Il m’a fallu un bon mois pour atterrir de ce rêve, que j’oublie déjà. Il fallait que mes jours et mes nuits s’alignent. Il fallait faire un deuil. Il fallait que les souvenirs se teintent de cette nostalgie qui serre le cœur. J’ai tenu un carnet de bord, lors de mon séjour à Los Angeles, en avril dernier. Comme tout le monde, je voulais y voir des stars, je ne voulais pas dormir, je voulais me jouer mes films.
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Il y a quelque chose de très particulier dans Los Angeles : cette ville hante notre imaginaire des États-Unis, et elle a peu de chance de nous décevoir. Chaque vue, chaque rue me ramenait étrangement à un souvenir que je n’avais jamais vécu, puisque je n’étais jamais venue ici : j’avais simplement vu beaucoup de films, j’avais simplement avalé des tonnes de séries et j’avais simplement aimé toutes ces vies fictionnelles auxquelles je m’identifiais depuis ma banlieue parisienne.
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Lors de ce voyage, j’ai pu me réconcilier un tout petit peu avec ce pays que j’avais fini par avoir en détestation pour des raisons sombres et politiques. J’ai eu de bonnes surprises et des déceptions. J’ai eu le temps de faire tout ce que je voulais voir, je savais que je n’y retournerais pas car c’était beaucoup d’angoisse. Je me faisais balader dans la Volvo de mon pote Rocky, et on écoutait des chansons françaises aussi fort que possible. Et j’étais loin d’imaginer que mon chemin croiserait celui de Chloë Sevigny.
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Jour 1 : atterrissage, spicy margaritas et beach house
Je ne comprends rien, je viens d’arriver, je n’ai pas dormi une minute dans l’avion, prise par l’excitation. Je trouve que tout est gigantesque et les cuvettes à double fond des toilettes américaines sont très pratiques. Dans l’avion, j’ai regardé au total sept films : Le Procès Goldman, Kimi, L’Ordre des médecins, Àma Gloria, Le Théorème de Marguerite, La Fille au bracelet, Evil Dead Rise. J’ai le cerveau en compote, direction les douanes où je passe crème malgré mes 230 battements par minute.
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Je finis ma soirée au Belles Beach House, à Venice Beach, dans une atmosphère hawaïenne très The White Lotus saison 1. J’y siffle mes premières spicy margaritas, pas les premières du séjour : les premières de ma vie. J’en conclus que les Américain·e·s double-dosent aussi l’alcool dans les cocktails et qu’il faudra faire attention à ma consommation dans les prochains jours sinon je vais me retrouver dans le coffre d’une bagnole à Las Vegas, real quick.
Jour 2 : Getty Museum, maisons de riches et Venice Beach
Mon ami et collègue Pharrell avait insisté pour que j’aille au Getty Museum. “Quoi ? Le musée de la vieille banque d’images là ?“, pensé-je. “Non, non, t’inquiète, vas-y et tu verras. C’est pour la vue.” Et il avait raison : je n’étais pas prête pour vivre l’expérience de musée la plus insolite. Déjà : le musée est gratuit, il faut simplement réserver pour être sûre de pouvoir y entrer. Ensuite : vous devez prendre un petit TRAIN pour vous y rendre, avec une musique super émouvante.
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L’institution se situe dans les hauteurs des collines et la vue est, effectivement, inégalable. D’un côté, la montagne s’offre à nous, de l’autre, on surplombe la célèbre autoroute de Los Angeles. C’est incontestablement le musée le plus beau de Californie, et j’ai pris une claque. À l’entrée, une guide ravie de tomber sur une Française utilise son option LV2 Français pour me conseiller certaines ailes du bâtiment.
Je parviens à toutes les faire, je m’arrête devant une horloge exposée pour la montrer à mon père horloger, devant un Giacometti pour le montrer à mon petit ami, et devant L’Étude du modèle Joseph, un portrait de Théodore Géricault, connu pour Le Radeau de la Méduse présenté au Louvre. Le tableau dépeint un Haïtien qui a émigré en France et qui est devenu acrobate, modèle vivant pour Géricault, puis pour… les Beaux-Arts de Paris.
