Accéder à la cave à vin du George V, le plus grand palace de Paris et monument de la capitale, est un bel exercice de patience. Pour avoir la chance de s’y faufiler, il faut montrer patte blanche, car tout le monde n’a pas l’occasion d’y mettre les pieds. L’autre solution serait de convaincre une personne bien placée à l’hôtel de vous y faire entrer, mais, là encore, vos chances sont minces. Et pour cause, il vous faudra encore passer le dernier rempart, probablement le plus délicat, qu’est Éric Beaumard, le charismatique et éloquent sommelier de la maison.
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Hormis quelques rares occasions, la cave n’ouvre que rarement ses portes. Il se dit même que seuls quelques rares employés savent où elle se situe. Nichée en plein cœur du palace, quelque part quatorze mètres sous terre, la cave à vin n’est pas singulière que par sa localisation et par le nom auquel elle est accolée, celle-ci est également l’une des plus grandes caves de la capitale, avec près de 50 000 bouteilles et pas moins de 2 800 références. Alors que le George V s’apprête à dévoiler au grand public quelques-unes de ses quilles à l’occasion d’un pop-up de fin d’année, le sommelier Éric Beaumard a accepté de nous faire découvrir ce lieu unique au monde.
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La visite commence dans les salons du palace et se poursuit à travers une porte dérobée, dissimulée dans un imposant mur, puis les entrailles de l’établissement. Il faut passer les cuisines, descendre des escaliers, traverser la buanderie, se faufiler entre les chariots de linge et trouver, quelque part dans les méandres de ces interminables couloirs, un escalier en colimaçon menant à une épaisse porte blindée recouverte de bois. Éric Beaumard bidouille alors un petit boîtier électronique, celui-là même qui permet à quelques rares élus et employés de l’hôtel d’avoir accès à la réserve.
Dans une période où les vols de vins prestigieux, dans les vignobles ou dans les restaurants, se multiplient, ces mesures de sécurité ne sont pas de trop. Derrière ces parois en calcaire – le même qui a servi à bâtir l’Arc de Triomphe –, on retrouve des vins rares, précieux et parfois très onéreux. “Le plus vieux flacon est un madère qui date de 1792, dit le sommelier, en pointant du doigt une bouteille trônant fièrement à l’entrée de la cave. Quant à la bouteille la plus onéreuse présente sur la carte des vins, c’est un magnum de Pétrus de 1959 que l’on garde ici en lieu sûr”.
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Si la cave fait aujourd’hui la fierté du palace, celle-ci revient de loin et vécu des époques plus ou moins fastes par le passé. La cave fut d’abord murée pour prévenir toute intrusion de l’ennemi lors de la Seconde Guerre mondiale, puis elle faillit même disparaître à la fin des années 1990. À cette époque, le George V est racheté et s’apprête à faire peau neuve. Mais avant de rendre les clés, les anciens propriétaires prennent la décision de vendre aux enchères les meubles et les vins de l’hôtel. Il ne reste alors qu’une centaine de bouteilles dans la cave, et presque plus aucun de ses grands crus. En 1997, alors que les travaux de rénovation débutent, il est même envisagé de détruire la cave.
Finalement, elle sera conservée et le travail de reconstitution des stocks sera confié au sommelier Éric Beaumard, celui-là même qui nous fait la visite de cette réserve impénétrable. “Eh oui, ça fait déjà vingt ans que je suis là, sourit-il. Mais cela n’a pas toujours été simple. Il a fallu repartir de zéro, rencontrer les vignerons, reconstruire la cave, acheminer les bouteilles…” Pour accomplir cette mission, le George V accorde alors sa totale confiance au sommelier – qui vient d’être tout juste nommé vice-champion du monde en sommellerie.
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Il voyage alors à travers la France et le monde, à la rencontre d’amis, de producteurs et de vignerons de tous horizons. “Au début, j’ignorais les besoins réels de l’hôtel”, se souvient-il. Il commence par acheter 7 000 bouteilles. “Au bout de six mois, j’avais déjà tout vendu, il fallait recommencer”. Outre le souci de stockage, le sommelier se heurte à un autre obstacle de taille. “On n’arrivait pas à conserver les stocks, et donc à faire vieillir les bouteilles”. Au fil des années, il accentue donc l’achat de flacons pour arriver à 15 000 bouteilles en 2002, et grimper jusqu’à 50 000 bouteilles aujourd’hui. Un stock en perpétuel mouvement, quand on sait que le palace écoule jusqu’à 65 000 bouteilles par an… “quand tout va bien”.
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Parcourir les étagères de la cave est un véritable voyage. De l’Italie à l’Argentine en passant par les États-Unis, la Californie, l’Afrique du Sud, les grands crus de Bordeaux ou des découvertes du nouveau monde, chaque cul de bouteille réserve son lot de surprises. Pour faire vivre ce lieu aussi profond qu’une ligne de métro, Éric Beaumard a des journées chargées et voyage beaucoup. Chaque mois, il part arpenter les routes de France à la rencontre de vignerons. “C’est même inscrit dans mon contrat de travail. Ces dernières semaines, j’y suis allé pour leur dire que je leur en prendrai moins que prévu, puisque les restaurants de l’hôtel sont fermés. C’est un crève-cœur”.
S’il tient à conserver une carte des vins irréprochable et dans l’air du temps, seuls 2 % à 3 % de nouveaux vignerons ont la chance de voir leurs vins y figurer. Quant aux vins naturels qui ont le vent en poupe, c’est un débat qu’il n’évite pas. “Évidemment qu’utiliser le moins de produits pour la réalisation de vin, c’est mieux, dit-il. Mais je ne peux pas me permettre, ici, de proposer des vins qui ne sont pas stables”.
Du 16 décembre au 10 janvier prochain, le George V proposera ainsi une cinquantaine de références au grand public. Des quilles pour toutes les bourses, qui varieront entre 36 euros et quelques grands crus à 2 280 euros. L’occasion rêvée pour goûter aux joyaux de cette cave unique en son genre. Pour les plus gourmands d’entre nous, sachez qu’il sera également possible de repartir avec des pâtisseries et petits plaisirs sucrés du (très prometteur) chef pâtissier Michael Bartocetti.