“Qu’on se le dise : au départ, rien ne nous destinait à la boucherie.” Voilà comment les membres du Billot Club aiment à résumer l’aventure qui les a amenés jusqu’à l’ouverture de leur propre boucherie de quartier à Paris, dans le nord du 17e arrondissement, spécialisée dans les viandes paysannes. À vrai dire, avant toute cette folle histoire, Seb et Jean-Nicolas, anciens cols blancs et vieux copains d’école, n’avaient jamais vraiment pensé à ouvrir un commerce de bouche de la sorte. Et pourtant…
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Lassé de son job à La Défense, le premier se décide à tout plaquer et part relancer une race rustique de volaille, la poule noire d’Astarac Bigorre. L’autre patiente, puis finit par se laisser embarquer dans le projet après qu’un ami en commun leur souffle l’opportunité de reprendre une boucherie dans le sud de Paris. “Voilà comment on s’est retrouvé un samedi matin, à Charles Michel, avec cette idée un peu dingue : et si on l’achetait cette boucherie, on ferait quoi à l’intérieur ?”, se souviennent-ils.
L’idée de repartir à zéro et d’explorer un univers dont ils ignoraient tout les galvanise. Les doutes laissent vite place aux lettres de démission et au retour sur les bancs de l’école. Les deux passent un CAP boucher et enchaînent les stages dans des boucheries dont ils partagent la philosophie et l’état d’esprit (Terroirs d’Avenir, Viande & Chef…). Entre-temps, les deux garçons font la connaissance d’Augustin dans les vapeurs et les fumées du championnat de France de barbecue, organisé chaque année aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Augustin venait de rafler le titre dans la très disputée catégorie “burger”.
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“Après 48 heures à griller de la bidoche sous 40 °C, on a décidé de s’associer, avec cette vision que l’avenir de la boucherie passait aussi par la cuisine et la capacité à redonner de la valeur aux morceaux de viande un peu oubliés”.
Tout s’enchaîne alors très vite. Une fois le diplôme en poche, le trio part à la recherche d’un local. La boucherie ouvre finalement au mois d’avril 2020, en pleine crise sanitaire. “On aura mis huit mois à ouvrir la boucherie, entre le début des recherches et le lever de rideau. On a dû visiter plus d’une vingtaine d’affaires, on a failli en signer deux, pour finalement craquer au dernier moment pour notre boucherie actuelle à Guy Môquet.” Pour Konbini Food, ils reviennent avec leurs mots et de jolies photos sur leur tour de France, à la rencontre d’éleveurs, de producteurs et d’agriculteurs.
Pouvez-vous nous raconter votre grand périple ?
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C’était la grande aventure ! On est partis deux semaines et on a rencontré une quinzaine d’éleveurs lors d’un périple de plus de 3 000 kilomètres à travers les plus belles terres d’élevage françaises.
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Avant de partir sur les routes, il a fallu réfléchir à l’itinéraire. Comment votre recherche d’éleveurs s’est-elle déroulée ?
Depuis le début du projet, on avait la volonté de travailler en direct avec des éleveurs guidés par le bon sens paysan, avec des fermes à taille humaine et prêtes à se passer des circuits de grossistes traditionnels. On est d’abord partis chez Franck et Pierre Fierens, à la ferme du Chateauneuf dans le Nord, après une mise en contact via un pote de pote restaurateur. Le rendez-vous devait durer une heure, mais on a fini par passer la journée là-bas. On était stressés à l’idée de ne rien connaître à la viande et on se demandait comment on allait être reçus. Finalement, on a rencontré des personnes heureuses de partager leur travail, leurs réflexions et leurs idées.
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Vous avez tenu à aller rencontrer vos éleveurs en personne. Pourquoi ?
Rencontrer les éleveurs est primordial car ce sont des gens passionnés, pas forcément bavards, et souvent trop occupés pour passer du temps à papoter au téléphone. Le meilleur moyen de comprendre leur travail, c’était de leur rendre visite à la ferme et de passer du temps avec eux et leurs animaux. Qu’il fasse beau ou qu’il pleuve à torrent, on passait souvent de longs moments debout dans les champs, à écouter, débattre avec eux et prendre des notes, car à part cette transmission orale, ce savoir est très difficile à retrouver dans des livres.
