À Montréal, les bagels constituent un pan incontournable de la culture et de l’identité gastronomique de la ville. Depuis le début des années 1950, on y fabrique jour et nuit ces petits pains selon une technique ancestrale, importée par des immigrés juifs, qui inclut une cuisson au feu de bois. Mais cet héritage historique et culturel, propre à Montréal, est aujourd’hui menacé.
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Au début du mois d’octobre, les autorités ont exprimé leur volonté de restreindre l’utilisation des fours à feu de bois compte tenu de leur influence sur la qualité de l’air… et sur le confort du voisinage. Ces dernières années, les plaintes se sont effectivement multipliées, pointant les odeurs et les particules fines émises par les fours à feu de bois à travers la ville.
Nuisances pour les voisins
“Il y a des citoyens à proximité d’établissements avec un four à bois qui subissent des nuisances réelles et qui sont préoccupés”, regrettait Laurence Houde-Roy, porte-parole du comité exécutif de la ville de Montréal à Radio Canada. Impossibilité d’ouvrir les fenêtres l’été ou de faire sécher du linge à l’extérieur… Ce mécontentement a ainsi poussé les autorités à prendre des mesures auprès de quarante établissements et restaurants dans différents quartiers de la ville.
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Si les fabricants emblématiques de bagels (Fairmount Bagel et St-Viateur Bagel) sont visés par ces mesures, d’autres acteurs historiques sont également dans le collimateur de la direction de la santé publique de Montréal, comme les rôtisseries portugaises Romados et Ma Poule Mouillée, qui ont recours au charbon pour la cuisson de leurs célèbres poulets. Mais pour l’heure, nul ne sait vraiment si les restrictions s’appliqueront à ces enseignes ou uniquement aux nouveaux commerces.
Dans un long billet publié dans The Globe and Mail, Joseph Rosen, auteur et professeur d’université à Montréal, s’est longuement épanché sur cette situation délicate, à la fois compréhensible – d’un point de vue écologique – et quelque peu démagogique à ses yeux. Et si l’on s’intéressait plutôt à l’industrie du sirop d’érable, à l’élevage intensif de bovins, aux émissions de gaz des camions de livraison ? “J’imagine qu’il est plus facile de s’attaquer à des affaires familiales plutôt qu’à des grosses industries”, écrit-il.
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Bagel vs. gentrification
Mais il faut aussi garder en tête que le discours et la dimension authentique véhiculés par certains fabricants artisanaux de bagels ne colle parfois plus vraiment à la réalité économique et logistique de leur activité. Les bagels fabriqués par le très réputé Fairmount Bagel ne s’adressent plus uniquement aux locaux et aux habitants du quartier.
Depuis 1989, cette boutique artisanale, située en plein cœur du quartier très couru du Mile End, fournit, par exemple, l’enseigne de grande distribution américaine Costco et de nombreux autres points de vente. Et ça, pour Joseph Rosen, “cela compromet un peu l’image romantique d’un business local qui fait la même chose depuis 65 ans”.
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Le billet évoque surtout la portée symbolique et politique de ces mesures. En bannissant la méthode traditionnelle de fabrication des bagels, il estime que l’on risque d’anéantir quelque chose d’unique et de spécifique à l’histoire de Montréal. “Cela s’inscrit dans une tendance plus large qui transforme nos villes. Cela ressemble et cela sent bon la gentrification.”
“Alors que les prix de l’immobilier augmentent, nos quartiers deviennent de plus en plus propres et jolis, mais les enseignes locales ferment et sont remplacées par des chaînes génériques qui menacent de donner à Montréal le même sentiment que d’autres villes.”
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En attendant que les autorités montréalaises tranchent définitivement sur la question, certains restaurateurs ont pris les devants. La rôtisserie Ma Poule Mouillée a déjà entrepris de filtrer ses émissions de fumée alors que la fabrique de bagels St-Viateur s’est dotée d’un nouveau four hybride alimenté au gaz à 90 %. Un investissement qui a du bon, puisque la réduction drastique des émissions ne semble pas avoir altéré le “goût de fumée” de ces précieux bagels.