Après plusieurs années d’expérience, on le sait : s’aventurer dans la catégorie “Live” de TikTok, c’est se perdre dans un tourbillon de vidéos toutes plus cheloues les unes que les autres. Débats absolument lunaires, écaillage d’œuf dur, utilisateur·rice·s en plein sommeil… Et puis, soudain, on tombe sur PinkyDoll, aka @pinkydollreal. Malgré nous, on ne peut s’empêcher de rester sur son live tant son contenu est intrigant.
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@official_kanae.kocho Mmmhm😋 ice cream🍦so good😋👍 👅💦👅💦 #fypシ ♬ original sound - ꧁ꨄ𝐊𝐨𝐜𝐡𝐨 𝐊𝐚𝐧𝐚𝐞ꨄ꧂
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“Yes, yes, yes, hmm, ice-cream so good !”
Pendant plusieurs heures, la jeune femme de 19 ans se filme en train de répondre au tchat. Avec ses longs cheveux blonds, son maquillage impeccable et un éternel sourire flottant sur ses lèvres, elle dégage un air assez avenant pour faire rester les spectateur·rice·s sur son live.
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Ça vaut le coup d’œil : dès que quelqu’un lui offre un cadeau virtuel, elle s’anime soudain et esquisse la même répétition de gestes. Chaque cadeau, représenté par une icône — la rose étant le plus connu, mais il y a aussi la glace, le popcorn, le chapeau et la moustache — déclenche une animation différente. Les séquences en deviennent troublantes : la jeune femme enchaîne de façon mécanique, sans pause, les mêmes animations.
Une glace ? Elle feint de lécher un sorbet, bruitages compris, avant de s’exclamer “Hmm, ice-cream so good !”. Un chapeau ? “Yeeeha, you make me feel like I’m a cowgirl”, lâche-t-elle en agitant un lasso imaginaire au-dessus de sa tête. En face de nous, ce n’est plus une simple tiktokeuse, mais une PNJ (personnage non jouable) plus vraie que nature.
À quoi ça rime ? Si la communauté de la jeune femme, soit plus d’un demi-million de personnes, en redemande et ne semble pas se lasser des dons d’argent, beaucoup d’internautes restent pantois·es face à un tel phénomène. C’est pourtant clair : en jouant la carte de l’étrange et en misant à fond sur l’interaction avec son public, PinkyDoll a fondé un empire.
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Des lives qui rapportent 7 000 dollars par jour
Il ne faut pas s’y méprendre : comme tous les contenus bizarres et inexplicables, parfois même dérangeants, que l’on trouve sur l’appli, ces lives représentent une mine d’or. Ils respectent la règle d’or de TikTok : plus le contenu est bizarre, plus il attire l’attention, et donc les vues. Sur les lives, il faut redoubler d’originalité, car ils bénéficient d’une bien moindre visibilité que les vidéos classiques sur le feed.
PinkyDoll le sait bien, et en plus de maîtriser à la perfection les imitations de PNJ, elle ponctue ses interactions de gestes et paroles suggestifs pour intriguer encore plus. Mais jamais dans l’explicite : ce serait enfreindre les règles de la communauté de TikTok. À elle donc de jouer avec la frontière entre l’autorisé et l’interdit.
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Et si, dans son Linktree en bio TikTok, elle ne redirige que vers une page PayPal, il en est autrement sur le Linktree de sa bio Instagram. Là, on retrouve les liens vers ses comptes Mym et OnlyFans. En plus de générer des bénéfices, ses lives représentent donc une excellente vitrine pour le reste de ses activités professionnelles.
PinkyDoll confie à Vice que toute cette histoire a commencé avec un drame familial : c’est lors de l’enterrement de son beau-père que son entreprise de ménage à Montréal a fait faillite. “J’avais besoin d’argent pour nourrir mes enfants et payer les factures”, explique-t-elle. Et elle ne s’attendait absolument pas à devenir virale sur TikTok.
Son rythme : six heures par jour sur TikTok, sept jours sur sept. C’est un travail acharné qui paie, puisque la jeune femme a réussi à réunir 1 million de vues sur un seul live. Ses revenus varient d’un jour à l’autre : elle peut gagner entre 250 et 7 000 dollars par jour.
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Car sous leur apparence enfantine et colorée, ces “cadeaux” que l’on peut offrir lors de lives TikTok représentent un sacré pactole. Pour les donner, il faut acheter des lots de “pièces” sur la plateforme. Le plus petit permet d’acheter 5 pièces pour 9 centimes ; le plus gros vous fera débourser 279,99 euros pour 17 500 pièces. Et si une simple rose ne coûte qu’1 pièce, un “Faucon du tonnerre” lui, exige 39 999 pièces, soit 639 euros minimum par don. Et tout cela monte vite en quelques heures.
L’amour-haine envers les PNJ
Sur TikTok, la fameuse réplique “Gang gang. Ice-cream so good. Yes yes yes!” est rapidement devenue culte et a été reprise par de nombreuses personnes. Critique ou éloge, qu’importe : toute cette discussion en ligne offre une formidable visibilité à PinkyDoll.
Ce n’est pas la seule à être jugée comme dérangeante par les internautes : bien avant elle, la créatrice de contenu japonaise @natuecoco animait déjà des lives en imitant un personnage d’anime. Tout comme PinkyDoll, elle réagit à chaque “cadeau” offert par une réplique bien kawaïnée.
Qu’on le veuille ou non, les faux PNJ fascinent et explosent les compteurs, en particulier sur TikTok. Certains comptes en sont spécialistes, comme Nicki et Loczek, un duo polonais. Leur compte @loczniki suivi par quasi 3 millions de personnes propose carrément des “cours de PNJ”. Léger flottement du corps, tête et bras qui pivotent mécaniquement, tout y est pour devenir le PNJ parfait.
Dans une autre catégorie, les imitations de PNJ “buggés” rencontrent aussi un franc succès. C’est le cas du “Glitch Overlord”, un tiktokeur connu pour ses vidéos dans lesquelles il reproduit les mouvements saccadés d’un jeu qui buggerait. Trucage ou non, premier degré ou humour, ces contenus font débat, car ils nous renvoient l’image d’une humanité à l’apparence inhumaine, aussi perturbante que ces robots humanoïdes qui se développent de plus en plus au fil du temps : c’est ce qu’on appelle l’effet “uncanny valley”, une dissonance cognitive très désagréable. Aussi dérangeante que lorsque l’on mange de la glace trop vite : “hmm”, c’est peut-être “so good”, mais ça fait aussi sacrément mal à la tête.