus calme, anticiper les rushs… C’est des choses que tu ne vois pas forcément venir lorsque tu débutes.”

Être jeune et légitime

Le nœud que partagent tous les cuisiniers propulsés à un jeune âge à la tête des fourneaux est souvent le même : la légitimité. “C’est normal de ne pas se sentir forcément à sa place au début. Je me demandais si je serais à la hauteur, si je saurais gérer une équipe, des produits”, dit-elle. “Je me suis plu partout où j’ai eu l’occasion de travailler, mais la Bretagne, c’est chez moi. J’avais donc envie de rentrer, mais avec un peu de pression. Mais de toute façon, la pression, je me la mets tout le temps, donc ça ne changeait pas grand-chose. Quoi qu’il en soit, je l’aurais eue partout où je serais allée.”

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Aux commandes du restaurant familial, au beau milieu de sa vingtaine, Nolwenn Corre trouve rapidement ses marques. “Une fois que j’étais en place, je me suis retroussé les manches et j’ai essayé de montrer ce que je savais faire. On dit souvent : c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Et c’est totalement ça. On dit aussi souvent que la cuisine, c’est quelque chose d’artistique, mais c’est de l’artisanat avant tout. Et comme dans tout métier de l’artisanat, il faut montrer ce que tu sais faire, faire tes preuves, arriver sans faire de bruit, et les choses viennent ensuite naturellement.”

Quelques mois après la reprise, la mue de l’hôtel-restaurant débute. Nolwenn et son frère Tanguy suivent le plan qu’ils s’étaient fixé : ouvrir un bistrot comme annexe au restaurant qui, lui, entame sa mue vers une offre plus gastronomique. La capacité du restaurant est réduite à trente couverts, pas un de plus, et un réseau de producteurs, agriculteurs et éleveurs se construit petit à petit. “On a aussi investi dans la cuisine afin d’avancer vers la philosophie iodée que l’on voulait défendre. C’est à ce moment que j’ai pu commencer à m’exprimer en cuisine, à tenter des choses.”

“Il faut prendre son mal en patience et tu comprends vite que les choses vont plus vite que ce que tu avais imaginé. La théorie se heurte rapidement à la réalité. Au début, je n’avais pas beaucoup de patience, mais on m’a prévenue que j’allais être débordée. On a donc avancé par étapes, car toute cette évolution s’est faite prudemment, avec des moyens financiers familiaux. On commence par les assiettes, puis les chaises…”

Bâtir sa cuisine

Avant de rentrer en Bretagne, Nolwenn Corre ne savait pas vraiment ce qu’elle allait proposer dans le restaurant qui deviendrait le sien. Des idées, elle en avait, mais aucune ligne directrice précise. “Tout s’est fait au fur et à mesure, mais bêtement. Tu vas chez une ostréicultrice, le produit est fou, et tu comprends comment le travailler instantanément. Ton voisin te donne un légume et tu as une sorte d’illumination. C’est très naturel. Et puis le palais s’affine avec le temps.” Reconnecter avec “sa terre” lui a permis de se retrouver et de réveiller l’identité culinaire qui sommeillait en elle.

“À force de passer du temps dans un même environnement, tu as de meilleures sensations et visions de ce que tu veux créer et reproduire. Tu as aussi une meilleure connaissance du territoire. Quand je suis arrivée, je ne me sentais pas forcément légitime. Mais tu prends de l’assurance, tu prends de l’âme et aussi de la confiance en toi.”

Nolwenn Corre a longtemps eu du mal à décrire ou définir sa cuisine. Aujourd’hui, elle semble avoir trouvé les mots et la métaphore parfaite. “Si je devais décrire ma cuisine en une image, ce serait une vague. Une vague qui vient s’écraser sur la côte, un gros shot d’iode qui vient enrober tous les produits du bord de côte. De l’agraire, du coquillage, des légumes collés à notre littoral. L’idée est vraiment de ressentir toute la région dans une assiette. On aura jamais la cuisine la plus pointue ou la plus parfaite du monde, mais à table, tu pourras te dire : ‘Là, je suis en Bretagne, je suis dans le Finistère.'”

Dans ses assiettes, Nolwenn Corre est de ces cuisiniers qui assument leurs choix. Exit le turbot et les poissons prestigieux, place aux richesses du littoral, trop longtemps snobées et méprisées. “Je n’ai plus de complexe à proposer un chinchard à la carte. Je m’affirme aussi sur de petits poissons que l’on connaît moins ou qui souffrent d’idées reçues. Tant que tu n’es pas en Bretagne, il est parfois difficile de voir de la magie dans de petits poissons, et pourtant. Ce que je dis aux clients est simple : goûtez à ce produit et je vais vous prouver qu’il est exceptionnel. Aujourd’hui, j’ai la maturité pour pouvoir dire ça.”

L’étoile

Parmi les rêves qui habitent Nolwenn Corre depuis petite, il y a toujours eu celui de décrocher l’étoile. “Je me suis toujours mis en tête d’atteindre ce but.” Un jour de 2019, alors qu’elle est en voiture pour rejoindre la ville de Chefchaouen, au Maroc, le téléphone de la cheffe se met à sonner frénétiquement. “Je pensais que c’était un appel d’un opérateur téléphonique qui voulait me proposer un nouveau forfait, un truc du genre, et je me suis dit qu’ils étaient vraiment pénibles”, sourit-elle. Après avoir refusé l’appel plusieurs fois, elle décroche. Au bout du fil : Gwendal Poullennec, le directeur du guide Michelin. “Je me suis faite toute petite, je ne savais pas où me mettre.”

Gwendal Poullennec n’y va pas par quatre chemins. “Est-ce que vous pouvez rentrer en France rapidement ? On est passés, on vous a évaluée et on a décidé de vous décerner une étoile dans le prochain guide”, lance-t-il. Nolwenn Corre peine à y croire. “Le monde s’est effondré. J’ai tapé l’épaule du chauffeur et je lui ai demandé de faire demi-tour.” Direction l’aéroport. “On n’avait pas trop le droit de prévenir notre entourage ou notre brigade, mais j’ai quand même prévenu ma sous-cheffe, qui me suit depuis le début.” Elle appelle aussi son père, le chef à qui elle a succédé, pour lui annoncer la nouvelle. Il fond en larmes. “Plus de son, plus d’image, il ne parlait plus au téléphone. Ma mère a pris le téléphone pour m’engueuler et me dire : ‘Nolwenn, je vais t’apprendre à annoncer les bonnes nouvelles.'”