Il est difficile, en tant que journaliste culinaire, d’écrire sur la cuisine d’un chef sans l’avoir goûtée. Il serait même malhonnête, quand on exerce ce métier, de faire une confiance aveugle à un chef dont le savoir-faire, la technique et les saveurs nous sont inconnus. Et pourtant, nous avons été parmi les premiers à soutenir, applaudir et bien souvent encenser Adrien Cachot, jeune chef originaire de la banlieue bordelaise et candidat-finaliste remarqué de l’émission Top Chef, sans avoir jamais eu la chance de nous asseoir à sa table. Paradoxal ? Pas vraiment.
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Après tout, si nous avions manqué notre chance d’aller nous attabler dans son ancien restaurant Détour, avant même le début de la diffusion de l’émission – un tuyau anonyme nous avait révélé la présence d’Adrien Cachot dans l’émission et son très grand potentiel –, le programme nous avait permis de comprendre et de mettre des mots sur l’état d’esprit, les idées et la philosophie culinaire complexe et unique d’Adrien Cachot. Bien que cela ne reste que de la télé, avec ses artifices, son montage et ses codes parfois rigides, Top Chef a intelligemment mis en lumière la nature, la créativité et les innombrables qualités de ce cuisinier-électron libre.
Après avoir participé à quelques services en catimini, notamment avec le chef Mallory “Malou” Gabsi, et sorti un magnifique ouvrage, il était donc temps pour nous de rectifier le tir et de faire enfin connaissance avec la cuisine d’Adrien Cachot. Et ça tombe plutôt bien, puisque, à la surprise générale, le chef vient de poser ses casseroles au Perchoir de Ménilmontant, pour une durée de trois mois. Afin de ne pas laisser passer notre chance une seconde fois, nous n’avons pas traîné et nous sommes allés assister, en salle et en cuisine, à l’un des tout premiers services du chef.
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Si Adrien Cachot nous a habitués à des choix audacieux, à des associations culinaires détonantes et à des partis pris toujours engagés, il était prévisible que l’expérience à table nous réserve, elle aussi, quelques surprises. Au sixième étage de l’immeuble, sur une table accolée à la fenêtre qui laisse apercevoir le Sacré-Cœur au loin, le ton est donné dès le départ.
Le menu sera non seulement unique, mais surtout servi à l’aveugle. En clair, vous ne saurez pas ce que vous allez manger avant d’avoir glissé la fourchette dans votre bouche. Mieux, il changera tous les jours, ou presque. Et pour les liquides, il faudra compter sur un accord mets-cocktails minutieusement adapté à chaque plat.
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Comme on pouvait s’y attendre, lors de notre venue, le menu a débuté sur les chapeaux de roues. D’abord par des langues de canard façon karaage, enveloppées dans une large feuille de capucine. Ensuite par une étonnante tartelette au praliné aux arachides, au raifort, à la poudre d’algues nori et surmontée de fleurs de moutarde. Et, enfin, avec une superbe composition, façon Cent Wafers, autour de foies de volaille, de vinaigre de cacao et de menthe-bergamote.
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L’expérience du menu à l’aveugle offre ceci d’inédit qu’elle exige d’interroger, à chaque seconde, ses souvenirs et sa papillothèque à la recherche du moindre indice. Mais, dès les entrées, nos sens s’en retrouvent tout bouleversés. Dans l’assiette, une banane noire est associée à une endive noire, toutes deux entourées d’une sauce XO de peau de banane et de croûtons de pain noir. Lorsque le serveur vient récupérer les assiettes et nous demande si l’on est parvenus à deviner les éléments qui composent le plat, nous jouons la carte de l’honnêteté : “Non, pas du tout.” On était même loin du compte.
Dans une autre assiette, le piège que nous tend le chef semble, cette fois, moins évident. On y distingue clairement des oignons, un bouillon et un condiment en plein milieu. En bouche, c’est une autre histoire. Il fallait deviner que les oignons étaient garnis de choux de Bruxelles brûlés et, ça, évidemment, on ne l’avait pas vu venir non plus.
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Débarque alors, au centre de la table, sur une sublime assiette en céramique d’Amandine Richard, ce qui s’apparente à un crabe. À la surprise succède l’excitation face à un plat mystérieux dont on ne sait littéralement rien. Pour vous laisser la surprise, nous garderons pour nous l’étonnante garniture que renferme cette raviole que l’on imagine, à vue d’œil, frite ou soufflée. Enfin, dernière réjouissance pour les entrées : une incroyable cervelle de bœuf, glissée entre une tuile d’ail et une sauce mapo. Une merveille, pour dire les choses simplement.
En cuisine, Adrien Cachot s’est entouré d’une équipe réduite, mais de confiance. Geoffrey Degros en sous-chef, Adrien Lopez en chef de partie et Emine Drissa à la pâtisserie. Dans la cuisine de ce restaurant qui a autrefois hébergé la table éphémère Tontine, avec la cheffe Céline Pham, la pression du premier service est à peine palpable. Ça parle, ça accélère, mais, au-dessus du piano, les derniers ajustements se font dans un calme qui surprend et qui fait du bien.
Le premier plat qui arrive à table s’impose comme un savant numéro d’équilibriste. On y distingue, méticuleusement empilés, une “pelote” de pomme de terre sur le dessus, un homard au milieu, et une masse non identifiable juste en dessous. Après deux coups de fourchette, notre prédiction tombe juste : il s’agit bien d’une tête de veau, grillée, et entourée d’un “pétrole” de homard. Le second, plus facile à déchiffrer, est un pigeon servi avec un magnifique ragoût d’abats, des cèpes grillés au binchotan, un charbon de bois japonais issu du chêne, et une jolie découverte que fut le royal de champignon.
Pour les desserts, Adrien Cachot laisse exprimer son bras droit du sucré, Emine Drissa. Le premier, autour du fruit roi de la saison, se décline en un confit de figues, une glace à l’amande rose et un lait d’amande en siphon, vite rejoint à table par un ingénieux et addictif cigare à l’amande, pralines roses et harissa. Mais là n’est pas le clou du spectacle. Car, même si l’on s’en doutait, nul pouvait le prédire, Adrien Cachot a décidé d’offrir à ses convives une expérience inédite pour clôturer le repas, en faisant revivre son dessert Chocologie, servi en finale de Top Chef.
Comme lors de l’ultime épreuve de la compétition, on y retrouve, “en version très améliorée”, selon ses dires, le sous-bois, les branches de bois et, évidemment, le faux gobelet en plastique. Un clin d’œil à ce plat devenu emblématique, mais surtout “signature” malgré lui, et symbole de cette parenthèse de vie télévisée qui aura tout changé.
Adrien Cachot au Perchoir de Ménilmontant
14, rue Crespin du Gast (Paris 11)
Ouvert du lundi au vendredi.
Réservations ici (nouvelles dates le 1er novembre)