Si Twitch est une plateforme formidable sur laquelle on peut rester des heures à visionner des streams aussi divers que nombreux, elle peut aussi nous aspirer dans une faille temporelle qui nous fait oublier que le temps passe. Les lives Twitch sont souvent longs, très longs même et pour peu que deux de vos streamers préférés soient au même moment en direct sur deux activités bien distinctes, la peur de passer à côté de quelque chose (la FoMo, comme disent les Anglais) est bien présente.
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Heureusement, il existe des petits chiffonniers du live pour récupérer et garder une trace des meilleurs moments. Un vrai travail d’archivage artisanal, qui frôle parfois avec l’illégalité vis-à-vis de la propriété des contenus qu’ils (ré)utilisent. On les appelle bien souvent les “chaînes de clips” et dans la francophonie, il s’agit d’une nébuleuse de dizaines de chaînes YouTube qui repostent, avec une rapidité déconcertante, d’infimes extraits des plus gros lives Twitch, accompagnés ou pas de mise en contexte et d’un titre plus ou moins racoleur.
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Toutefois, l’accumulation de clips Twitch sur YouTube n’a pas que des fervents supporters, notamment les créateurs originaux desdits contenus publiés. Au-delà de l’utilisation de leur propriété intellectuelle (certains streamers ont d’ailleurs leurs propres chaînes de clips officielles), c’est surtout le “hors contexte” qui est pointé du doigt. Certains extraits de stream sont parfois associés à des titres exagérateurs (voire mensongers) pouvant détourner le propos ou l’intention du streamer en question.
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C’est ainsi que début 2023, le youtubeur et streamer Joueur du Grenier (JDG) donnait un énième ultimatum aux chaînes de clips pour qu’elles suppriment tout contenu provenant de ses streams. Un avertissement efficace puisque aujourd’hui ne restent sur YouTube que quelques résidus (à peu de vues) de clips de la chaîne Twitch du JDG.
Toutes disparues ? Non. Une petite chaîne résiste encore et toujours à l’ire des créateurs de contenus, au point qu’elle a même obtenu une immunité auprès du JDG. Nom de code : Fat Giorno. Nous l’avons rencontré.
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“On m’appelle ‘chaîne de clips’ mais je ne le suis plus.“
Fat Giorno est un jeune homme d’une vingtaine d’années fort sympathique quoique très discret. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’il a été élevé aux émissions What the Cut et au Joueur du Grenier depuis sa jeune adolescence.
Son parcours est extrêmement similaire à ses (anciens) homologues sur YouTube. “Ça a commencé comme un passe-temps et d’ailleurs ça l’est toujours.” Mais ce n’est pas en reprenant les contenus du JDG ou encore de son comparse streamer (et ex-youtubeur) Antoine Daniel que Fat Giorno commence.
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Lorsqu’il crée la chaîne en octobre 2021, c’est d’abord pour poster des extraits de lives du streamer Sardoche. Trois autres chaînes similaires l’avaient précédé et s’inscrivent dans la même veine et adoptent une identité commune, des références dans leur nom à des personnages du manga Jojo’s Bizarre Adventure : Giorno Giovanna, Speedwagon et Will Zeppeli. Aujourd’hui inactives, Fat Giorno leur adresse tout de même une dédicace : “elles sont toujours dans mon onglet ‘Chaînes'”.
Pour lui, tout part bien sûr d’une image un peu cursed trouvée sur les internets : le personnage de Giorno Giovanna représenté obèse. Ce sera donc Fat Giorno.
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Au départ, Fat Giorno était véritablement une chaîne de clips Twitch. Ses premières publications sont des extraits très courts postés quasiment tels quels. Mais peu à peu, il commence à allonger la durée de ses vidéos.
“C’était d’abord une minute, puis deux. Maintenant, je poste des cinq minutes. On m’appelle chaîne de clips, mais je ne suis plus une chaine de clips. Je fais du montage, je relie les passages, je fais plus des courts best-of.”
Mais progressivement, Fat Giorno s’éloigne de Sardoche, ne regarde plus ses contenus. “À l’époque, c’était principalement parce qu’il s’était remis à jouer à League of Legends, ça m’intéresse beaucoup moins.” Dans le même temps, il a commencé à suivre, avec plaisir et intérêt, la “bande du lundi”, un groupe de streamers se réunissant chaque début de semaine pour jouer à des jeux multijoueurs : ZeratoR, Etoiles, Angle Droit, Mynthos, Baghera Jones, Horty et bien entendu le JDG et Antoine Daniel.
Doublement adoubée
Fat Giorno a donc orienté sa chaîne avec des extraits des streams d’Antoine, puis, très rapidement, du JDG (et souvent des deux lorsqu’ils streament ensemble). “Tout a pris assez rapidement“, explique-t-il. Très vite, la patte Fat Giorno prend et, même s’il affiche un nombre d’abonnés assez réduit (environ 65 000) en comparaison avec le nombre de vues, c’est assez compréhensible au vu de la nature de sa chaîne. “Maximum 15 % des gens qui regardent mes vidéos sont abonnés en moyenne.”
Avec une vidéo quotidienne, le plus souvent majoritairement extraite d’un stream du JDG ou d’Antoine Daniel, la patte Fat Giorno trouve vite son public sur YouTube. On y découvre ainsi des moments hilarants, des instants complètement absurdes et même quelques sujets sérieux soulevés en live par les streamers susmentionnés.
