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Un vidéaste qui se filme en train de réagir à une vidéo, pouvant donner lieu à une autre vidéo dans laquelle un vidéaste se filme en train de réagir à la vidéo réaction : de quoi donner le tournis !
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Venu des États-Unis, le react consistait d’abord à dénicher des contenus insolites en ligne pour en rire et commenter leur caractère absurde, en particulier sur la plateforme YouTube.
Peu à peu, le concept s’exporte outre-Atlantique et évolue. Le premier youtubeur de France, Squeezie, investit le créneau autour de 2018. Il propose alors des reacts, souvent appuyés sur des contenus du site communautaire Reddit, sur des sujets comme les petites annonces les plus insolites, les pires cadeaux de Noël…
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Avec le succès des formats longs sur la plateforme de streaming Twitch, les vidéastes ont la possibilité de commenter des formats plus longs, et notamment des émissions de télévision comme la très populaire Kitchen Nightmares (Cauchemar en Cuisine en français) leur offrant ainsi un second souffle auprès d’un public ayant déserté la télévision. Cumulant des millions de vues, les best of des lives disponibles sur YouTube témoignent de l’engagement des viewers à l’égard de ces contenus.
Les émissions télévisées, cibles privilégiées
Les vidéastes francophones ne font pas exception. En 2019, le streamer Etoiles se fait connaître en commentant le jeu de culture générale Questions pour un champion, dans le but, d’un jour, lui-même s’y présenter.
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Le concept devient si populaire que la web TV de la plateforme LeStream y consacre une émission hebdomadaire en prime time, Le React, animée par les streamers Jiraya et Xari. Le react permet une expérience de visionnage amplifiée, plus active, adaptée aux habitudes des internautes. “Je ne pense pas que ça intéresserait un consommateur régulier de M6. Ça demande une gymnastique du cerveau entre le tchat, le streamer et le contenu regardé”, commente Mayelle, adepte des reacts.
Le dispositif offert par Twitch permet de redonner du sens à ses émissions un peu “vieille école”. Une autre streameuse habituée aux reacts et qui a préféré garder l’anonymat dit adorer “râler, échanger, débattre avec les viewers” à leur sujet, proposant plus qu’un visionnage passif en solitaire. Ce système rend collectif le hate-watch, très répandu sur Internet, consistant à regarder du contenu pour le critiquer négativement. “Passer par le filtre du streamer ou de la streameuse est moins culpabilisant”, explique le streamer Escargoog.
“Commenter de façon sérieuse”
En effet, à l’aspect purement divertissant, le react apporte une valeur ajoutée aux contenus originels en permettant un recul critique. Benjamin Valbon aka Flonflon a construit une partie de sa notoriété grâce à l’enthousiasme particulier de sa communauté pour ses reacts à d’anciennes saisons de la Star Academy. Le streamer est conscient que ce télé-crochet véhicule souvent des comportements sexistes, misogynes ou encore racistes. Il y a, selon lui “matière à commenter de façon sérieuse et en même temps c’est un bon moyen pour trouver de bonnes vannes”.
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C’est un avis largement partagé, certain·e·s streamers et streameuses vont même plus loin dans cette déconstruction des préjugés. Récemment, une streameuse s’est retrouvée face à un dilemme dans le cadre de la retransmission de l’émission L’Amour est dans le pré.
La présentatrice Karine Le Marchand a été jugée incompatible avec les valeurs de sa chaîne, la streameuse a donc décidé de créer la commande !karine. Elle permet d’alerter ses viewers et de se détacher des prises de position de cette dernière.
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Le react permet aussi de partager des connaissances autour du monde de la télévision. Browkavision, viewer travaillant dans ce milieu, utilise le tchat des reacts pour expliquer comment se passent les tournages, chose qu’il n’a pas la possibilité de faire ailleurs. Un avis que partage Flonflon. À la suite de ses reacts aux primes de la Star Academy, le streamer a reçu sur sa chaîne d’anciens candidats pour qu’ils puissent apporter leur propre point de vue. Il en va de même pour les émissions culinaires très populaires sur Twitch comme Le meilleur pâtissier ou Un Dîner Presque Parfait où de nombreux streamers et streameuses enrichissent le contenu de leur expérience et de leur savoir-faire personnel.
Qu’en pense la télé ?
Malgré le succès, Flonflon reste attaché à l’idée de ne pas s’enfermer uniquement dans les contenus react. La cause ? L’insécurité permanente autour de la question des droits d’auteur. Les streamers et les streameuses sont bien conscient·e·s qu’ils “utilisent ces contenus sans demander la permission en espérant que les productions des émissions soient cool”, détaille Flonflon.
S’il n’existe pour le moment aucune réglementation claire autour de la réutilisation des contenus télévisuels et que les sanctions ne sont appliquées qu’après signalement des propriétaires des contenus, certaines boîtes de production ne voient pas nécessairement d’un bon œil la réutilisation de leurs programmes sur Twitch. Si une grande partie d’entre elles laissent faire, c’est qu’elles n’ont étonnamment pas connaissance de la réutilisation de leurs contenus en ligne. Il arrive toutefois que des vidéastes se fassent temporairement bannir leurs chaînes Twitch pour avoir visionné des contenus protégés. Très récemment, la chaîne Twitch de Zack Nani en a fait les frais après avoir diffusé des extraits de la Bundesliga.
“On a une influence positive sur la popularité des contenus”
Pour autant, nombre de streamers et streameuses comme Etoiles, jugent que la télévision a tout intérêt à trouver des accords avec les créateurs et créatrices de contenu plutôt que de les sanctionner. Le streamer a constaté que ses fameux reacts ont eu pour effet d’augmenter les audiences du jeu télévisé en replay. “On a une influence positive sur la popularité des contenus. J’ai intéressé des gens à la Star Academy qui n’avaient jamais regardé ça avant. J’en ai même poussé à aller jusqu’à Paris pour assister aux prime times pour voir Nikos en vrai !”, explique Flonflon. Il va même plus loin en dénonçant une erreur de la part des boîtes de production : “Ils pensent qu’en tapant sur les doigts et en supprimant mon contenu, les gens vont retourner regarder sur leur plateforme, mais c’est une erreur parce que ce n’est pas le cas.”
Le react nourrit aujourd’hui le débat sur le fair-use, l’utilisation légitime des contenus préexistants, certains le considérant comme du “vol”, “un truc de flemmard” puisque les créateurs ne produisent plus de contenu en propre. Face à la popularité de ces contenus, des accords ont été conclus entre TF1 et les streamers Jean Massiet, Samuel Étienne, HugoDécrypte et Sardoche, les autorisant à retransmettre le débat présidentiel de l’entre-deux-tours sur Twitch monnayant 2 000 euros. Si, dans ce cas, Flonflon estime que “la stratégie du pognon” n’est pas acceptable quand il s’agit de contenus informationnels, il se dit prêt à payer des droits de diffusion si cela peut lui permettre de continuer ses reacts de la Star Academy sans crainte.