Sujet récurrent dans le sport et même bien au-delà, le racisme continue de sévir dans les stades de football sans qu’une solution efficace puisse être apportée. Et malgré la très mauvaise promotion pour les pays et les championnats concernés, qu’il s’agisse de l’Espagne, de l’Italie ou de la France, les solutions apportées au niveau national comme européen continuent de montrer leurs limites.
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Vinicius, Maignan, Lukaku, stars exposées
Ces derniers mois, plusieurs joueurs noirs évoluant pourtant dans des clubs de premier plan ont été directement concernés. En avril 2023, c’est Romelu Lukaku, alors joueur de l’Inter, qui avait été ciblé par les supporters de la Juventus lors d’une demi-finale aller de Coupe d’Italie. L’attaquant belge a même été exclu ce soir-là pour avoir célébré un but égalisateur devant la tribune qui l’insultait copieusement depuis plusieurs minutes…
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Plus récemment, le 20 janvier dernier, le Français Mike Maignan a fait interrompre le match entre l’Udinese et l’AC Milan, après avoir signalé les insultes racistes dont il fait l’objet. Le Français a quitté la pelouse à la 34e minute, suivi par ses coéquipiers… avant finalement que le match ne reprenne quelques instants plus tard.
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Mais le cas qui cristallise le plus les manifestations racistes envers les joueurs est probablement celui du Brésilien Vinicius Junior. L’attaquant du Real Madrid est quasi systématiquement insulté par les supporters adverses qui lui reprochent une attitude prétendument provocatrice pour justifier le racisme dont il fait couramment l’objet. “Ce n’était pas la première fois, ni la deuxième ni la troisième. Le racisme est normal en Liga”, avait lâché Vinicius après les insultes subies de la part des supporters de Valence, en mai 2023. “Je suis vraiment triste. Le championnat qui appartenait autrefois à Ronaldinho, Ronaldo, Cristiano et Messi appartient aujourd’hui aux racistes.”
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Des sanctions qui ne dissuadent pas
Mais alors, comment un phénomène aussi ancien peut-il continuer de sévir dans ces proportions ? Bêtise humaine ? Société permissive avec le racisme ? Absence de sanctions réellement dissuasives ? Probablement un peu de tout cela. Suivant un schéma systématique où se succèdent l’indignation, les promesses, avant bien souvent de voir les différents responsables rétropédaler, l’arsenal de sanctions, collectives comme individuelles, montre ses limites, d’autant plus que les procédures et les lois ne sont pas toujours appliquées comme elles le devraient.
En effet, alors que la tribune identifiée comme à l’origine des insultes racistes envers Lukaku avait initialement été fermée partiellement, la Juventus a obtenu quelques jours plus tard l’annulation de cette sanction de la part de la cour d’appel de la fédération italienne, après que 171 membres de cette tribune ont été individuellement sanctionnés.
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Du côté de l’Udinese, qui avait pourtant assuré son plein soutien à Maignan suite aux incidents, le club a fini par faire appel de la sanction d’un match à huis clos prononcé suite aux incidents. Appel entendu par la fédération italienne qui, là encore, allège la punition, qui passe d’un match à huis clos total, à deux matches à huis clos partiel pour la tribune concernée. Quant à la démarche symbolique de faire du gardien tricolore un citoyen d’honneur de la ville, comme cela avait été promis par le maire d’Udine en personne, cette décision a finalement été retoquée par le conseil municipal.
Pour ce qui est de l’affaire entre Vinicius et le FC Valence, là encore, l’indignation de circonstance a très vite été supplantée par l’indulgence des institutions. Alors que la Liga avait initialement puni le club valencien de 50 000 euros d’amende et la fermeture pour cinq matches de la tribune impliquée, la cour d’appel a réduit la sanction à 30 000 euros et trois matches. Les individus impliqués ont eux, écopé de 5 000 euros d’amende et d’un an d’interdiction de stade.