“Qu’il fasse beau ou qu’il pleuve à torrent, on passait de longs moments debout dans les champs, à écouter, débattre avec eux et prendre des notes”
C’est à force de collecter leurs histoires et de recouper plein d’informations que nous avons pu commencer à nous forger une opinion sur la viande et à affirmer nos convictions. C’est aussi en passant du temps avec eux qu’on arrive à créer une relation de confiance, ce qui nous permet par la suite de poser des bases saines pour collaborer.
“On a dû montrer patte blanche : trois jeunes qui débarquent en baskets à la ferme avec des idées un peu neuves sur la viande, ils n’en croisent pas tous les jours”
Le premier contact avec les éleveurs, justement, comment ça s’est passé ?
Qu’on se le dise, on a souvent dû montrer patte blanche : trois jeunes qui débarquent en baskets à la ferme avec des idées un peu neuves sur la viande, ils n’en croisent pas tous les jours ! On nous a souvent pris pour des illuminés, tant la filière viande est devenue une grosse machine contrôlée par des gros acteurs, devenue très difficile à faire bouger. Les éleveurs sont très peu référencés sur Internet. Trouver les perles rares est un vrai travail d’investigation : de longues heures au téléphone, à se faire renvoyer de ferme en ferme, à collecter patiemment des informations afin de construire une base de connaissances saine et solide. N’étant pas du milieu, on partait vraiment de zéro.
Car avant de trouver les bons éleveurs, il faut aussi vraiment savoir ce que l’on veut…
Derrière cette volonté de travailler en direct, il nous a fallu dessiner les lignes du type d’éleveurs que nous recherchions. On s’est rendu compte que les labels existants (bio, Label rouge, IGP…) n’étaient pas forcément suffisants par rapport à nos attentes. C’est au fil de nos discussions que l’on a décrypté le “bon sens paysan”. Nous avons construit notre cahier des charges de la “viande paysanne” qui nous permet de sélectionner les éleveurs avec qui on veut travailler pour la boucherie. En clair : du 100 % français, privilégier l’élevage en plein air, avoir des animaux nourris avec des céréales produites localement et garanties sans OGM, et respecter des circuits d’abattage locaux et cohérents. En visitant les fermes et en discutant avec les éleveurs, on se rend vite compte si on partage la même philosophie, ce qui vaut mieux que beaucoup de labels.
“En visitant les fermes et en discutant avec les éleveurs, on se rend vite compte si on partage la même philosophie, ce qui vaut mieux que beaucoup de labels”
Qu’avez-vous appris à leurs côtés ?
Tellement de choses… Beaucoup d’éleveurs nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu un boucher dans leur ferme. Ça nous a paru dingue. En voyageant de région en région, on a mis le doigt sur une notion assez forte pour nous : le lien entre les races et leur terre d’élevage naturelle, un concept qui a été un peu mis de côté dans les années 1980, quand l’objectif était plus à l’industrialisation et la quête des meilleurs rendements dans la viande.
“Beaucoup d’éleveurs nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu un boucher dans leur ferme”
Quel souvenir gardez-vous de ce voyage ?
Pour faire simple : c’était intense. On a beaucoup roulé, beaucoup bossé, on a pris des montagnes d’infos qu’on essayait vaillamment de prendre en notes, entre deux cochons et souvent les pieds dans la gadoue. Et puis surtout… on a beaucoup mangé. Quel accueil ! Tout le monde mettait les petits plats dans les grands pour notre passage, et franchement, on s’est dit qu’on n’avait rien à envier à Depardieu dans la série À pleines dents.
C’est-à-dire ?
On a adoré notre passage dans le Pays basque. Quel terroir… Déjà, on était super heureux de rendre visite à Éric Ospital, le boss de la charcut’ dans le Sud-Ouest. On a visité son séchoir naturel à jambon, tout en refaisant le monde avec lui sur son pas-de-porte. On a été hyper convaincus par sa philosophie et on a réussi à négocier quelques approvisionnements. Aujourd’hui, on vend son jambon blanc artisanal à la boucherie, et tout le monde adore.
Racontez-nous votre passage dans le Pays basque…
On a ensuite posé nos valises dans la vallée des Aldudes, au pied de la frontière espagnole. On était guidés par Jean-Marc Ocafrain, éleveur de cochons AOP Kintoa, de brebis Manech tête noire – qui servent à produire l’Ossau-Iraty – et de vaches Pirenaica. On a débarqué dans cette vallée préservée, très fière de son terroir. On a dormi chez Helena, dans une auberge à quelques kilomètres de la frontière espagnole. Le genre de dîner épique avec le feu de cheminée qui craque derrière toi, qui se finit tard, à côté d’une table de vieux messieurs qui viennent pousser les cartes ici tous les jeudis soirs depuis quarante ans. Lever avec le soleil, petit footing dans la montagne et matinée avec les animaux dans les parcelles de Jean-Marc. Un souvenir précieux qu’on aime à se rappeler quand les journées sont dures !
