Dans un quartier tranquille de Tokyo, une cinquantaine de personnes patientent devant le rideau encore baissé d’un petit restaurant d’onigiri, la boulette de riz japonaise dont la popularité explose ces dernières années au Japon et à l’étranger, alimentée par les réseaux sociaux et l’inflation. Derrière le comptoir d’Onigiri Bongo, où peuvent s’asseoir neuf clients, Yumiko Ukon, 71 ans, prépare avec son équipe les ingrédients multicolores qui serviront à garnir une soixantaine de variétés de boules de riz enveloppées d’une algue, des traditionnelles prunes amères au plus inhabituel bacon-sauce soja.
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Autrefois, “il n’y avait personne entre le déjeuner et le dîner, mais maintenant, les clients font la queue sans interruption”, parfois pendant huit heures, explique la propriétaire des lieux où sont vendus quelque 1 200 onigiri par jour. “Cela fait 47 ans que je fais la même chose, rien n’a changé pour moi. C’est le monde autour qui a changé”, dit-elle, alors que ce mets traditionnellement préparé “à la maison” est devenu un plat que l’on achète et mange seul.
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L’onigiri serait consommé au Japon depuis plus de 1 000 ans, autrefois emporté par les samouraïs sur les champs de bataille. Mais il souffrait depuis plusieurs décennies de l’image d’un produit banal et bon marché, vendu dans les supérettes de proximité omniprésentes au Japon. Le succès est cependant au rendez-vous depuis quelques années, soutenu d’abord par l’explosion du tourisme au Japon avant la pandémie et sa présentation dans diverses émissions et séries télévisées.
Le Japon et le riz
L’inclusion dans le Guide Michelin en 2019 du plus ancien restaurant d’onigiri de Tokyo, Onigiri Asakusa Yadoroku, a aussi été décisive, explique Yusuke Nakamura, président de l’association japonaise d’onigiri. “À partir de ce moment, les gens qui considéraient l’onigiri comme un en-cas de tous les jours ont commencé à le voir aussi comme un mets de qualité, élargissant ainsi les manières de le consommer”, dit-il.
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Selon la Fédération japonaise des plats préparés, l’onigiri est arrivé en deuxième position du classement de ces achats au Japon en 2022, et les dépenses des foyers nippons dans la catégorie “onigiri et autres” ont bondi de 66 % ces vingt dernières années d’après le ministère des Affaires intérieures. Selon M. Nakamura, le nombre de boutiques spécialisées est en forte augmentation au Japon, où l’onigiri a bénéficié de l’explosion de la demande de repas à emporter pendant la pandémie mais aussi de l’accélération de l’inflation dans le pays depuis deux ans.
“Le prix du riz, cultivé sur place, est relativement stable”, tandis que le coût des importations de blé a flambé depuis le début de la guerre en Ukraine, renchérissant de nombreux aliments dont le pain, explique-t-il. En outre, le lien des Japonais avec l’onigiri et le riz en général est très profond et ancien, rappelle Miki Yamada, 48 ans, gérante de Warai Musubi, un service de traiteur d’omusubi, autre nom de l’onigiri. “Le riz est l’offrande que l’on fait aux divinités” dans la religion shinto, et “la forme souvent triangulaire de l’omusubi ferait référence aux montagnes”, où résident de nombreuses divinités shinto, explique-t-elle.
Issue d’une famille de riziculteurs de Fukushima, Mme Yamada dit avoir réalisé le potentiel de l’onigiri alors qu’elle tentait de promouvoir le riz local, dont la réputation a souffert après la catastrophe nucléaire de 2011, et ses photogéniques boulettes sont très appréciées sur Instagram.
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Boules de riz “instagrammables”
Alors que les échoppes d’onigiri ont généralement peu de moyens pour en faire la publicité, les photos d’onigiri de toutes formes et couleurs, éminemment “instagrammables”, postées par les clients sur les réseaux sociaux ont joué un grand rôle dans la popularité de ce mets, souligne Yusuke Nakamura. Ainsi, l’onigiri touche également une clientèle plus jeune et plus féminine, séduite par des versions “premium” aux ingrédients de qualité ou mêlant des céréales au riz pour une alimentation plus nutritive.
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“Au Japon, mais aussi à l’étranger, je voudrais renouveler l’image vieillotte du riz”, déclare Miyuki Kawarada, 27 ans, présidente de Taro Tokyo Onigiri, une entreprise ayant ouvert deux boutiques à Tokyo en 2022, où les onigiri haut de gamme sont vendus jusqu’à 430 yens (2,70 euros) pièce. Elle dit vouloir ouvrir plusieurs dizaines de restaurants ces prochaines années à l’étranger, où l’onigiri a selon elle le potentiel pour détrôner le sushi comme ambassadeur de la gastronomie nippone. De plus, il “peut être végan ou halal, et s’adapter à différentes cultures”, note-t-elle.
Yusuke Nakamura de l’association de l’onigiri dit recevoir de nombreuses demandes de personnes souhaitant ouvrir des boutiques, notamment aux États-Unis, et certains acteurs nippons ont déjà commencé à investir le marché étranger, comme Omusubi Gonbei, qui possède deux boutiques à Paris et deux à New York. Devant l’une des échoppes new-yorkaises à deux pas de la gare de Grand Central Station, Sean King, 53 ans, s’est dit “très heureux” de pouvoir trouver sur place les onigiri qu’il avait découverts au Japon. “C’est léger, sain et facile à consommer”, déclare-t-il. “On n’a aucun regret après en avoir mangé.”
À Paris, la hype a elle aussi pris toute sa dimension. Notamment depuis l’ouverture du restaurant Double, dans le nord de la capitale, qui propose le soir de jolis plats italiens à la sauce japonaise, pensés par le chef Tsuyoshi Yamakawa, passé par Saturne ou le Verre Volé, et de savoureux onigiri le midi. “Chaque midi, l’influence de l’archipel est mise à l’honneur. Une proposition d’onigiri évolutive au gré des idées du chef, ces boules de riz fourrées très répandues au Japon renfermant de savoureuses préparations”, explique le restaurant.
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