Si la justice sportive peut sembler laxiste, la justice civile l’est tout autant. Auteur d’un tweet visant Kylian Mbappé après l’élimination des Bleus contre la Suisse à l’Euro 2020 (ndlr : “ce sale nègre mérite de se prendre une centaine de coups de fouet et de se faire revendre en Libye”), un homme de 19 ans, pourtant reconnu coupable de provocation à la haine raciale et d’usurpation d’identité par la cour, s’en était sorti avec un euro de dommages et intérêts et 1 000 euros de frais de justice à verser aux associations de la partie civile.
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Les contradictions de la FIFA
Si le racisme demeure un sujet aussi brûlant, c’est au moins autant pour une question d’image que de problématique de fond. C’est aussi pour ça que, faute de pouvoir trouver une solution consensuelle, les différentes instances se renvoient la balle, non sans une certaine hypocrisie.
À commencer par la FIFA, le puissant organe régisseur du football mondial, qui s’est récemment exprimée sur le sujet par l’intermédiaire de son président, Gianni Infantino. “En plus de la règle à trois étapes (match interrompu, match interrompu une seconde fois, match arrêté totalement), nous devons mettre en place une défaite sur tapis vert automatique pour l’équipe dont les supporters ont proféré des injures à caractère raciste et qui ont poussé à l’interruption du match, ainsi que des interdictions de stade à l’échelle mondiale et des poursuites judiciaires pour racisme”, avait estimé Infantino suite à l’affaire Maignan.
Pour bien mesurer combien ces annonces sonnent creux, il faut revenir à la genèse de ce que relate Infantino. Lorsque Kevin-Prince Boateng, alors joueur du Milan, est reçu par Sepp Blatter en 2013 suite à des insultes racistes, et que cela débouche sur la mise en place de ce fameux règlement, la tendance est déjà à un durcissement des mesures offrant à l’UEFA la possibilité, en cas de récidive, de prononcer des sanctions allant de la fermeture partielle du stade au retrait de points (article 14 du règlement disciplinaire de l’UEFA). Mais combien de matches, ne serait-ce que d’un championnat du top 5, ont été arrêtés définitivement depuis 2013 et la mise en place de cette règle ? Aucun.
Parallèlement à ces mesures, la FIFA avait lancé en 2013 un groupe de travail contre le racisme, alors présidé par celle qui est devenue secrétaire générale de la FIFA jusqu’en 2023, la Sénégalaise Fatma Samoura. Mis en place en 2013 sous Blatter, ce groupe de travail a principalement œuvré pour un renforcement de l’arsenal juridique pour les cas de discrimination dans les stades. Mais dès 2016, après avoir émis une série de recommandations transformées en “un programme très musclé”, la FIFA avait mis fin à ce groupe de travail estimant avoir “atteint ses objectifs” en matière de lutte contre le racisme.
Un problème culturel ?
Les instances sportives masquent difficilement leur impuissance face à ce que de nombreux responsables évoquent de plus en plus ouvertement comme un problème culturel. “En premier lieu, il faut reconnaître que nous avons un problème de comportement, d’éducation, de racisme dans notre pays”, avait par exemple admis Luis Rubiales, alors président de la fédération espagnole de football (RFEF), à la suite de l’incident entre Vinicius et les supporters valenciens.
D’autres éléments corroborent cette hypothèse. En février dernier, l’institut de sondage italien SWG indiquait quelques jours après l’affaire Maignan que 16 % des personnes interrogées cautionnaient les cris de singe ou autres lancers de bananes en direction des joueurs adverses, tandis que 18 % des sondés trouvaient “normal” le fait d’insulter un joueur “en raison de sa nationalité ou de ses origines”.
En Angleterre, lorsque a émergé le mouvement Black Lives Matter en 2020, les fans de Millwall ont quant à eux sifflé et hué leurs propres joueurs, au moment où ces derniers posaient le genou à terre au coup d’envoi du match contre Derby County. La preuve, s’il en fallait encore, que le travail sur les consciences s’annonce encore long, que ce soit sur ou en dehors du stade.