Écrivant sur l’art depuis sept ans, j’ai dû sortir brutalement de ma zone de confort lorsque la directrice adjointe de la rédaction m’a transféré un mail me proposant de tester un cours de danse. Parmi tous les cours proposés par Dancefloor Paris, je m’arrête sur le cours de hip-hop. Ça m’irait bien, à moi, qui ai fait cinq ans de breakdance durant ma tendre jeunesse. Ce serait l’occasion de me dérouiller un peu.
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J’arrive au rendez-vous, un lundi à 17 h 30, et là, les portes sont fermées, mais je vois une femme à l’accueil, que je salue derrière la vitre. Elle m’ouvre et me dit que le cours de hip-hop a été annulé : “Vous n’avez pas vu le texto ?” Non. Je suis étourdie et je ne consulte jamais mon téléphone en journée. Mes journées restent imprévisibles, grâce à ça. Par exemple, me déplacer à un rendez-vous annulé fait partie de mes petits plaisirs quotidiens pour pimenter mon existence.
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Elle me dit finalement que je peux participer, si je le souhaite, à un cours… d’afro-oriental qui commence dans une heure, et qu’en attendant, elle peut me faire visiter le lieu. “Afro-oriental” ce sera. Ça, pour sortir de sa zone de confort, ce n’est pas mal.
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Fusion des danses africaines et orientales, l’afro-oriental mélange deux traditions tribales. D’un côté, des mouvements secs et dynamiques qui libèrent le corps, de l’autre, des ports de bras tout en cercles infinis, en lenteur et langueur qui le font vibrer. Les deux genres marient un ancrage profond et une élégance suggestive. Ayant une morphologie peu charnue, je me réjouis à l’idée de ressembler à un Sim dansant.
Je rencontre rapidement Bouchra, notre prof, qui m’accepte à son cours alors qu’elle fait ses échauffements. C’est gentil. Puis je rejoins les élèves, que des femmes, heureusement, qui m’accueillent avec des sourires criant : “Toi, on ne te connaît pas, et tu t’es habillée chelou pour un cours d’afro-oriental, mais OK, tu as l’air sympa !”
“La danse, c’est mystique. C’est un moyen de te créer un espace pour te libérer”
On commence par un moment de lâcher prise et d’ancrage, de respiration et de détente : Bouchra veut savoir comment on va vraiment, veut que tout circule dans nos corps, s’intéresse à notre respiration et répète plusieurs fois le mot “périnée”, en désignant le bas de son corps. On enchaîne sans tarder avec les échauffements, car deux heures, ça passe vite.
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Là, Bouchra nous demande de nous déplacer dans la salle, doucement, de se regarder dans le miroir ou entre nous, comme si on se baladait tranquillement. Puis, à mesure que la musique techno-tribale gronde, elle nous dit d’accélérer comme si on était pressées d’arriver au boulot, le matin dans le RER, quitte à se cogner. Et pour finir, on saute, on se remue, on “tou-tou-you-tou” et on fait vibrer ce cœur trop souvent anesthésié sur une chaise de bureau.
Bouchra crie, donne plus que nous, tape des mains, m’impressionne. “Ressentir les émotions, c’est ça qui m’intéresse dans la danse plutôt que de faire une belle chorégraphie : l’esthétique, c’est important mais le but n’est pas de faire un cabaret”, me dira après le cours la chorégraphe de 29 ans, autour d’un jus vert. À ses côtés, ce n’est pas la performance qui compte, mais les sensations, “parler de sa sensualité différemment, exprimer une attitude”.
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“Je donne des cours de danse au Centre culturel franco-iranien Pouya, j’organise des retraites au Maroc, mais aussi des ateliers dans un ancien hammam des Batignolles qui se concentrent sur l’ancrage, le flow, la respiration, la purification, avec de l’encens”, dans la lignée des traditions que sa grand-mère marocaine lui a inculquées et de sa famille de femmes danseuses. La performeuse, inspirée par Bad Gyal Cassie et Samia Gamal, dénonce tout le folklore et toute la fétichisation post-coloniale souvent assimilée à la danse orientale. “La danse, c’est mystique. C’est un moyen de te créer un espace pour te libérer.”
Mes hanches, cette porte blindée
Retour au cours. Avec les musiques tribales qui défilent, j’ai l’impression de faire partie d’un clan matriarcal, d’être entourée de femmes puissantes. C’est une expérience hors du commun, hors de tout ce que j’ai connu jusqu’à présent. Malgré mon engouement, je perds mon peu de confiance en moi : tout est bloqué. Mes hanches sont verrouillées à trois tours, comme une porte blindée. Je mime les femmes autour de moi. Certaines se débrouillent, d’autres excellent.
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Bouchra me lance des “C’est bien, ça !” encourageants, qui me guident, et m’aident à décomposer mes mouvements. Syndrome de la bonne élève : je veux satisfaire ma prof, même si je me dis d’emblée que je ne reviendrai jamais, que c’est terrible de se sentir si exposée, vulnérable et mise à nu. Les autres me lancent des regards bourrés d’empathie, des sourires gênés m’invitant à une forme de sororité.
Pour nous mettre à l’aise, la danseuse professionnelle baisse les lumières et allume les néons plus intimes de la salle. Place aux diagonales en groupe, maintenant. Je suis la dernière du dernier groupe à passer, et je stresse. Je m’entraîne dans la queue en regardant les autres danser si légèrement. Bouchra accompagne et applaudit chaque groupe, avec une énergie folle. Vient mon tour, et je me sens si timide. Je suis mal le groupe mais ce n’est pas si grave puisque tout le monde m’applaudit.
Rapide retour aux années 2000
Démarre “Beautiful Liar” de Beyoncé et Shakira. Retour immédiat aux années 2000, à mes boucles d’oreilles “Love”, aux sucettes-cœurs, et aux clips sexy diffusés en continu sur MCM, que je regardais en cachette grâce à l’invention de la TNT. Vient l’apprentissage d’une nouvelle chorégraphie. Spoiler : j’avais du mal à suivre car je n’avais pas appris la première partie, introduite la semaine précédente. Pour cette exacte raison, Bouchra me met au premier rang. Évidemment, je m’étais placée tout au fond.
Je remarque que je progresse, que mes hanches se débloquent, qu’un désir pur et incontrôlable de m’enjailler me prend. Je comprends le lâcher prise et l’attitude dont elle parlait, même si mes mouvements ne sont pas parfaits et que je perds l’équilibre, le fil. La pédagogie de Bouchra nous laisse deviner ses premières armes en danse classique, mais aussi son désir de s’émanciper des codes stricts et des frontières. Issue d’une formation en psychologie et en art-thérapie, elle projette de devenir “danse-thérapeute”.
“Je me sentais limitée dans mon corps, la danse m’a libérée et m’a aidée à aller vers la lumière, quand je suis tombée malade”, me confiera-t-elle. À chaque déhanché, elle nous donne à voir sa lumière. Le cours est fini. On passe aux étirements yoga et à une petite méditation guidée, qui fait traverser des énergies féminines tout autour de moi. Leurs souffles m’enveloppent. Ma porte blindée verrouillée à trois tours s’est transformée en voile léger et aérien.
Tous les cours de Dancefloor Paris sont à découvrir ici.