Pourquoi le moteur de jeu Unity risque de tuer vos jeux vidéo préférés (genre Among Us ou Dofus)

Publié le par Pierre Bazin,

La nouvelle politique derrière l’un des moteurs graphiques les plus utilisés suscite la colère de nombreux studios et développeurs.

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Lorsqu’on développe un jeu vidéo, vous avez forcément besoin d’un moteur de jeu (game engine). C’est un peu l’équivalent de la caméra au cinéma, tout part de ce moteur. C’est sur cette base que les développeurs et graphistes travailleront pour les prochains mois et années consacrés au développement du jeu vidéo.

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Si vous êtes un gros studio de jeux vidéo, vous pouvez développer votre propre moteur de jeu mais cela est évidemment coûteux. La solution la plus souvent envisagée par les studios de jeux vidéo est d’utiliser un moteur de jeu déjà créé par une autre entreprise en en négociant financièrement l’usage. Aujourd’hui, il existe deux gros moteurs de jeu sur le marché : Unreal Engine, développé par Epic Games (Fortnite) et surtout Unity, développé par Unity Technologies.

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C’est justement ce dernier qui nous intéresse. Unity est un moteur très utilisé dans l’industrie vidéoludique. Grâce à sa relative simplicité et à son efficacité, il est un moteur de jeu privilégié par de nombreux développeurs et petits studios indépendants. Des jeux “indies” qui ont rencontré un succès phénoménal tournent ainsi sous Unity comme Among Us ou Cuphead mais cela concerne aussi de grosses franchises comme Pokémon Go ou encore Hearthstone. On peut aussi citer la nouvelle version du MMORPG français Dofus Unity que les joueurs attendent depuis plusieurs années déjà.

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Une nouvelle politique tarifaire qui fait polémique

Hier, Unity Technologies a annoncé l’instauration d’un tarif additionnel pour les développeurs qui utilisent leurs moteurs de jeu Unity. À l’origine, et ce depuis 2016, les développeurs pouvaient utiliser la licence gratuite de Unity si leur chiffre d’affaires ne dépassait pas 200 000 dollars. Au-delà de ces revenus générés, il fallait s’acquitter d’un tarif pour obtenir la licence (à vie), dont le prix variait selon la taille du studio.

Mais hier, 12 septembre 2023, Unity Technologies a annoncé la mise en place d’une nouvelle grille tarifaire. Premièrement, les conditions d’éligibilité aux différents tarifs ne se basent plus uniquement sur un palier de revenus (maintenu à 200 000 dollars pour la première version payante), elles se basent également sur un nombre d’installations des jeux d’un studio fonctionnant sous Unity – nombre fixé à 200 000 installations pour le premier palier payant.

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Source : Unity Technologies.

Mais ce n’est pas tant cette modification d’éligibilité qui fait polémique, c’est surtout ce qui suit. En effet, Unity Technologies a aussi et surtout annoncé mettre en place une taxe unique pour chaque installation de leurs jeux. Cette taxe s’applique directement lorsqu’un joueur installe un jeu sous Unity sur une console, un mobile ou un PC. Unity Technologies justifie cette mesure par la nécessité de “[permettre] aux créateurs de conserver les gains financiers continus issus de l’engagement des joueurs”.

Le système reprend le système de paliers pour y appliquer un tarif dégressif, toujours selon le nombre d’installations. Par exemple, si un studio a opté pour la formule Unity Pro, qu’il a atteint le million de dollars de revenus ainsi que le million de ventes unitaires, il devra payer 0,15 dollar pour les 100 000 futures premières installations, 0,075 dollar pour les 400 000 suivantes, et ainsi de suite jusqu’à 0,02 dollar au-dessus d’un million de jeux vendus.

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Source : Unity Technologies.

Du côté d’Unity Personal et Plus, soit les versions peu onéreuses, les plus utilisées par les jeunes studios et les développeurs indépendants, ce sera 0,20 centime de dollar par installation. À ce sujet, beaucoup se sont d’ailleurs exprimés sur les réseaux, expliquant l’immense risque financier que cela pouvait impliquer pour le secteur. Les studios Innersloth, créateurs de Among Us, interpellent Unity en leur sommant “d’arrêter ça” et en concluant d’un simple “WTF, Unity ?”.

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Contacté par Kotaku, le développeur Xalavier Nelson Jr. s’est ainsi exprimé :

“Lorsqu’une décision comme celle-ci est annoncée et que vous en êtes à trois ans d’un voyage de cinq ans [le développement d’un jeu sous Unity, ndlr], vous n’avez que peu ou pas de choix. Vous êtes coincé avec un partenaire qui travaille peut-être activement contre vos intérêts et en qui vous ne pouvez plus avoir confiance.”

Confusion générale et débordements potentiels

La nouvelle a été reçue avec beaucoup d’incompréhension par les développeurs, que ce soit au sujet de l’application dégressive des grilles tarifaires ou même du système de comptabilisation d’installation. En effet, si un joueur installe son jeu sur plusieurs supports (par exemple, Among Us sur mobile, puis sur PC), la taxe s’appliquera autant de fois qu’il y a d’installations.

Certains estiment même que cela pourrait amener une nouvelle méthode d’intimidation pour menacer des studios. On connaît déjà le système du “review bombing”, méthode déloyale de certaines communautés, notamment des groupuscules d’extrême droite qui se mettent à laisser en masse des mauvais avis et notes sur un jeu vidéo afin d’exprimer leurs désaccords éthiques ou moraux (et non sur le jeu en soi) avec le studio visé.

Ici, on évoque l’idée d’un “revenue bombing”, soit des communautés malintentionnées qui installeraient et désinstalleraient des jeux sous Unity pour sanctionner financièrement des studios.

D’ailleurs, la méthode pour obtenir ces informations d’installation est également sujette à débat, puisque cela implique aussi la coopération des constructeurs de consoles (Sony, Microsoft, Nintendo) et des plateformes de jeux dématérialisés qu’ils soient mobile (Google, Apple) ou sur PC (Steam).

Des clarifications qui n’apaisent personne

Suite aux critiques soulevées, Unity Technologies a rajouté quelques précisions quant à cette nouvelle grille tarifaire, notamment dans une interview accordée à Axios. Premièrement, il est expliqué que les jeux gratuits ou ceux ayant été faits dans une démarche caritative ne sont pas concernés par cette nouvelle commission prise sur l’installation.

Au sujet des possibles abus d’installation ou de désinstallation, Unity Technologies est revenu en arrière et a finalement assuré que l’installation sur un unique support ne serait comptabilisée qu’une fois. En revanche, la même copie sur plusieurs supports (exemple : sur PC et sur Steam Deck) comptera bien pour deux installations – et donc deux commissions.

Un point doit aussi être clarifié avec les constructeurs pour, par exemple, ce qui concerne le Game Pass de Microsoft sur Xbox. Unity Technologies assure que ce sera à la charge du distributeur et non des studios, une nouvelle qui devrait enchanter la firme américaine. Le porte-parole estime ainsi que seuls 10 % des développeurs Unity seraient affectés par ce nouveau tarif, étant donné la hauteur des premiers paliers à atteindre pour y être contraint.

Du côté de l’industrie, Kotaku rapporte qu’il se murmure déjà des actions en justice de la part de plusieurs développeurs et studios. Il est aussi dit que les distributeurs comme Microsoft ou encore Apple pourraient ne pas voir d’un très bon œil ces nouveaux coûts.