Parfois, il suffit d’un voyage pour que tout change, ou presque. Il y a quelques semaines, le chef étoilé Guillaume Sanchez, à la tête du restaurant NE/SO, et le photographe Brice Portolano embarquaient à bord d’un petit van pour parcourir l’île d’Islay, dans le Sud de l’Écosse, pour une expédition pas comme les autres. Sur place, ils avaient pour mission de partir à la recherche des 22 plantes locales et sauvages qui composent le gin Botanist, distillé sur l’île, de découvrir les secrets de fabrication de ce spiritueux et de proposer un menu inspiré de ce voyage dans son restaurant étoilé. Pour Konbini, Guillaume Sanchez revient sur ce road trip, riche en enseignements sur la richesse du terroir écossais.
Publicité
Publicité
Konbini | Comment l’idée de ce road trip en Écosse est-elle née ?
Guillaume Sanchez | C’est assez simple, on a été contactés pour découvrir ce qui fait la singularité du gin Botanist, mais on leur a dit qu’on n’était pas influenceurs, qu’on ne savait pas faire ce genre de trucs. On leur a donc demandé une chose : de nous laisser faire, puisqu’on a l’habitude de voyager ensemble.
Publicité
Tu connaissais déjà l’Écosse avant de partir ?
Je n’y étais jamais allé. Je connais assez bien l’Angleterre, pour y avoir vécu, mais pas l’Écosse.
C’est un territoire sur lequel les gens ont beaucoup d’idées reçues…
Publicité
Je n’en avais pas vraiment. Quand on part avec Brice Portolano dans des projets comme ça, on fonctionne toujours de la même manière : j’évite de me renseigner sur l’endroit où l’on va et lui s’occupe de faire de grosses recherches pour organiser ses prises de vues, son travail. Je me laisse guider et ça me permet d’être libre de découvrir l’endroit totalement dès mon arrivée.
Qu’est-ce que tu as découvert en débarquant sur l’île d’Islay ?
Publicité
D’un point de vue marketing, je devrais te dire que j’ai découvert plein de plantes… Ce qui est, en soi, vrai. Mais le plus drôle, c’est la réaction de certains de mes producteurs quand ils voyaient mes stories sur Instagram. Pierre Robine, qui est l’un de mes cueilleurs au restaurant, m’écrivait en me disant : “Mais ça ne se mange pas, ça ! Pourquoi vous cueillez ça ?”. On s’est vite rendu compte que des plantes qui n’ont peu, ou pas, de goût en France, trouvent une dimension et des saveurs totalement différentes là-bas. Grâce au climat, aux températures et aux précipitations, ces plantes ont un sens en Écosse, alors qu’on a tendance à les ignorer en France.
La richesse du terroir était donc la vraie découverte.
J’ai découvert une saisonnalité qui impacte et valorise vraiment des produits absolument lambda. Leurs orties sont juste incroyables, alors qu’en France, on les connaît sous une forme beaucoup plus herbacée, presque “pelouse”. Là-bas, elles ont des saveurs florales dingues. Et c’est le cas pour plusieurs plantes que l’on retrouve sur l’île.
Publicité
Ta cuisine est très orientée vers les produits de la mer, l’iode… L’île a-t-elle répondu à tes attentes à ce niveau ?
C’était assez dingue. Au départ, tu peux te dire que tu es entouré d’eau, que tu es sur île… mais la place des produits de la mer et des poissons est vraiment très en retrait. C’était très surprenant. On a quand même rencontré un ostréiculteur qui travaille très proprement et qui, par la force des choses, a dû arrêter de travailler et de vendre pendant la crise sanitaire du Covid-19. Il s’est retrouvé avec des huîtres énormes qui avaient trois ou quatre années de trop. Tu te retrouves alors avec ce qui ressemble à des steaks iodés qui sont assez phénoménaux.
Et sinon, l’expédition s’est bien déroulée ?
La mission, c’était de faire ce que l’on a l’habitude de faire avec Brice : vivre en 100 % sauvage, sans tricher, sans rien. La production a bien essayé de nous envoyer dans des campings, de nous aider au maximum, de nous offrir du confort, mais on en voulait justement le moins possible. C’est assez drôle de voir les rôles s’inverser et de batailler avec la production pour conserver un maximum d’authenticité (rires). Ils ne s’y attendaient pas, mais c’est justement ça qui a rendu le truc hyper-naturel.
Vous avez rencontré des obstacles ?
Pas vraiment ou, en tout cas, rien de comparable à ce qu’on a l’habitude de vivre en voyage d’ordinaire. On n’avait pas d’électricité dans le van, ça, c’était un peu embêtant, mais pas très grave. La vraie galère, c’était la faim et l’impossibilité de pêcher. L’île est entourée d’algues, donc c’est très difficile de pêcher. Sinon, on a quelques embrouilles sur la route car l’un était persuadé de voir une plante à cueillir, et l’autre non. J’ai fini par croquer dans une plante neurotoxique, donc j’aurais peut-être dû l’écouter davantage.
L’île est souvent présentée comme un endroit unique sur terre. Tu l’as ressenti comment ?
Ce voyage m’a permis de me rendre compte que le plus intéressant sur cette île, au fond, c’était son atmosphère. Ce côté hyper-salin, tabassé par les vagues toute la journée… Il fait froid, il pleut… Les gens ont un rapport à l’iode, au sel, aux odeurs et à l’humidité unique. La construction du menu, ensuite, était très facile, car c’est la même chose que ce nous proposons à NE/SO. Des produits de la mer, de l’iode pleine balle, des produits herbacés…
Il y a des plantes que tu as découvertes là-bas que tu vas conserver dans ta carte ?
Je ne pense pas, car on est loin et que les mêmes plantes en France n’offrent pas forcément les mêmes propriétés. Ce qui m’a vraiment marqué, c’est l’instant t du produit. Les plantes que je cueillais n’avaient pas le même goût le lendemain. Une même plante cueillie douze heures plus tard avait un goût radicalement différent, c’est vraiment fou. Je le savais un peu, déjà, car mon travail est de proposer un produit au meilleur moment, afin qu’il offre le meilleur de lui-même, mais qu’une plante puisse offrir des saveurs complètement différentes en seulement quelques heures, ça m’a vraiment surpris.