Quand il prépare ses sushis, Igor Besukh met la musique à fond, pour ne pas être troublé par le grondement du front et le bruit des sirènes. Mais vendredi soir dernier, cela n’a pas suffi. Une roquette a explosé vers 20 heures en plein milieu de l’immense place de la Paix, la grande place de Kramatorsk où se trouvent la mairie, le centre culturel… et le restaurant où il travaille, l’un des rares à être encore ouverts dans cette ville de l’Est de l’Ukraine à portée des tirs russes.
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Les employés du “Woka”, un établissement aux murs laqués de rouge et aux motifs asiatiques, ont plongé dans l’abri du restaurant. Remontés une vingtaine de minutes plus tard, ils ont constaté les dégâts — toutes les fenêtres et portes brisées malgré les protections en panneaux de contreplaqué. Ils ont balayé, et ont fini de préparer les commandes à livrer.
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La frappe n’a pas fait de victimes, l’immense place étant alors déserte, mais l’explosion a soufflé les vitres de plusieurs immeubles. “C’était un bruit énorme. On ne s’y attend pas, évidemment. J’ai eu peur”, confesse le jeune cuisinier aux bras couverts de tatouages. Revenir travailler le lendemain n’a pas forcément été évident, mais, sourit-il, “vous connaissez peut-être le proverbe : la guerre est la guerre, mais le dîner doit être servi à temps”.
Âgé de 23 ans, Igor travaille depuis plusieurs années dans ce restaurant qui fait aujourd’hui le bonheur des soldats de retour du front ou postés à Kramatorsk, centre administratif de la région de Donetsk, dont les Russes veulent s’emparer. Cette ville de quelque 150 000 habitants avant guerre, à une vingtaine de kilomètres du front, reste sous la menace constante de bombardements. Une frappe le 7 juillet sur un hôtel a fait un mort. Kramatorsk a connu une tragédie en avril lorsque la gare, où se pressaient des civils cherchant à fuir, a été frappée par un missile, faisant au moins 52 morts.
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Dès samedi, tout a été nettoyé, les protections boisées ont été réinstallées et les commandes s’accumulent sur le comptoir, sur la vitre derrière laquelle Igor dispose, enrobe et découpe ses sushis, parfois jusqu’à une centaine par jour. Le restaurant, ouvert en 2016, emploie encore sept personnes (contre 28 avant la guerre) et n’a jamais fermé depuis le 24 février, date du début de l’invasion russe. “C’est normal de travailler, même dans ce contexte”, dit Igor, qui, après avoir décroché un diplôme de cuisinier, est allé tenter sa chance à Kyiv, puis sur le littoral de la mer d’Azov, avant de revenir à Kramatorsk, sa ville d’origine.
A-t-il déjà songé à rejoindre l’armée ? Petit sourire. “Pourquoi devrais-je ? Je n’ai pas d’expérience, je n’aurais aucune utilité. Ici, j’aide d’une certaine façon”, estime le jeune homme, qui rêve d’ouvrir un jour sa propre affaire. Pour le moment, les aliments ne manquent pas. L’établissement sert entre 10 et 30 plats quotidiennement, à emporter ou livrés. Mais pas de clients sur place. “Si jamais un missile tombait sur le restaurant ? C’est une grande responsabilité pour nous”, expliquait le patron, Dmitry Pleskanov, quelques heures avant que la roquette s’abatte sur la place de la Paix.
Konbini avec AFP
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