Très vite, les intéressés apprennent l’existence de sa chaîne, “Moi, j’aime bien Fat Giorno, maintenant il fait des petits montages”, exprime Antoine Daniel au détour d’un de ses lives. Le streamer entre en contact avec Fat Giorno. “Il m’a dit qu’il aimait bien ma chaîne, le fait que ce ne soit pas du pur clipping hors contexte. Même pour lui, ça lui montre les moments marquants du stream.”
Peu de temps après, c’est l’équipe du JDG qui le contacte, suite aux mesures que le youtubeur et streamer compte prendre vis-à-vis des chaînes de clips. “Ils m’ont proposé de travailler pour eux, mais je n’ai pas le temps, j’ai un boulot à côté !” Le Joueur du Grenier le laisse néanmoins continuer son activité lui donnant un passe-droit sur ses clips. “Notamment parce que je mets toujours du contexte”, explique Fat Giorno.
Entre-temps, la chaîne engrange une nouvelle croissance. Une vidéo en particulier a particulièrement marqué l’audience, mais aussi Fat Giorno. Elle est extraite d’un live de Jonathan Ong. À la fin d’un de ses lives, Antoine Daniel “raid” (envoie tous ses viewers) sur le stream plutôt méconnu de ce streamer australien spécialisé en création musicale — et particulièrement doué.
Les viewers fraîchement arrivés demandent alors au musicien d’interpréter le thème du générique du Joueur du Grenier, mélodie bien connue sur la sphère Internet française. Le résultat est superbe et Fat Giorno décide d’immortaliser le moment en postant la version sur sa chaîne — et en ayant demandé à Ong l’autorisation au passage.
“Il y a vraiment eu un avant et un après avec cette vidéo, parce que les gens ont vu l’intérêt de ma chaîne : montrer des choses que des viewers auraient pu rater. Il y a plein de gens qui m’ont remercié en commentaire parce qu’ils n’auraient sûrement jamais découvert cette reprise ou même Jonathan Ong.”
“Je pense pouvoir tenir le rythme”
Une vidéo par jour. C’est le rythme que s’est imposé Fat Giorno et ce malgré un métier à côté. Un métier qu’il garde secret d’ailleurs : “C’est plus pour le lol, j’aime bien le côté mystérieux derrière ça, les gens ont des théories farfelues !“, confesse-t-il en riant.
Pour faire une vidéo, Fat Giorno regarde tout simplement les lives. “Certains pensent que je vais piocher dans les clips les plus regardés sur Twitch, mais non je regarde bien les lives, parce que j’aime bien de toute façon.” Le plus souvent, il va se concentrer sur les débuts et fins de lives là où se trouve tout le sel de ses vidéos. “Demain, il y a Alphacast, Mynthos, JDG et Antoine Daniel sur The Son of the Forest, il y a un bon potentiel”, prend-il en exemple au moment de l’interview.
Il local record, il prend des notes, mesure les réactions du tchat. Puis il décide de son moment, de sa thématique pour la vidéo qu’il postera le soir même ou le lendemain. “Avant, il y avait encore plus de concurrence [des chaînes de clips, ndlr.], je me devais d’être hyper réactif”, explique-t-il.
Et même si les vidéos sont relativement courtes à la fin, le montage prend du temps. “Minimum une heure pour une vidéo simple, et dès qu’il y a plusieurs points de vue [quand il y a plusieurs streamers, et qu’ils montrent aussi leurs caméras, ndlr.], ça monte à beaucoup plus !”
“Tous les premiers clips jusqu’il y a quelques mois, je les montais sur téléphone, c’était galère. Maintenant, j’ai une tablette.”
D’autant que Fat Giorno a décidé d’améliorer son contenu, ce qui lui prend encore plus de temps. Pour le titre, il avait déjà la recette : “J’ai toujours fait des titres assez longs et descriptifs, les gens savent à quoi s’attendre, ils ne sont pas pris en traître, il y a du contexte”. Maintenant, il travaille aussi ses miniatures, ce qui“rajoute déjà une demi-heure”. Il commence à ajouter des sous-titres quand apparaissent certains streamers américains comme Jonathan Ong ou Sushi Dragon.
“Quand est-ce que tu dors ?”, lui demande-t-on régulièrement dans les commentaires. En effet, à un tel rythme et avec un métier à côté, on se demande aussi. “Je ne prends pas beaucoup de pauses, mais j’aime bien regarder les lives de toute façon.” Ce n’est pas non plus du pur bénévolat, Fat Giorno assume que sa chaîne est monétisée. D’ailleurs, Antoine Daniel comme le JDG sont parfaitement au courant, et en même temps, au vu du travail fourni, c’est largement mérité.
Pour la suite, Fat Giorno souhaite toujours améliorer son montage. Pour le moment, il ne préfère pas faire d’autres streamers qu’Antoine Daniel ou le JDG : “Ça prendrait trop de temps et les gens viennent sur ma chaîne pour eux”.
Il réfléchit un peu à se lancer sur la création de ses propres contenus. “Peut-être sur Twitch, mais bon je n’ai pas le trop le temps”. Il aime le juste milieu entre sa “petite célébrité” de niche et son anonymat. “Il n’y a que deux, trois personnes et ma famille qui savent que je suis, j’aime bien ce rôle de l’ombre, ce côté mystérieux ; ça fait parler en plus, un peu comme Banksy !”, rit-il.
Mais déjà il doit nous laisser, la pause dej est terminée, et ce soir, il y a un live ! “Ça sera du Antoine Daniel, là il devrait jouer à Ace Attorney ou The Witcher !”