On est ensuite passés dans le Gers, terre natale de Seb, qui a grandi à Auch. On avait rendez-vous chez Jean-Paul Beuste, à l’origine du projet autour de la poule noire d’Astarac Bigorre, avec qui Seb avait collaboré après avoir démissionné. Sur le chemin, on a fait un petit crochet chez les grands-parents de Sébastien. Il était 15 heures, on sortait déjà d’un déjeuner bien garni et bien arrosé, alors qu’on devait juste faire coucou et prendre le café. Mais c’était sans compter Mamie Rose… Au programme : tarte aux pommes, salade d’oranges à l’Armagnac et merveilles au sucre ! Le tout arrosé d’une belle bouteille de vin blanc de Gascogne, évidemment. Heureusement, on a pu doubler le café et filer chez Jean-Paul ensuite pour une rencontre passionnante autour de la volaille.
Il y a une région en particulier qui vous a marqués ?
Le dernier moment fort de notre voyage, c’était notre passage dans le Haut-Brionnais pour rencontrer les éleveurs de l’AOP bœuf de Charolles. Cette région, c’est berceau naturel de la charolaise, une vraie race à viande, connue pour sa capacité à bien s’engraisser, ce qui permet d’obtenir une viande très goûtue et bien persillée. Là-bas, les éleveurs connaissent parfaitement toutes leurs parcelles de pâturage et arrivent à engraisser naturellement leurs charolaises en les faisant brouter dans les prés. Le résultat ? Une viande de dingue, tendre, persillée, florale, subtile.
On est vraiment allés au bout de la démarche en allant visiter l’abattoir de Charolais Viande. Oui, c’était dur, ce n’est jamais facile de voir quelqu’un ôter la vie à un animal. Mais, de cette visite, on retient surtout le professionnalisme de Jean-Luc, directeur technique de l’abattoir, qui nous a partagé sa fierté de faire du mieux possible son boulot, encore plus conscient de l’exigence à avoir avec toutes les mauvaises publicités relayées par L214.
Cette rencontre s’est terminée par une visite des prés d’embouche, ces pâturages d’exception qui permettent d’élever leurs charolaises, et un superbe déjeuner. On garde un souvenir ému de cette tourte aux escargots de Bourgogne, qui précédait une superbe pièce de viande. Une fin en apothéose avant de reprendre la route pour Paris.
Dans un monde où l’on parle de manger moins de viande, de “flexitarisme”, ouvrir une boucherie n’était pas un défi qui vous a fait peur ?
Au contraire ! Cette philosophie de manger moins de viande, on la partage à 100 %. Au-delà de l’ouverture de cette boucherie de quartier, on a beaucoup creusé la question de l’élevage durant toute notre formation. Pour nous, le vrai danger, c’est l’élevage industriel. Manger de la viande n’a jamais été un danger en soi. Par contre, manger de la viande issue de l’élevage intensif et de l’industrie agroalimentaire, ça, c’est la cata : impact écologique néfaste, souffrance animale, produits bourrés d”additifs et de conservateurs, mauvaises graisses, mise à mal des artisans. Et puis par-dessus tout… la perte du vrai goût des choses.
“On a voulu remonter toutes les étapes de la filière, de l’élevage à la distribution en passant par l’abattage”
En construisant ce projet, on a voulu remonter toutes les étapes de la filière, de l’élevage à la distribution en passant par l’abattage, pour essayer de comprendre comment ces différents acteurs travaillent et quel est leur impact sur la viande qui finit dans notre assiette. Notre mission est de permettre aux consommateurs de manger de la bonne viande, bien élevée, et sans se ruiner. Chez nous, une vraie traçabilité et des engagements forts sur la qualité de nos produits ne sont pas réservés à une élite : nos prix restent accessibles et souvent moins chers que certaines boucheries traditionnelles ou marques de la grande distribution.
Billot Club
105, avenue de Saint-Ouen (17e)
Ouvert du mardi au samedi (9 h 30 à 19 h 30) le dimanche (9 h 30 à 13 heures)
Plus d’infos ici