Je suis nulle en escalade. Enfin, pas nulle nulle, mais disons que lorsque je tente ma chance sur un parcours de blocs débutant, je parviens difficilement à toucher la dernière prise — malgré les excellents conseils de mon collègue François, devenu grimpeur expert. Ce manque d’aisance à la verticale se travaille, évidemment, mais la marge de progression peut parfois se retrouver entravée par un terrible obstacle : la peur irrationnelle des hauteurs. Le vertige, quoi.
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Pour certaines personnes, dès qu’une distance de plus d’un mètre les sépare du sol, c’est la catastrophe. C’est malheureusement mon cas. Malgré tous les tapis du monde, même les plus épais, dès que je me retrouve en haut, je tremble, mon cœur tambourine et je n’ai qu’une envie, redescendre et ne plus jamais toucher à une goutte de magnésie de ma vie.
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Alors quand je tombe sur le trailer de Jusant, signé par les studios français Don’t Nod, j’avoue, je me dis deux choses : déjà, un jeu qui consiste à grimper sur un mur pendant des heures, ça risque de vite me lasser et ensuite, ce serait vraiment se faire du mal de jouer à la grimpette au-dessus du vide. Crise cardiaque assurée à chaque chute. Mais sur ces deux points, je me suis complètement plantée.
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Enfin une mécanique d’escalade réaliste et facile à prendre en main
Au tout début du jeu, on se retrouve en bas d’une immense tour rocheuse, si haute qu’on n’en aperçoit même pas le bout. Il fait beau, des oiseaux jouent avec les courants d’air ; malgré l’immensité apparente de la tâche, toutes les conditions semblent être réunies pour se lancer dans une longue grimpette.
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Ici, on oublie l’escalade de blocs, on pratique la voie : on se retrouve équipé d’un baudrier et d’une corde de rappel — si vous pensiez vous lancer dans du free solo, oubliez, n’est pas Alex Honnold qui veut. Plusieurs surfaces d’escalade s’offrent à nous : prises rocheuses, échelles, marches, planches… Pour surmonter tout ça, le jeu offre un gameplay plutôt réaliste et facile à prendre en main.
Plutôt que de se contenter du joystick pour avancer dans notre ascension, il faut aussi jouer avec les gâchettes. Chacune contrôle un bras. On lance le bras gauche avec le joystick, on verrouille la prise avec L2. Puis, tout en maintenant L2 appuyé — sinon, c’est la chute assurée — on dirige le bras droit, toujours avec le joystick, puis une fois la prise idéale trouvée, on l’agrippe avec R2. Tout est ensuite une question de coordination et de rythme pour avancer à la vitesse souhaitée.
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Au bout de quelques mètres, la mécanique devient quasi intuitive, mais exige aussi une grande précision. C’est parfait pour comprendre comment se mouvoir comme il faut quand on escalade aussi dans la vraie vie. Tout de suite, le concept de “porte” — l’ennemi ultime de l’équilibre des grimpeur·se·s – prend tout son sens. Oui, évidemment, là, si je veux avancer, il faut que j’utilise ma main droite plutôt que ma main gauche. Notre personnage n’hésite pas à “campus”, c’est-à-dire à se servir uniquement de la force de ses mains, pour affronter quelques passages en “dévers”. Un·e vrai·e pro.
Le réalisme ne s’arrête pas là. Au long de notre évolution de paroi en paroi, on apprend à se servir de sa corde pour monter ou descendre en rappel. C’est pratique, on peut même courir le long d’un mur avec, comme dans Uncharted 4 ou Tomb Raider. Voire se balancer dans le vide, si l’on n’a pas froid aux yeux.
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On peut aussi planter des pitons au cours de l’ascension pour assurer sa trajectoire et même se lancer dans des sauts en hauteur pour atteindre des prises un peu trop hautes. Tout en maintenant L2 et/ou R2, on appuie sur X, on dirige le personnage vers la prise souhaitée avec le joystick, on relâche pour se jeter en l’air — et on n’oublie pas de s’agripper à la fin.
Ça, c’est vraiment l’idéal quand on a une peur bleue comme moi des “dynos”, ces fameux mouvements dynamiques en escalade. Souvent, ils consistent à se propulser avec les jambes pour attraper in extremis une prise — demandant au passage une sacrée confiance en ses muscles. Là, dans Jusant, on s’amuse à évaluer la distance qui nous sépare d’une prise et à sauter vaillamment vers elle… et on y prend goût.
