J’adore les défis idiots, et j’aime souvent me compliquer la vie. Depuis plusieurs semaines, les pièces montées me hantent. Le départ de cette obsession ? La dissection d’un saint-honoré lors d’un goûter chez ma grand-mère, le tout couplé à la diffusion sur YouTube de cette vidéo de Tasty. Qui serait assez fou pour suivre une recette en top shot aussi longue ? À la manière d’un enfant qui décide au début de ses vacances de nager jusqu’à la bouée la plus éloignée de la plage, me voilà jetant ma serviette sur le sol et courant face à l’océan, un océan de crème pâtissière.
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Jeudi : 10 heures
Depuis deux jours, je croise et recroise des recettes de choux : celles de bouquins de pâtisserie que je possède, celles du grand Internet et celles dans ma tête. Armé d’une calculette et de mon plus beau crayon, je convertis des “cups”, des “spoons” et autres degrés Fahrenheit. Je n’avais pas fait autant de travail préparatoire depuis mon premier exposé à la fac. Je n’avais pas fait autant de produits en croix depuis le CM1. Au final, voici ma liste de course :
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- 2 litres de lait
- 2 gousses de vanille
- 1 kilo de sucre
- 500 grammes de beurre
- 1 kilo de farine
- 30 œufs
- 30 centilitres de crème liquide
- 1 matelas en silicone
- 1 poche à douille
La caissière de mon supermarché me regarde chelou, mais il est 18 heures, nous sommes jeudi, et me voilà en possession de toutes mes munitions pour m’attaquer à ma pièce montée.
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Vendredi : 23 heures
Petite précision avant de commencer le vif du sujet : je cuisine tous les jours, je ne suis pas un chef mais j’ai mon niveau en cuisine. J’ai l’habitude de cuisiner pour de grandes tablées et ma cuisine est relativement bien équipée. En bref, je fonce vers la bouée à l’horizon avec quelques notions techniques ; l’équivalent de savoir nager. Et il est temps de se lancer. J’organise un dîner chez moi samedi pour une dizaine de personnes, l’occasion rêvée pour présenter mon ouvrage, pour le moment fantasmé.
Vendredi soir, c’est le début du week-end ! Je sors voir des potes dans un rade. Je leur parle de ma pièce montée, ils s’en foutent, normal. Je la vois pourtant dans ma tête. Et sur les coups de 23 heures, je rentre chez moi bien décidé à commencer la recette. Faire la crème pâtissière la veille me semble une bonne idée, alors me voilà en tablier à l’heure de sortir en club.
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18 jaunes d’œuf battus avec du sucre, une casserole pleine de lait infusé à la vanille, je réussis ma préparation du premier coup. Je vais donc me coucher l’esprit serein avec plusieurs litres d’une crème pâtissière bien brillante dans le frigo.
Samedi 11 heures
Les choses sérieuses commencent. J’ai déjà fait de la pâte à choux, mais jamais trois kilos de pâte à choux. J’organise mon espace de travail, je prépare mes ingrédients et je lance le nouvel album de Camila Cabello afin qu’elle veille sur moi pendant les heures à venir. Malgré quelques débordements de casserole et le fait de me retrouver au bord de la crampe en “séchant” la pâte sur le feu, me voilà rapidement en possession d’une quantité conséquente de pâte à choux.
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Samedi 13 heures
Je déteste les poches à douille. J’ai bien maté des dizaines de tutos sur la question, je n’arrive jamais à faire ces belles spirales et autres vagues régulières qu’on peut voir dans les satisfying videos qui font de la pâtisserie la reine du like sur Instagram. Mais je suis patient.
Petit calcul : une fournée de choux prend environ 30 minutes. Je fais cuire les choux par 25. J’ai de quoi en faire au moins 150. J’en ai donc pour au moins 3 heures de cuisson.
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Samedi 17 heures
Après quelques fournées un peu difformes, j’ai pris de l’assurance sur le pochage des choux. J’en ai fait cuire au moins 170, mes invités arrivent dans trois heures et j’ai juste envie de faire la sieste. Après un café, je parle gentiment avec ma poche à douille : je dois encore l’utiliser pour fourrer les choux de crème pâtissière. Elle me dit que ça va aller.
Samedi 18 heures
Les choux sont fourrés, je répète, les choux sont fourrés. Ma cuisine regorge de plaques recouvertes de petits choux. J’en ai mangé un ou deux ratés, ils sont bons. Il est donc temps de me lancer dans la glu de ma pièce montée : le caramel.
J’ai déjà préparé des caramels. J’arrive donc sans trop de peine à mes fins sans mettre le feu et sans me brûler les doigts. Fier de moi, j’enchaîne sur l’assemblage.
Dès le premier rang de petits choux, je sais que ma pièce montée va se transformer en pièces montées. J’ai beaucoup trop de choux, et absolument pas la technique pour empiler ces petites boules recouvertes de caramel jusqu’au ciel. Ils font comment les pros ? Je n’avais pas poussé mon travail préparatoire jusque-là.
Samedi 19 heures
Après pas mal d’heures en cuisine, j’ai devant moi trois pyramides de choux. Mes pièces montées sont humbles mais magnifiques. Elles font 2 mètres de haut dans mon cœur.
Dimanche 17 heures
On a mangé des choux. Au dessert, samedi soir. Au brunch, ce matin. J’ai appelé des renforts. J’ai donné des tupperwares de choux. Mon frigo est vide de pâtisserie.
J’ai atteint la bouée. Ce sera la première et la dernière fois.