Une enquête du Times choque le monde de la mode et des réseaux sociaux. Des agences de mannequins recruteraient des jeunes femmes sud-soudanaises à Kakuma, un camp de réfugiés situé dans le comté de Turkana au Kenya. Le camp comptait 8 000 personnes en 1990, 60 000 personnes en 2014 et plus de 280 000 aujourd’hui. Ses habitants ont fui les guerres, les violences, les agressions et vivent dans une grande pauvreté.
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Là-bas, plus de la moitié de ces réfugiés sont sud-soudanais et, pour certaines agences de mannequins, cela semble être du pain béni. Pourquoi ? Parce que ces jeunes filles sont faciles à recruter et à renvoyer si elles ne conviennent plus. C’est le cas d’Achol Malual Jau. La jeune femme de 23 ans explique au Times qu’elle a passé des mois à s’entraîner à marcher en talons dans le camp. En février 2023, à sa plus grande joie, elle est arrivée en Europe pour défiler. Après cinq mois “merveilleux”, elle a été renvoyée au point de départ, sans argent. D’autres modèles seraient, quant à elles, revenues à Kakuma endettées et devraient plusieurs milliers d’euros à leur agence. Celles-ci leur auraient avancé les frais d’hôtels, de billets d’avion, de visas… et les jeunes femmes, n’ayant pas eu assez de contrats avec les marques, n’ont pas pu rembourser leurs dettes.
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Mais pourquoi des agences européennes vont-elles recruter des modèles dans un camp de réfugiés au Kenya ? Parce que la mode est une affaire de tendance. Parfois, ce sont les mannequins de l’Europe de l’Est qui sont en vogue, parfois ce sont les Asiatiques et en ce moment, tout le monde s’arrache les Sud-Soudanaises.
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Chacun rêve de dénicher “sa” Adut Akech ou Aweng Ade-Chuol, deux supermodels sud-soudanaises qui sont passées par le camp Kakuma. Pour dénicher la perle rare, les agences européennes, comme Select Model, font appel à des agences africaines, comme Isis Models, qui vont sur place pour caster des jeunes filles et envoient les profils les plus prometteurs en Europe.
Sur le papier, cela ressemble au rêve américain : une fille pauvre qui a grandi dans des camps qui finit par défiler à New York, Londres, Paris et qui réussit à sortir toute sa famille de la misère. Mais concrètement, ça se finit souvent mal, avec un retour à la réalité brutal et quelques grosses dettes, même si les agences affirment le contraire.
Dans un communiqué, Isis Models assure prendre la sécurité et la santé mentale de ses modèles très à cœur : “Parce que beaucoup de nos mannequins sont des réfugiées, nous travaillons en collaboration avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés et l’association Refugee Affairs au Kenya pour s’assurer que tous les mannequins soient en sécurité lorsqu’elles quittent les camps. [Nous sommes] plus qu’une agence, nous considérons nos mannequins comme une famille”.
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De son côté, Select Model se dit attristée par ses accusations : “C’est notre rôle d’aider nos modèles et de les protéger comme des membres de notre propre famille. Elles ne réussissent pas toutes dans l’industrie. Mais succès ou non, on prend soin de tous nos modèles. Nous n’avons jamais fait quelque pression que ce soit pour un remboursement des dépenses engagées ou avancées aux modèles. Si elles ne sont pas satisfaites, elles ont toujours été libres d’être représentées par une autre agence.”
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Si ces déclarations n’avouent pas la pression financière, elles avouent bien tout le reste. Du coup, le jeu du “qui a raison et qui a tort” n’est pas vraiment important ici. Ce qui choque et horrifie le plus, c’est qu’encore une fois, on a la preuve que le corps et la vie des Africains noirs et pauvres ont si peu de valeur aux yeux du monde. Aller chercher des jeunes filles dans un camp de réfugiés — pas par charité ou humanisme, mais parce que leur apparence est à la mode — et les y renvoyer si elles ne conviennent pas, c’est mal. Les réfugiées grandes et minces, qui le sont souvent à cause de la malnutrition, ne sont pas là pour remplir des podiums à moindre coût et sans implication des agences.