Tous ces mouvements fatiguent dans la vraie vie, et là encore, pour imiter au mieux l’escalade, on se retrouve doté·e d’une petite jauge d’endurance. Là, je vous vois déjà venir, si comme dans Zelda, il faut abuser de potions enduro, non merci. Sauf que ce système est bien plus malin que celui de notre cher Link. Certes, plus on bouge, plus la jauge diminue. Mais une fois immobile, en position stationnaire au bout d’une corde ou agrippé·e, il suffit de presser R3 pour récupérer. Et en soi, ça semble beaucoup plus logique — et pratique.
Jusant sait aussi s’éloigner du réalisme quand il le faut. Si l’on est doté·e d’une jauge d’endurance, en revanche, il n’existe aucune barre de vie. Si jamais vous loupez une prise, vous tombez et c’est tout. Que vous soyez rattrapé·e par la corde au-dessus du vide, ou que vous vous écrasiez par terre, votre personnage poussera bien un petit cri de douleur, mais vous ne recevrez aucun dommage. C’est une prise en main intuitive et réalise donc, sans pour autant tomber dans le punitif. C’est justement ce qui permet de servir tout l’univers si particulier du jeu.
La poésie d’un univers post-apocalyptique privé de la mer
Car Jusant est aussi un véritable poème vidéoludique, à l’univers finement travaillé, qui appelle à la contemplation entre deux ascensions. Si aucun indice ne laisse deviner qui nous sommes et où nous nous trouvons au début, c’est au contraire au fur et à mesure de notre ascension de cette curieuse tour que les contours d’un ancien monde disparu se dessinent.
Déjà, au cas où vous ne le sauriez pas, “jusant” désigne “la période pendant laquelle la marée est descendante”. Un peu comme un reflux, quoi — terme certes plus compréhensible, mais bon, appeler son jeu “Reflux”, à moins qu’il s’agisse d’une aventure en territoire gastrique, ce n’est pas top. On comprend donc que l’on évolue dans un lieu autrefois recouvert par les eaux. D’ailleurs, si l’on y prête attention, l’endroit fourmille de détails appartenant au monde marin. Tonneaux éventrés, filets de pêche usés, coraux, même des petites bestioles furtives, épaves en contrebas… Si la mer a disparu, on la sent encore partout.
Quelques messages dénichés ici et là, souvent des correspondances entre habitant·e·s, livrent quelques explications contextuelles sur ce qu’il s’est passé dans cet étrange environnement. Au fur et à mesure, l’escalade, qui est avant tout une expérience solitaire, se transforme très vite en activité coopérative grâce à notre rencontre avec un petit compagnon. Le jeu vire alors au fantastique, ce qui ajoute une dose de magie à cet univers déjà très poétique. Plus on avance, plus ce monde fait sens, prend vie et appelle à monter toujours plus haut pour en découvrir les secrets.
Jusant est une ode à l’escalade, évidemment, mais aussi une jolie fable écologique et poétique. Si vous pensez qu’un jeu qui consiste à grimper toujours plus haut vous lassera, détrompez-vous : cette ascension est au contraire captivante. Le gameplay est bien plus avancé qu’un Assassin’s Creed, un Tomb Raider ou même un Horizon: Forbidden West, s’approchant plutôt d’un Grow Home, qui demande lui aussi de coordonner bras gauche et droit pour avancer. Il évite de tomber dans le punitif ou l’ultra-complexe — on aurait beaucoup plus galéré s’il avait fallu contrôler les jambes en plus des bras comme dans New Heights. On déplore cependant l’absence de retours haptiques systématiques dès qu’on attrape une prise ; s’ils sont toujours satisfaisants, ceux-ci se limitent aux sauts dynamiques pour l’instant.
Si vous avez toujours eu peur des hauteurs, senti un léger vertige vous envahir quand vous vous penchez à une fenêtre ou que vous vous refusez à tester l’escalade, Jusant sera votre meilleur allié pour savourer le vide — qui est en réalité bien plus habité que ce que l’on croit. C’est un petit bijou qui marie à merveille pratique sportive et contemplation, sur laquelle on saute sans aucune hésitation.
Jusant est disponible depuis le 31 octobre sur Xbox Series X/S, PlayStation 5 et PC (Steam).