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Je continue ma journée à Abbot Kinney, guidée par Charlotte de Californie Off Road, qui nous fait visiter les canaux de Venice Beach, avec des villas de gens très riches. Je croise ma première star : un acteur de série de seconde zone qu’il m’est impossible de nommer. Le vent est fort, on fait du vélo sur la côte en découvrant des fresques murales, dont une, très jolie, qui reprend La Naissance de Vénus de Botticelli. Je termine ma journée chez Gjelina, le restaurant préféré de Pharrell, le même qui m’a conseillé le plus beau musée de la ville, donc je le crois quand il dit que c’est très bon. C’était très bon, mais, toujours aucune trace de Chloë Sevigny.
Jour 2,5 : country club et Jumbo’s Clown Room
Je m’éclipse du restaurant, et j’entre dans la Volvo de mon pote, un Parisien installé à Los Angeles depuis quelques années, qui photographie les villas stars de la cité des Anges façon Selling Sunset, mais qui, avant ça, a eu mille vies que je ne saurais conter. On commence la soirée au Sassafras Saloon, un country club assez cool où se jouent des concerts, performances et un show burlesque drag, dans le décor d’une petite maison de campagne.
Direction ensuite le Jumbo’s Clown Room, un strip club que Pharrell (celui qui connaît Los Angeles comme sa poche, vous suivez) m’avait aussi conseillé. À ce stade, je ne fais que suivre son programme, et j’abandonne tout le reste. Il se trouve que j’avais écrit sur ce strip club en 2019, on peut dire que la vie fait bien les choses. C’est ma première fois dans un strip club : l’expérience était totale. Le Jumbo’s n’impose pas de nudité à ses performeuses et ressemble plus à un bar à pole dance qu’à un vrai strip club.
Là, au milieu de la foule en liesse, Zoey Deutch, l’actrice de The White Lotus, lance des billets sur les fesses d’une danseuse. Je commande un Perrier et je savoure le spectacle. Je jette des billets d’un dollar qui atterrissent dans les verres des mecs du premier rang. C’est chaotique et, l’heure d’après, sur le chemin du retour, j’apprends que ce sont les derniers jours de mon oncle.
Jour 3 : micro-trottoir, Hollywood Sign et larmes
Je commence ce troisième jour avec un micro-trottoir où je croise des personnalités hautes en couleur sur Venice Beach. Trois personnages me marquent : un teckel à qui je fais écouter Shay, un skateur qui se met à danser façon Matrix, et un homme portant un masque de ski. Conclusion : la plupart des Américain·e·s ne piffrent rien à la musique française, et encore moins à l’afrobeat et au rap.
Dans le taxi, je passe un coup de fil à mon oncle. Ce sera le dernier, et je le sens. Il me dit que “ça va aller”, que je suis sa “petite Donnia”. Le conducteur fait mine de ne pas voir mes larmes, pendant que j’enregistre la voix de mon oncle qui me dit au téléphone ce qui sera ses derniers mots. Au moment où je rejoins mon groupe pour une visite du Original Farmer’s Market, j’essuie le sel sur mes joues et je prie pour qu’il tienne jusqu’à mon retour. Je finis la journée toute proche du Hollywood Sign, dans une randonnée à cheval de deux heures. Même proche des étoiles : pas de Chloë Sevigny à l’horizon, ni de Jeremy Allen White portant un bouquet de deuil.
Jour 4 : Luna Luna Park, NBA et Downtown LA
En route pour le Luna Luna Park, je commence à me dire que cette ville est déjà un rêve dont il ne me restera que des souvenirs fragmentés. Nous déjeunons chez Manuela, un restaurant champêtre dont le cadre me rappelle les semaines d’ouverture des Rencontres d’Arles. J’ai l’impression de ne pas être à Los Angeles car la ville est multiple, comme une anamorphose, elle offre une image différente à chaque mouvement.
Nous faisons une visite guidée passionnante et authentique de Downtown LA, avec Michel, de Voyage en français. Des voitures à ressorts, l’avenue des cinémas et théâtres abandonnés, Olvera Street, The Last Bookstore sont des photographies mentales qui me resteront. On enchaîne avec un match de NBA opposant les Timberwolves et les Lakers au Crypto Arena. L’absence de Kendall Jenner s’est fait sentir, autant que celle de Chloë Sevigny, mais on a croisé le jardinier de Desperate Housewives.
