Dimanche soir, un témoignage est venu briser l’atmosphère idyllique qui régnait jusque-là sur le très populaire serveur Minecraft QSMP, un serveur de RP international d’un nouveau genre à l’initiative du célèbre vidéaste mexicain Quackity, qui regroupe des streamers d’Amérique du Nord, du Brésil, de Corée du Sud, et bien sûr quelques stars internet de chez nous : Antoine Daniel, Baghera Jones, Etoiles ou encore Aypierre.
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Sauf que, dans l’envers du décor, la gestion de QSMP a été l’objet de vives accusations par une des administratrices du serveur. Dans une série de tweets, une jeune femme prénommée Léa, connue notamment pour avoir incarné plusieurs rôles sur le serveur, a décidé de briser le silence pour évoquer les terribles conditions de travail auxquelles elle et ses collègues étaient soumises. Dans la foulée, d’autres administrateurs chargés de différentes missions sur le projet en France mais également à l’étranger ont pris la parole. Konbini a recueilli le témoignage de trois d’entre eux ainsi que de membres d’autres serveurs similaires mettant en lumière un problème récurrent : la gestion difficile de projets communautaires, entre passion et exploitation.
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Des bénévoles corvéables à merci
Les recrutements se déroulent toujours plus ou moins de la même manière : dépôt de candidatures via des formulaires Google Forms et admission après une brève réunion sur Discord avec les “administrateurs en chef”, dans l’objectif d’offrir ses services en tant que bénévole. Mais la réalité ensuite apparaît bien souvent différente. Sur des serveurs d’envergure comme QSMP, il existe une hiérarchie entre les différents membres : un grand directeur administratif, des administrateurs plus petits, des coordinateurs, puis des assistants, des acteurs constructeurs et des développeurs.
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Initialement, tous les administrateurs dont nous avons recueilli les témoignages ont postulé en tant que bénévoles et voyaient en cette activité un hobby à pratiquer sur leur temps libre. Rapidement, certains ont constaté qu’on attendait d’eux un engagement supérieur à celui d’un bénévole. Ils confient notamment avoir été mis sous pression pour pouvoir être disponibles à chaque live, sans jamais être prévenus en avance, parfois jusque “3 ou 4 heures du matin”, des horaires décalés imposés par les horaires des streamers américains.
Tous affirment que l’engagement auquel ils étaient contraints ne correspondait pas à celui d’un bénévole. “En septembre dernier, j’ai été absente pendant deux semaines en raison de vacances, j’ai reçu un message pour me faire comprendre que ce n’était pas possible que je sois si peu disponible, ou sinon je devrais partir”, confie un d’eux, une pression que confirment d’autres bénévoles.
À cela, les administrateurs soulignent une gestion chaotique et des règles absurdes : ils pouvaient attendre des semaines avant d’obtenir des informations essentielles auprès de leurs supérieurs et avaient interdiction de communiquer avec d’autres administrateurs non francophones. Certains estiment que ce muselage avait pour objectif de les empêcher “de faire remonter et d’aborder les soucis auxquels ils faisaient face”.
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Pour éviter les débordements, les administrateurs en chef ont mis en place un formulaire pour faire remonter les demandes, mais “rien n’a jamais changé”, relève Ibob, administrateur sur le compte X/Twitter @QsmpFRA, le réseau social francophone du serveur.
Travail dissimulé et management toxique
Certains soulignent également que la charge de travail s’est révélée bien différente que ce pour quoi ils avaient été recrutés. Gaelleilei, également administratrice sur le compte X/Twitter @QsmpFRA, explique que la mission initiale pour laquelle elle avait postulé était “de faire des tweets pour retracer le lancement des lives des différents streamers francophones”. Au fil des jours, sa mission est devenue bien plus que de simplement tenir à jour les réseaux du serveur. Avec son équipe, ils étaient aussi tenus de retranscrire les autres lives en français, de faire des montages, de créer des mèmes… “Ce travail dit bénévole [pour lequel ils n’ont jamais signé de contrat, ndlr] est en réalité pour moi un travail de community manager dissimulé. La charge demandée ainsi que les conditions de travail imposées sont bien plus que ce qui est demandé pour du bénévolat”, constate Gaelleilei.
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Au fil des mois, les conditions se sont dégradées lorsque certains ont été promus à des postes avec encore plus de responsabilités. Cette fois-ci, ils devaient être rémunérés par Quackity Studios, la structure en charge du projet. Concernant la rémunération sur le serveur, “certains étaient censés être payés [comme les administrateurs du serveur, ndlr], d’autres non, finalement personne ne semble l’avoir été hormis les développeurs”, explique Ibob. Léa, initialement recrutée pour les mêmes missions, a été promue en octobre 2023 et était, depuis, en plus de ses missions initiales, roleplayer (incarnant des rôles sur le serveur), builder, designer, traductrice pour le média du serveur et illustratrice.
