Il y a des institutions qui font rêver, Arzak en fait partie. La table, triplement étoilée depuis 1989, 31e au classement 50 Best en 2017, est tenue d’une main de maître de génération en génération, avec aujourd’hui aux commandes Elena Arzak sous l’œil de son père Juan-Mari. En tant qu’établissement iconique du Pays basque, pionnier d’une cuisine espagnole moderne, y mettre les pieds était sur ma to-do list de la vie depuis un moment. Petit trip prévu à Saint-Sébastien, réservation est prise deux mois à l’avance pour enfin goûter à la cuisine de la famille Arzak.
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100 000 bouteilles et des dizaines d’assiettes
Mises en bouche explosives, avec en point d’orgue une petite galette de maïs garnie de poisson cru, et le menu dégustation démarre. Le sommelier, à la tête d’une des plus grandes caves du pays, nous aiguille sans nous déplumer, jouant la carte du local avec deux bouteilles de rioja, servies à température de cave, presque fraîches, pairing efficace avec la dizaine d’assiettes du menu dégustation.
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Chaque assaisonnement, chaque produit est parfait. Proposant des assemblages qui titillent des zones du cerveau jamais explorées auparavant, chaque assiette fait mouche : melon fumé, bonbons de tomate, chips de plancton, lotte grillée à la texture merveilleuse. Mais dans ce grand huit d’émotions gustatives, un drôle d’intrus d’un modernisme douteux s’apprête à faire son entrée sur la table.
“Oh you found the sea”
Un iPad arrive par la gauche, une assiette transparente par la droite, et me voilà avec un spectacle de flammes diffusé sous mon plat de viande principal nommé “pigeon symbolique”. Quelle drôle d’idée ! Surtout avec la sauce sur l’assiette transparente. Pas de quoi me couper l’appétit pour autant vu la qualité des cuissons et des assaisonnements, mais pourquoi rajouter ce gimmick inutile ? À qui s’adresse cette mise en scène ? Sans doute à un public plus âgé qui associe forcément la technologie à l’innovation ? Je sors mon téléphone pour immortaliser cet instant de kitch, et je me permets de scroller sur l’iPad, histoire de changer pour un paysage marin, de quoi faire sourire une des serveuses.
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Les tables de prestige peuvent-elles s’adapter à la jeunesse ?
La véritable question est de savoir à qui s’adresse l’histoire racontée par ce genre de mises en scène dans un menu. Chez Arzak, on trouve peu de jeunes convives, forcément, l’addition avoisinant les 300 euros par tête, mais pourtant, pour avoir pu m’asseoir à d’autres tables étoilées, ce ressort entre tradition et innovation est dans d’autres établissements bien mieux amené sur la table.
Alors, bien sûr, personne ne recherche la même chose dans une expérience chez un triple étoilé, mais le prestige et l’histoire traduits en quelques heures dans l’assiette ne se doit-elle pas de surprendre plus avant, et d’éviter ces recours, que je placerais sur la même liste que les mini-paniers de friteuse dans une franchise de bord d’autoroute ? Quand on voit ce que peuvent aujourd’hui proposer en termes de présentation des chefs plus jeunes, comme Sven Chartier et Ewen Le Moigne chez Saturne à Paris ou Alexandre Gauthier à La Grenouillère, avec une simplicité brute mais millimétrée, on espère qu’Arzak s’inscrira dans ce que la famille sait faire de mieux : miser sur la transmission générationnelle, capable de donner un coup de neuf à la mise en scène, tout en gardant la précision et l’excellence du contenu des assiettes (sans iPad).
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Arzak
Alcalde J. Elosegi Hiribidea, 273, 20015 Donostia (Saint-Sébastien)