Dans la déjà longue histoire de Top Chef, la “Boîte noire” est une épreuve emblématique, sinon mythique, du programme. Chaque saison, un chef très réputé est invité à venir cuisiner un plat unique que les candidats – et leur chef de brigade – devront reproduire à l’aveugle. Cette année, c’était l’immense et inimitable Pierre Gagnaire qui était de la partie.
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Du haut de ses seize étoiles, ce dernier a proposé une recette inédite réalisée à partir d’huître, de tourteau, de chips d’oignons, de foie gras, de sauce au maïs, de sirop de betterave et… d’un mystérieux “priestley” de Saint-Jacques. Nombreux sont les téléspectateurs, plus ou moins confirmés en matière de cuisine, à avoir tiqué devant cet ingrédient inconnu au bataillon.
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Mais alors c’est quoi, au juste, un priestley ? Cette recette est née en 2008, au cours d’un échange épistolaire entre le chef Pierre Gagnaire et Hervé This, le passionnant physico-chimiste que nous avions eu la chance de rencontrer dans son laboratoire l’an passé. À cette époque, les deux hommes qui travaillent ensemble depuis quelques années se retrouvent régulièrement en cuisine, seul à seul, pour expérimenter, essayer, traficoter de nouvelles techniques et innovations culinaires. Aussi, parfois, ils correspondent par téléphone ou par écrit.
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Une “nouvelle” crème anglaise
Dans une lettre envoyée en 2008, le chimiste Hervé This parle à Pierre Gagnaire de Joseph Priestley (1733-1804), “un chimiste et théologien anglais qui isola de nombreux gaz, tel l’oxygène”. Il lui retrace alors son histoire, son parcours de vie, avant de lui soumettre une idée. “Mon cher Pierre, ne juges-tu pas ‘raisonnable’ que nous dédiions un plat à un tel homme ? Il était anglais ; je te propose d’associer son nom à une crème anglaise.”
Mais pas n’importe quelle crème anglaise. Il serait question ici d’“une préparation analogue, mais où l’œuf est remplacé dans sa fonction par des protéines différentes : de viande, de poisson”. Et la préparation ? “Reprenons la recette de la crème anglaise pour bien comprendre. Il s’agit classiquement de battre du jaune d’œuf avec du sucre, jusqu’à ce que la préparation prenne une consistance lisse, plus blanche : on dit que la préparation doit ‘faire le ruban'”, écrit Hervé This.
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“Puis on ajoute du lait et toutes sortes de produits qui contribuent au goût de la préparation, et l’on cuit, en faisant des huit au fond de la casserole jusqu’à ce que la crème épaississe.”
“Goûts infinis”
Nous sommes en 2008, donc, et l’invention – parmi tant d’autres – de Hervé This est alors sur le point de voir le jour. “Est-ce une crème anglaise ? Je me suis souvent fait reprendre pour donner des noms classiques à des préparations modernes. Qu’à cela ne tienne. Introduisons un nouveau nom : ce sera du Priestley !”, finit-il dans son courrier.
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Mais encore fallait-il que le chef Gagnaire accepte de s’en emparer. Qu’à cela ne tienne, le chef ne tarde pas à répondre à son ami et fidèle acolyte de folies culinaires. “Enfin, on oublie œufs, gélatine et émulsion. Idée et application simplissimes qui permettent d’obtenir des crèmes aux goûts infinis. La texture, fine et soyeuse, apporte une belle alternative aux sauces dites classiques”, lui répond, enthousiaste, Pierre Gagnaire dans une autre lettre.
“Partant des deux recettes que l’on a mises au point avec Michel Nave, mon chef, je propose quelques pistes qui vont nous permettre de faire vivre ces priesley.”
Les deux recettes et “applications” que lui suggère Pierre Gagnaire sont une crème anglaise de langoustine et une crème anglaise de volaille à l’estragon. Le priestley de Saint-Jacques, proposé dans l’émission Top Chef à la grande surprise des jurés et des candidats, n’en est ainsi qu’une variante. Une adaptation. Même s’il a fallu attendre plus de dix ans, le priestley – et le Jason du même nom – si cher à Hervé This aura enfin connu son quart d’heure de gloire.
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