La jeune femme explique également qu’elle devait participer à des réunions pour brainstormer et créer des streams : “J’aidais à écrire le lore du serveur et le lore pour les créateurs de contenu…” Une tâche de travail qui représentait “bien plus de 35 heures de travail par semaine” et “au moins 100 heures par mois in game [en tant que roleplayer, ndlr]”, selon les dires de la jeune femme, et pour laquelle elle n’a commencé à percevoir un salaire qu’à partir de janvier 2024.
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Ce montant s’élèverait à seulement 169 euros par mois. Pour l’instant, elle justifie, preuve à l’appui, qu’elle n’a reçu qu’un seul virement. Une somme terriblement faible qui serait du même niveau pour l’ensemble de ses autres collègues rémunérés.
La jeune femme et les autres administrateurs sont restés silencieux pendant plusieurs mois, intimidés par la clause de non-divulgation (NDA en anglais) qu’ils ont dû signer avant de s’engager sur le projet.
En effet, par son côté “roleplay”, la gestion interne du projet et les avancées restaient parfaitement confidentielles afin de faire la surprise aux streamers, sans briser le quatrième mur de l’histoire (le “lore”) créé autour de QSMP. Cet accord aurait permis aux chefs du projet de faire pression, mais nous avons contacté le syndicat Solidaires Informatique qui a largement remis en doute la valeur juridique de cet accord.
C’est après s’être rendu compte que Léa avait échangé avec le streamer Aypierre au sujet du serveur que les chefs de ce dernier décident de la virer le 13 février, et ce, sans avertissement. Conseillée par le syndicat Solidaires Informatique, la jeune femme décide alors de constituer un dossier, que Konbini a pu consulter, pour que le syndicat informe les streamers de la situation. Après plusieurs jours d’attente et n’observant aucun changement significatif sur la gestion du serveur, elle décide finalement, dimanche 4 mars, de rendre l’affaire publique, toujours épaulée par le syndicat. Dans la foulée, le syndicat a lancé un appel à témoignage avec la volonté d’“attaquer l’entreprise” et d’“obtenir justice pour les victimes”.
Le problème récurrent du travail communautaire dans les serveurs Minecraft
Face à l’envenimement de la situation, certains streamers francophones n’ont pas tardé à réagir. C’est notamment le cas d’Antoine Daniel, qui, dans son live du 4 mars, a pris la parole pour exprimer son soutien aux administrateurs. Il explique également que les streamers francophones ont rédigé en parallèle un communiqué destiné à Quackity et aux administrateurs en chef pour exprimer leurs désaccords sur les méthodes de traitement employées à l’encontre des administrateurs et des assistants du serveur, notamment après le renvoi de Léa.
Antoine Daniel a également laissé savoir qu’il “ne retournerai[t] pas sur QSMP tant qu’il n’y aurait pas eu de changements et de preuve de ces changements”. Dans la foulée, Quackity s’est défendu dans un live en affirmant ne pas être au courant des méthodes employées et qu’il allait investiguer personnellement sur cette affaire. Peu de temps après, le serveur a annoncé sa fermeture provisoire “pour quelques jours” sans donner plus de détails.
Léa affirme que “Quackity n’était pas trop impliqué et préférait rester à part pour ne pas se faire spoil [gâcher la surprise, ndlr]”. Néanmoins, malgré ses nombreuses autres activités, il gardait un œil sur le projet et “pouvait demander des modifications importantes de dernière minute”. La mauvaise gestion des serveurs en ligne est loin d’être un cas à part, comme le prouvent les dizaines de témoignages recueillis par la rédaction et qui concernent plusieurs serveurs différents.
En France, le vidéaste Inoxtag a également été pointé du doigt après la fermeture chaotique de son serveur Minecraft OneCube. Après plusieurs couacs en interne, notamment des problèmes avec des administrateurs ainsi que des dizaines de milliers d’euros investis, le vidéaste s’était finalement résolu à mettre un terme à son projet en avril 2023.
Si tous les serveurs ne connaissent pas la même issue que QSMP, les sacrifices impliqués par de tels engagements sont récurrents chez les petites mains qui les façonnent. Entre la fierté de participer à un projet d’envergure ou même de côtoyer tout un panel de créateurs de contenu, le travail communautaire trouve ses limites dans sa juste reconnaissance, notamment fiduciaire.
Cette logique de bénévolat “qui n’en est pas vraiment” mise sur le travail de la communauté et est très répandue dans le monde de la création web autour du jeu vidéo, constate Marc, syndicaliste à Solidaires Informatique. Malgré l’aspect plus “challengeant” du cas QSMP qui concerne des structures à l’international, le syndicat n’en est pas à sa première affaire. L’année dernière, le serveur Minecaft Erisium avait été lui aussi marqué par des faits similaires de travail dissimulé.
Ironie de la situation : si tous les administrateurs à l’international semblaient concernés par ces dérives, ce sont évidemment les administrateurs français qui ont été les premiers à s’insurger de ces méthodes et dénoncer les manques en matière de droit du travail. Car, en France, on ne rigole pas avec le droit du travail.