Longtemps, il n’a eu que la musique en tête. Depuis l’âge de cinq ans, Nicolas Thomas joue du violoncelle. Si bien, d’ailleurs, qu’il finira par intégrer, quelques années plus tard, le prestigieux Orchestre national du Capitole. “Quand les choses ont commencé à devenir sérieuses, je n’envisageais pas un instant de changer de chemin un jour”, nous confie-t-il. À cette époque, jamais il n’aurait pu s’imaginer ailleurs que sur scène, et encore moins dans une cuisine.
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Sauf que le destin, ou le fragile équilibre des choses, en a voulu autrement. Désormais, le musicien a troqué son violoncelle contre les casseroles et les étoiles. Depuis La Promenade, sa table installée dans une imposante bâtisse en briques roses à Verfeil, aux portes de Toulouse, il vit sa nouvelle épopée, déjà couronnée de récompenses, d’une étoile et d’une critique unanime. Au détour d’un sublime déjeuner sur place, et alors que la deuxième étoile n’a jamais semblé aussi proche, nous sommes allés lui poser quelques questions sur cette reconversion et cette nouvelle vie derrière les fourneaux.
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Konbini food | Bonjour Nicolas, alors que tu étais violoncelliste professionnel, dans un orchestre prestigieux, tu as décidé de changer de voie, en 2010, et de te diriger vers la cuisine. Comment est né ce déclic ?
Nicolas Thomas | La musique nous confronte régulièrement à une pression très forte – bien différente de celle de la cuisine – et j’avais envie de me libérer de cela, sans chercher de porte de sortie. J’aimais ce que je faisais et je sais que j’avais encore beaucoup de belles années à venir dans ce monde, mais un jour, j’ai découvert le monde de la cuisine dite gastronomique et contemporaine. Et si je précise “contemporaine”, c’est parce que les restaurants plus ancrés dans la belle tradition ne m’ont jamais déclenché d’émotions particulières.
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“On peut chercher un sens à une phrase musicale et comment la mettre en avant, de la meilleure façon possible, comme un cuisinier doit chercher à le faire avec un produit”
Le déclic, c’était donc lors d’un passage dans un restaurant ?
Il y a plus de dix ans maintenant, j’ai eu l’occasion de m’asseoir à la table d’un restaurant étoilé et là, je découvre qu’il y a de l’émotion en cuisine avec des personnes qui mettent tout en œuvre pour faire partager leur vision d’un produit en jouant sur les saveurs, températures, associations, couleurs, textures. (Il s’arrête.) Tant de sens se sont mis en éveil en moi à ce moment-là.
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Dans mon histoire, il n’était pas question de changer de métier au sens strict du terme, j’ai eu la chance d’évoluer dans un métier artistique qui ne produit rien de palpable mais qui apporte de l’émotion à travers de la sincérité, de la recherche et de l’amour. C’est avec ces fondements-là que j’ai pu me rapprocher du monde culinaire.
C’est-à-dire ?
On peut chercher un sens à une phrase musicale et comment la mettre en avant, de la meilleure façon possible, comme un cuisinier doit chercher à le faire avec un produit. Un interprète ou un compositeur possède un nombre très important d’outils pour faire passer un message et il en va de même pour le monde de la cuisine. Plus le temps passe, plus les rapprochements me semblent évidents. Comme j’ai coutume de dire “seule la forme a changé, pas le fond”.
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“Je n’ai aucune histoire à raconter, pas de souvenirs de cocotte fumante sur le coin de la cheminée, pas de potager à regarder évoluer au fil des saisons, aucune de séance de pêche ou chasse, pas de basse-cour”
Avant de te lancer en cuisine, tu avais déjà des liens particuliers avec la cuisine ou la gastronomie ?
C’est la question qui casse les légendes ! Je n’ai aucune histoire à raconter, pas de souvenirs de cocotte fumante sur le coin de la cheminée, pas de potager à regarder évoluer au fil des saisons, aucune de séance de pêche ou chasse, pas de basse-cour ou de moments de partage avec le rendez-vous autour du cochon… J’ai grandi en mangeant de façon saine et variée mais honnêtement, je ne peux pas parler d’atavisme. En revanche, j’ai toujours apprécié cuisiner chez moi et m’essayer à de jolies recettes pour la famille ou les amis.
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C’était quoi le plus grand défi dans cette reconversion ?
Sans aucun doute, l’épanouissement. Mais pas dans le sens d’un plaisir simple. Mon instinct m’a poussé dans ce domaine avec l’intime conviction d’y trouver un sens personnel plus grand et plus profond. C’est, dans le fond, comme une quête personnelle, faire quelque chose de juste, de vrai et qui apporte du bonheur à ceux qui ont envie de partager mes envies au travers de compositions culinaires. Je ne me considère pas comme un commerçant, je regrette que la restauration soit affiliée à cette branche-là, je suis un artisan et je cherche juste à donner un sens personnel aux différents produits que j’aime travailler comme j’aimais le faire avec une œuvre musicale. Le défi… rester sur la même ligne de conduite.
