Ne vous fiez pas à ses grandes fenêtres, à son jardin paradisiaque et à ses murs si blancs qu’ils vous en feraient mal aux yeux : le Mirazur est une petite forteresse où l’on n’entre qu’au prix d’une grande patience. Le carnet de réservation affiche complet plusieurs mois à l’avance, et ce n’est pas près de s’arrêter. “Il n’y a plus une table de libre jusqu’à la fin de l’année”, prévient Julia Colagreco.
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Le Mirazur est un restaurant unique en son genre. Perché dans une bâtisse des années 1930, entre terre et mer, depuis une quinzaine d’années, le restaurant a gravi progressivement tous les paliers qui comptent dans le monde de la gastronomie : la troisième étoile, le prix de chef de l’année et, enfin, la première place du prestigieux (et très respecté) classement du 50 Best. Autant de décorations qui font du Mirazur, aux yeux de beaucoup, le “meilleur restaurant du monde” à l’heure actuelle.
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Venir au Mirazur n’est jamais une expérience anodine. Car venir au Mirazur, c’est débarquer à Menton, à quelques mètres de la frontière italienne et entrer dans un monde nouveau. C’est se laisser transporter dans la cuisine d’un chef prodige, passé par les cuisines des plus grands – Bernard Loiseau, Alain Ducasse, Alain Passard… –, pour y vivre une parenthèse culinaire unique en son genre. Un voyage à forte teneur végétale, jamais figé, toujours mouvant, entre produits du terroir, des sous-bois, de la mer et des montagnes. Une cuisine “vivante”, comme Mauro Colagreco aime la décrire.
Laboratoire de contrastes
Venir au Mirazur, c’est aussi découvrir un laboratoire de contrastes, entre les montagnes et la mer qui entourent le lieu, entre les mille et une nationalités qui cohabitent en cuisine, entre les grands sourires et les mines concentrées de Mauro Colagreco, entre la brutalité d’une cuisine et sa déroutante sophistication. Et si venir au Mirazur est un moment aussi singulier, c’est également qu’il n’est guère facile d’y trouver une table où s’asseoir.
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Alors que nous étions prêts et déterminés à attendre patiemment notre tour, une belle surprise est finalement venue se glisser dans la boîte mail de la rédaction. Le temps d’une soirée, nous voilà conviés à venir à Menton afin d’y goûter la cuisine du chef triplement étoilé Mauro Colagreco. Ce soir-là, il partageait ses fourneaux avec Josean Alija, le chef espagnol discret et expérimental à la tête de Nerua, le restaurant étoilé du musée Guggenheim de Bilbao (Espagne).
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Parenthèse unique
Avant de partir pour le sud de la France, un ami qui avait eu la chance de venir au Mirazur m’avait prévenu : “Les repas sont longs, mais passent à une vitesse folle”. Et ce repas n’y fait pas exception. Au moment de sortir de table, à minuit passé, on s’étonnerait presque d’en avoir terminé. Dans les assiettes, les deux chefs déroulent et synchronisent leurs classiques, à commencer par un tourteau pomme verte/romarin et une farandole de haricots blancs servis dans un bouillon de réglisse.
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Sous le soleil
À suivre : un artichaut aux amandes, à la truffe et au jus de poireaux, une (mémorable) échalote au beurre noisette, câpres et caviar et un étonnant trio de crevettes crues servi dans son bouillon de maïs basque, avec ce qu’il faut d’oursin pour relever le tout. Les deux chefs poursuivent leur quatre mains avec un très charnu concombre de mer, un saint-pierre/sauce shiso et saké et, enfin, un cabri enrobé de pistache et bordé à la salicorne.
Pas une seconde de retard
Le lendemain matin, Mauro Colagreco nous a donné rendez-vous. “Vous n’allez quand même pas repartir comme ça”. Dans la rotonde de la bâtisse donnant sur la baie de Menton, il nous attend pour une heure d’entretien (à lire dans les prochains jours sur Konbini Food). Une fois l’interview terminée, il se lève et s’éclipse en cuisine. Le service du midi approche, pas question de prendre une seconde de retard.
Depuis le passe-plat, il hèle Donato, son sous-chef napolitain en poste depuis quatre ans dans la maison. C’est lui qui nous fera la visite des jardins du Mirazur, qui n’ont désormais plus aucun secret pour lui. D’abord celui des agrumes, en contrebas du restaurant et à l’ombre du plus grand avocatier de la région, où les célèbres citrons de Menton cohabitent avec les mandarines, les oranges, les pamplemousses et d’innombrables fleurs comestibles.
À quelques mètres de là, Donato nous embarque vers un autre jardin, invisible depuis la petite route que nous empruntons. En haut d’un escalier escarpé, nous atterrissons dans le jardin de la maison du chef où, sur plusieurs étages et terrasses, il a installé son potager. Tout au long de l’année et des différentes saisons, ce sont près de 150 espèces végétales, arrosées à l’eau de montagne, qui se succèdent dans les serres et enclos.
Potager avec vue
À flanc de montagne et avec une vue imprenable sur la mer, le potager compte aussi plus d’une trentaine de variétés de tomates, insiste Donato, et subvient ainsi à 60 % à 70 % des besoins du restaurant selon les saisons. On y trouve aussi un grand verger, des ruches et un incroyable poulailler où vivent dix espèces de poules venues du monde entier et dont les œufs – jaunes, blancs et même bleus – du jour sont systématiquement utilisés au restaurant.
Fourmilière
De retour dans les cuisines, c’est un Mauro Colagreco métamorphosé que nous retrouvons au passe-plat. Mine fermée, presque grave, il scrute un à un les plats qui sortent des fourneaux. Dans la fourmilière et le petit boucan des cuisines, il corrige, précise et ajuste les plats sans dire un mot. Impassible. Jamais loin de lui, son bras droit en cuisine Florencia Montes l’accompagne, comme un métronome.
Depuis quelques mois, le Mirazur a aussi réfléchi à une offre de déjeuner spécialement dédiée à ceux qui souhaiteraient découvrir l’univers du restaurant et dont les moyens seraient limités. Une manière de “rester accessible”, notamment auprès d’un public plus jeune passionné de gastronomie, mais ne goûtant pas forcément à un cadre “trop rigide, trop strict, trop formel”, dit Mauro Colagreco, alors que débarque sur le perron du restaurant un groupe de quatre jeunes trentenaires. “Vous voyez !”, sourit-il. Tout un symbole.
À lire aussi : notre grand entretien avec Mauro Colagreco