À Menton, à quelques mètres seulement de la frontière italienne, le chef triplement étoilé Mauro Colagreco mène sa barque entre la mer et la montagne, au milieu des potagers, d’un verger d’exception, et juste à côté du plus vieil avocatier de la région. Malgré une grande exposition due à la réputation du restaurant, élu “meilleur restaurant du monde” par le classement 50 Best, l’établissement, le chef et ses équipes conservent encore quelques secrets bien gardés.
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Au détour d’une publication sur Instagram, Mauro Colagreco a ainsi dévoilé l’existence d’une chambre de fermentation où se cachent de nombreux trésors culinaires endormis. “Depuis maintenant quelques années, nous gardons cette pièce secrète. Un lieu où cohabitent différents types de fermentations et levures : vinaigre, kombucha, kéfir, tout cela élaboré à partir de produits de nos jardins et de notre région.”
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Si la pièce se veut secrète, ou tout du moins discrète, Mauro Colagreco a finalement accepté de nous en dire un peu plus sur ce lieu unique en son genre. D’abord, il nous aura fallu revoir notre vocabulaire. Lui ne parle pas de chambre de fermentation, mais plutôt de “cave à vinaigre”. Tout a commencé en 2018, lorsque le chef se met en tête d’approfondir ses recherches autour de l’univers des vinaigres et de la fermentation.
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“Nous avons invité la cheffe argentine China Muller, qui travaille en Patagonie, reconnue depuis plusieurs années pour son travail autour des vinaigres, nous confie-t-il. Elle a ainsi pu partager, en formation intensive, tout son savoir auprès des équipes du Mirazur sur la production des vinaigres, une thématique qu’elle domine depuis plusieurs années.”
La cave de fermentation du Mirazur demeure un lieu rare. Seul le chef, Mauro Colagreco, et son bras droit sont autorisés à y pénétrer, par l’intermédiaire d’une porte dissimulée derrière la végétation naturelle des jardins du restaurant. Car, au-delà de l’attention portée par le chef et ses équipes à l’ensemble de ses jardins, vergers et potagers, cette cave sonne aussi comme l’aboutissement d’un travail réalisé depuis plusieurs années.
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“Cette pièce est très importante pour le restaurant, car on y trouve, en grande partie, la conservation de nos produits de saison, dit-il. C’est aussi une belle façon de lutter contre le gaspillage, en circuit court. Toutes nos parures de fruits et légumes, ou les parties que nous ne pouvons utiliser dans nos recettes, ne finissent pas à la poubelle, mais sont transformées et réutilisées d’une manière différente au sein de nos vinaigres.”
Au fond, plus qu’une simple réserve, ce petit laboratoire caché renferme l’essence de la philosophie du restaurant. “Le métier de cuisinier, c’est de sublimer les aliments, et donc d’explorer toutes les possibilités, des plus simples aux plus complexes, explique Mauro Colagreco. Cela permet de générer de nouvelles ressources, de nouvelles idées, et ainsi de nouvelles créations culinaires, tout cela à partir de l’observation et de la manipulation des produits lors de l’expérimentation.”
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Le chef estime que ce laboratoire de recherche lui a permis d’augmenter sa vision et son utilisation des aliments dans leur globalité. “Cela nous a permis de faire des essais autour de produits insolites et que nous n’avions jamais utilisés auparavant”, confie-t-il. Au total, Mauro Colagreco et ses équipes ont “expérimenté avec plus de 100 saveurs”.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le lieu compte près d’une trentaine de variétés – “sureau, nèfles/roses, poire/vanille, tomate, pêche, butia”. Autant de bocaux et de créations uniques qui, une fois débouchés, finiront dans les assiettes du restaurant.
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Parmi les nombreux essais réalisés, tous ne se concluent pas forcément par une réussite au premier coup. L’expérience la plus surprenante aura été celle des peaux d’amandes fraîches, directement issues des jardins du Mirazur. “Elles ont un pouvoir de fermentation incroyable grâce aux levures naturelles que l’on retrouve sur la fin pellicule qui les recouvre, s’enthousiasme-t-il. Mais ces propriétés naturelles exceptionnelles ne font pas tout et exigent une vigilance de tous les instants.
“C’est l’essai avec lequel on a rencontré le plus de difficultés et le plus de surprises. Au début, on a été très enthousiastes et très satisfaits de la force rapide de la fermentation. Mais, peu de temps après, notre joie s’est muée en déception. Du jour au lendemain, la fermentation a complètement viré de bord. C’était un échec, mais pas une défaite. On a recommencé le processus tout de suite.”
Au rayon des expérimentations réussies, Mauro Colagreco ne tarit pas d’exemples. Il cite, par exemple, des essais à partir de fruits des palmiers, ou de fruit du butia, une variété de cocotier à palmes souples, eux aussi issus de ses jardins mentonnais. “Nous avons aussi eu d’excellents résultats avec l’arbousier, la goyave verte de nos jardins ou encore l’hibiscus”, liste-t-il.
Dans ses cartons, les idées et les envies d’explorations culinaires s’empilent chaque jour un peu plus. À l’image d’une fermentation à partir de sauce de soja et de petit épeautre de Perpignan. Bref, “ce n’est que le début”, prévient Mauro Colagreco.