TikTok plombe-t-il la santé mentale des ados ?

Publié le par Audrey Parmentier,

Photo by Lilian Cazabet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Si l’application chinoise a permis de lever certains tabous sur la santé mentale, elle aurait tendance à proposer du contenu nocif à des personnes vulnérables.

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TikTok est-elle devenue l’application du mal-être ? “On me proposait des posts pro-ana, alors que j’essayais de sortir de ça. Il y a eu un amalgame dans mon algorithme”, raconte Emmy, 21 ans. Alors que la jeune femme est en phase de guérison, l’application chinoise lui suggère des vidéos qui font la promotion de l’anorexie. Parmi les contenus recommandés par la plateforme, des images de nourriture flanquées d’une légende “je te déteste” ou une liste d’aliments à éviter. Bienvenue dans la communauté pro-ana où prospèrent sur la toile des conseils ultra-dangereux pour perdre du poids. Par exemple, manger uniquement des pommes ou se nourrir de canettes Monster car “ça coupe la faim”.

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Fin décembre, le rapport du Centre de lutte contre la haine numérique (CCDH) anglo-saxon a analysé le caractère nocif du réseau social fondé par ByteDance. Pour mener leur enquête, les chercheurs ont créé huit faux profils et se sont fait passer pour des internautes âgés de 13 ans, avec des profils “vulnérables” et “standards”. Il a fallu 2,6 minutes à TikTok pour recommander du contenu suicidaire. Huit minutes ont été nécessaires pour voir apparaître des vidéos en lien avec les troubles du comportement alimentaire. “Ce rapport montre qu’il y a une propension à pousser ce contenu sur un public vulnérable. Sans que rien à ma connaissance ne démontre une intentionnalité de la part des concepteurs de l’application. Le risque aujourd’hui, c’est de laisser courir ces formes d’algorithme qui génèrent des formes de réflexe, sans s’en rendre compte”, déroule Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique.

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L’un des enseignements de cette étude : un nouveau compte TikTok appartenant à un utilisateur de 13 ans qui consulte et aime le contenu sur l’image corporelle et la santé mentale se verra recommander des vidéos en lien toutes les 39 secondes. Cela illustre bien la bulle algorithmique dans laquelle se trouvent les jeunes, au risque de ne plus écouter les contre-discours”, poursuit Samuel Comblez, psychologue et directeur des opérations de l’association e-Enfance 3018.

Au risque aussi de romantiser certaines maladies mentales. Urban Unicorn, 50 000 abonnés sur YouTube, dénonce le fait que TikTok laisse les influenceurs utiliser les maladies mentales comme un “filon pour percer”. Même les comptes “recovery”, peuvent être à double tranchant. Souvent, la personne s’y montre au plus bas. Elle détaille ce qu’elle mangeait à l’époque et comment elle remonte la pente. Mais attention, ce type de contenu a un effet pervers en donnant des idées de régimes à suivre ou en dissimulant un propos plus néfaste. “Il y a des filles qui vont mettre le hashtag ‘recovery’, alors qu’elles continuent d’être malades”, soupire Urban Unicorn, Lauryn de son vrai nom.

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Les figures d’autorité au fort pouvoir d’influence

Dans une vidéo postée en novembre sur YouTube, l’influenceuse comparait la communauté “pro-ana de TikTok” à la plateforme Tumblr qui catalysait, à la fin des années 2000, ce type de contenu. “TikTok n’a pas inventé les sites pro-ana, ils existent depuis très longtemps. Mais le fait que le réseau social renvoie une image idéalisée des jeunes, c’est aussi un garant d’enfermement”, confirme Samuel Comblez.

De son côté, la multinationale se défend et insiste sur l’importance de protéger sa communauté : “Nous supprimons tout contenu – y compris vidéos, fichiers audio, livestreams, images, commentaires et textes – qui ne respecte pas nos Règles communautaires.” En février 2022, l’application dit avoir mis à jour ses Règles communautaires, afin de supprimer non seulement les contenus encourageant des troubles de l’alimentation, mais aussi ceux faisant la promotion d’habitudes alimentaires malsaines. Selon TikTok, plus de 110,9 millions de vidéos ont été éliminées sur la plateforme entre juillet et septembre 2022, dont 6,5 % pour “Suicide, automutilation et actes dangereux”.

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Comment évaluer la responsabilité de TikTok ? Selon Jean Cattan, le cadre général, issu de la directive e-commerce revient à considérer que l’hébergeur n’a pas de contrôle a priori sur le contenu qu’il publie. Il s’agit d’un régime de responsabilité allégée. Mais cela a évolué, car le Digital Services Act (DSA) a créé un nouveau régime de responsabilité pour les très grandes plateformes en ligne venant s’ajouter au précédent. “Nous sommes dans une phase d’entre-deux où le train se met sur les rails”, ajoute-t-il. Pour l’instant, TikTok a verrouillé l’accès à des mots-clés. Quand on écrit “pro-ana” dans le moteur de recherche, un message d’aide est publié. Idem si l’on tape “pro-Ed”, pour eating disorder”. Cependant, la modération est facile à contourner avec des fautes d’orthographe ou des termes moins suspects, comme le nom du chanteur Ed Sheeran.

“La communauté K-Pop peut également servir de porte d’entrée, avec la mise en avant de corps minces et parfaits”, avertit Lauryn. Pour toutes ces raisons, les jeunes ont besoin d’être accompagnés sur l’application. “Il est intéressant d’être en lien avec ce média, mais la navigation n’est pas assez balisée. C’est important pour le jeune de communiquer avec d’autres personnes de sa génération, mais il ou elle doit garder des liens de confiance avec les parents ou les grands-parents. C’est complémentaire”, souligne Emmanuel de Becker, psychiatre et psychothérapeute pour les enfants, les adolescents et leur famille.

L’entourage doit servir de contrepoids face aux discours des influenceurs. L’une des particularités de TikTok, ce sont ces figures d’autorité avec une très forte notoriété et qui peuvent influencer les internautes. Cela peut pousser les jeunes à être moins à l’écoute d’autres paroles, notamment celle des adultes qui les entourent”, soutient Samuel Comblez. L’enjeu pour l’adolescent : rester conscient que d’autres canaux existent pour demander de l’aide, sans se renfermer sur l’application.

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