Jour 5 : Hollywood Boulevard, Château Marmont, Griffith Observatory et karaoké
C’est mon dernier jour complet à Los Angeles et je n’ai toujours pas croisé Chloë Sevigny : vous le savez si vous avez lu jusqu’ici (probablement pas). Pour maximiser mes chances, je me dis qu’il faut que je me rende sur Hollywood Boulevard, là où les stars sont cimentées dans le bitume. C’est un peu la cour des Miracles, et malgré mon bonheur de voir l’étoile dédiée à Julia Louis Dreyfus, elle n’est pas là.
J’embarque dans la Volvo de mon pote Rocky, on met du Dalida, le coucher de soleil caresse les drapeaux américains qui flottent au vent. On se dit qu’il faut absolument aller au Château Marmont. On paie le parking comme des rois, on s’infiltre – grâce à je ne sais quel concours de circonstances – par l’entrée des artistes, pas celle des mortel·le·s. Dans un labyrinthe de plantes tropicales, on débouche sur la piscine, devenue culte grâce au film Somewhere de Sofia Coppola, dans laquelle Stephen Dorff et Elle Fanning plongent sur “I’ll Try Anything Once” des Strokes. Là, j’ai le cœur qui brûle, je revois le long plan au bord de la piscine, les deux allongés sur un transat.
On entre par le lobby, l’intérieur est cossu, et sent le manoir britannico-français du siècle dernier. On nous place d’abord à l’intérieur, puis on insiste pour être installé·e·s sur le patio, réservé aux stars : “On est Français, on est venu·e·s que pour ça, et on veut profiter du soleil.” Et ça passe : “Si vous êtes Français, on vous installe dehors, mais pas de photos.” On rencontre l’ostréiculteur qui nous dit que Kanye West et Bianca Censori séjournent ici. L’info est bonne à prendre même si on n’est pas venu·e·s pour ça : où est Sevigny ? Je commande un Vesper Martini comme dans James Bond, et j’attends.
Là, d’entre les feuillages, apparaît Chloë, que j’avais désirée, manifestée. Elle porte une longue robe à motifs, des lunettes de soleil, sa chevelure solaire et rejoint, au fond de la salle, des personnes qui ont l’air importantes. La rumeur s’embaume de son parfum. Je revois tous ses films par ordre chronologique : Kids, Gummo, Boys Don’t Cry, American Psycho, Dogville, The Brown Bunny, Broken Flowers, Zodiac, The Snowman, Queen & Slim, Bones and All. Et aussi, American Horror Story, We Are Who We Are, Feud, Monster. Mon icône. J’ai croisé Chloë Sevigny, la fête est finie.
Tous les événements qui suivront seront teintés de son souvenir. On prendra l’ascenseur pour monter aux chambres privées, on passera de balcon en balcon par les échelles de secours, on savourera cette vue qui n’est donnée qu’aux privilégié·e·s. Ce jour-là, je rencontrerai une artiste qui a un cochon noir en guise d’animal de compagnie, j’irai voir le coucher de soleil du Griffith Observatory, le même que dans La La Land. J’irai enfin chanter les Velvet Underground et Daniel Balavoine au Bigfoot Lodge.
Le lendemain, je visiterai la sublime Infinity Room de Yayoi Kusama au Broad, j’achèterai des marque-pages magnétiques “Basquiat” dans la boutique de souvenirs, je mangerai chez Otium avant de prendre l’avion, de moins faire la maline et de commencer un deuil. C’est mon dernier road trip en Volvo, on met du Michel Polnareff. C’est en quittant la ville des Anges que j’ai perdu mon oncle, le jour de l’Aïd. Quand je repense aux couleurs pourpres des hauteurs du Griffith Observatory, je me dis que l’Amérique m’aura appris deux choses : que les spicy margaritas commandées en rafale par les stars des téléréalités montent vite au cerveau, et que la vie est plus douce si Chloë Sevigny n’est pas loin.
Merci à Aline d’Interface Tourism France et à Discover LA pour les visites et les étoiles. Merci à Pharrell pour les conseils et à Rocky pour la ride en Volvo. Durant mon séjour, je dormais au très cosy Venice V Hotel et au vertigineux Moxy Downtown LA.