En avril dernier, la brasserie américaine New Belgium a dévoilé sa toute nouvelle création : la version Torched Earth (“Terre brûlée” en français) de sa bière Fat Tire. Cette bière dite du futur a la particularité d’avoir un goût délibérément mauvais. L’idée derrière cela est de faire prendre conscience aux consommateurs de l’impact du dérèglement climatique – auquel nous sommes tou·te·s· confronté·e·s – sur les produits qu’on a l’habitude de boire ou manger au quotidien.
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Forcément curieux, on a voulu en savoir plus sur cette campagne marketing résolument écolo, en posant directement quelques questions à Cody Reif, brasseur en charge du service recherche et développement de New Belgium.
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Konbini Food | Pourquoi avoir eu l’idée de produire une bière de ce type ?
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Cody Reif | La durabilité a toujours été au cœur de New Belgium. Mais il peut être difficile de montrer les effets tangibles du changement climatique. Nous pensions que si les gens pouvaient voir comment cela pourrait affecter spécifiquement la bière artisanale, ils saisiraient mieux ces problématiques.
A-t-il été difficile de sélectionner les ingrédients de cette bière ?
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Nous avons exposé trois risques majeurs associés au changement climatique et essayé de sélectionner des ingrédients qui montreraient comment ces risques affecteraient la bière. Les risques que nous avons envisagés sont les feux de forêt, les dérèglements des zones d’agriculture itinérante et les phénomènes météorologiques extrêmes, comme la sécheresse.
Quels ont été vos critères de sélection ?
Pour les feux de forêt, nous avons utilisé du malt fumé qui imite la saveur de l’eau contaminée par la fumée. Le goût fumé de l’eau n’est pas quelque chose que vous pouvez retirer facilement. Ces arômes perdurent tout au long du processus de fabrication et se retrouvent directement dans le produit fini. Depuis un certain temps, nous sommes plus proches que jamais de ce problème. Il y a notamment eu deux graves incendies de forêt dans le nord du Colorado au cours des dix dernières années.
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Concernant les effets des dérives climatiques sur l’agriculture, nous avons choisi des extraits peu traditionnels de mil et de sarrasin. Avec l’augmentation des températures, les régions où l’orge pousse pourraient devenir limitées et d’autres extraits pourraient être nécessaires pour combler ce vide. Ceux que nous avons sélectionnés sont plus tolérants aux zones agricoles itinérantes. En utilisant une grande quantité de ces extraits d’appoint, il est nécessaire d’utiliser des enzymes exogènes pour aider à décomposer l’amidon en sucres simples. C’est un processus essentiel à la fabrication de la bière et quelque chose que l’orge fait habituellement très bien.
Enfin, les phénomènes météorologiques extrêmes et la sécheresse pourraient causer la perte d’années entières de récoltes. Dans ce cas, nous dépendrions d’ingrédients de longue conservation. Nous avons donc utilisé un extrait de malt qui est stable pendant plusieurs années, mais qui est cher et pas aussi bon que le malt ordinaire. Nous avons également utilisé un extrait de houblon pour l’amertume au lieu du houblon plus ordinaire, pour les mêmes raisons que le malt.
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Vous le dites vous-même : “Si c’était la bière du futur, je boirais probablement moins de bière.” Pensez-vous que ce genre de déclaration incitera les gens à goûter votre bière ?
C’est une bonne remarque. Si j’entendais ça, je ne voudrais probablement pas goûter cette bière ! Mais ce que nous avons remarqué, c’est que les gens restaient très curieux à l’idée d’une bière intentionnellement limitée dans le choix de ses ingrédients, et de tout ce processus mis au point pour démontrer quelque chose. Certaines personnes ont détesté cette boisson et d’autres n’ont pas trouvé ça “si mauvais”. En tout cas, cela a eu l’effet escompté. Les gens en parlent et pensent à la façon dont le changement climatique pourrait modifier la bière artisanale que nous aimons tous.
Pensez-vous que la vente de cette bière puisse entraîner une réelle prise de conscience écologique chez les consommateurs ?
Je l’espère, bien sûr ! Jusqu’ici, les retours ont été incroyables. Cela aide les gens à voir à quel point le changement climatique peut ruiner certains de nos produits préférés. Dans une certaine mesure, je crois sincèrement que les consommateurs qui se sont engagés sur ce sujet réfléchiront un peu plus à la façon dont leurs choix peuvent aider à arrêter le changement climatique.
Vous dites que 70 % des entreprises du Fortune 500 (le classement des 500 premières entreprises américaines classées selon leur chiffre d’affaires) n’ont toujours pas de plan pour lutter contre le changement climatique d’ici 2030. Comment expliquez-vous que ces entreprises continuent en quelque sorte de se tourner les pouces ?
J’aimerais avoir la réponse à cela. Des campagnes comme Torched Earth sont un excellent moyen d’attirer l’attention sur les nuances du changement climatique, mais il y a tellement d’autres exemples évidents qui sont difficiles à ignorer. Les incendies en Australie d’il y a deux ans, les ouragans qui s’aggravent progressivement dans les Caraïbes et le golfe du Mexique, les pénuries d’eau en Californie, et même ici à Fort Collins, des feux de forêt ont menacé nos sources d’eau à deux reprises au cours des 15 dernières années. Le changement climatique n’est pas en train d’arriver, il est déjà là. Il est temps d’agir. Les entreprises font partie de l’équation, et les consommateurs jouent également un rôle essentiel. L’éducation est la clé.
En 2020, Fat Tire est devenue la première bière américaine certifiée neutre en carbone. Avez-vous prévu d’autres projets dans le futur pour réduire l’impact environnemental de votre brasserie ?
Oui, nous en sommes très fiers. À l’échelle de l’entreprise, New Belgium s’est également engagée à devenir complètement neutre en carbone d’ici 2030. Ce n’est pas une mince affaire, mais nous sommes déterminés à atteindre cet objectif car aucun d’entre nous ne veut que l’avenir de la bière ait le goût de la Torched Earth.
Retrouvez la brasserie New Belgium sur Instagram.