“Je suis un artisan et je cherche juste à donner un sens personnel aux différents produits que j’aime travailler comme j’aimais le faire avec une œuvre musicale”
Après plusieurs années en cuisine, est-ce que tu identifies aujourd’hui des liens, des ponts, entre la musique et la cuisine ?
Une chose importante, à mon sens, c’est que la musique n’est pas un besoin vital – pour certains, si, mais c’est un autre débat –, c’est un art qui apporte des émotions multiples et qui peut vous permettre de vous évader du quotidien. Avec une petite nuance, il en va de même pour la cuisine. Manger est essentiel, c’est un fait mais sortir au restaurant n’est en aucun cas un besoin vital. Se rendre à un concert est un acte de pur plaisir qui n’est réalisé que pour vous apporter un petit quelque chose en plus dans votre journée et votre vie, un souvenir, une émotion et il en va de même pour un moment autour d’une table.
“Un beau thème seul, c’est comme un produit brut de qualité : c’est bon, mais il faut le mettre en valeur en lui associant ce qui est nécessaire pour l’apprécier encore davantage”
Techniquement, une pièce musicale se compose un peu comme un plat. Un beau thème seul, c’est comme un produit brut de qualité, c’est bon, mais il faut le mettre en valeur en lui associant ce qui est nécessaire pour l’apprécier encore davantage. Dans les deux cas, cela pourra être réalisé avec très peu de choses ou au contraire énormément d’éléments, tout dépend de ce que souhaite faire le musicien ou le cuisinier.
Quand je suis venu déjeuner, tu m’as confié que rejouer au violoncelle était devenu une occupation frustrante car tu n’y trouvais plus vraiment de plaisir. À quoi cela est dû ?
La pratique de la musique nécessite un travail quotidien qui demande beaucoup de rigueur, quel que soit l’instrument que vous pratiquez. Après avoir atteint un niveau de professionnel, se confronter à des maladresses dues au manque d’entretien n’est pas quelque chose de très agréable. En tant que violoncelliste, après mes études, et c’est le cas de tous les musiciens, nous travaillons toujours pour un objectif, que ce soit pour une répétition, un concert, un concours… Je dois avouer que sans objectif, je ne trouve pas beaucoup de raisons de rejouer.
On pourrait penser la même chose pour un service…
Je ne sais pas si la cuisine est vraiment différente, mais imaginons que l’on me demande de faire une journée de mise en place mais que le soir, en le sachant d’avance, il n’y aura pas de service, pas de clients. À quoi cela servirait-il de travailler, vous voyez ce que je veux dire ?
“La région toulousaine a une histoire gastronomique marquée par des plats plutôt riches et je m’efforce de travailler sur son patrimoine pour y développer ma cuisine”
Tu travailles aujourd’hui dans la région toulousaine et tu mets en valeur son terroir. Je la connais bien, car j’y suis né, mais quels sont les atouts, et les contraints, de ce territoire du point de vue d’un chef ?
La vie m’a conduit dans une très belle région qui regorge de beaux produits, je regrette juste de ne pas pouvoir sourcer des produits de la mer plus près de chez moi mais on s’adapte. La région toulousaine a une histoire gastronomique marquée par des plats plutôt riches et je m’efforce de travailler sur son patrimoine pour y développer ma cuisine. Ce n’est pas évident tous les jours mais j’aime bien la difficulté en essayant de ne pas faire une cuisine que l’on pourrait retrouver n’importe où. C’est pour cela que je m’acharne à travailler avec beaucoup de producteurs locaux, ce sont eux aussi qui participent à une identité culinaire.
“Travailler à ce que pourrait être une deuxième étoile, c’est déjà faire le maximum pour garder la première”
À l’heure où nous écrivons ces lignes, tu as une étoile au Michelin… L’idée d’obtenir un second macaron te travaille l’esprit ?
Ce qu’il faut, c’est se remettre en permanence en question pour avancer et travailler à une qualité toujours supérieure, ne jamais se relâcher. Travailler à ce que pourrait être une deuxième étoile, c’est déjà faire le maximum pour garder la première. Progresser et mieux réaliser son travail, c’est en premier lieu pour faire passer un meilleur moment à mes clients, qu’ils soient satisfaits, qu’ils aient trouvé ce qu’ils venaient chercher et surtout qu’ils en gardent un souvenir assez fort pour avoir envie d’en parler autour d’eux.
Mais cela reste un objectif ?
Si mon travail doit satisfaire un cahier des charges propre au guide Michelin, ce serait une merveilleuse chose, mais toute ma concentration ne se focalise pas sur cet objectif. Je pense parfois à cela car faire vivre un établissement à la campagne n’est pas toujours une chose facile. Mais je dois aussi prendre en compte la situation sociale et économique du moment, je n’ai actuellement plus de salariés en cuisine, je travaille uniquement avec mes apprentis qui font preuve de soin pour effectuer un travail de qualité. Le recrutement est extrêmement compliqué en ce moment et il faut savoir s’adapter et garder le niveau atteint coûte que coûte. Est-ce que cela serait réalisable avec une étoile de plus ? Je ne le sais pas du tout… Vaste débat !
*Les photos de plats ci-dessus ont été réalisées en juillet 2021.