Konbini s’engage contre le cyber-harcèlement. En tant que média en ligne, Konbini est directement concerné par ce fléau qui touche parfois nos invité·e·s, nos journalistes et par extension nos community managers et sait le mal que le cyber-harcèlement peut faire aux individu·e·s qui le subissent, à leur proches et à une société toute entière. Pour retrouver les engagements de Konbini contre le cyber-harcèlement, c’est ici.
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Elles sont plus d’une cinquantaine, éparpillées dans toute la France. Elles sont étudiantes, professeures, avocates, mais se sont rassemblées, par écrans interposés, pour lutter contre les différentes formes de violences en ligne et particulièrement celles qui touchent les femmes. Elles, ce sont l’association #StopFisha.
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Lors du premier confinement, en mars 2020, les cyber-violences explosent : cyber-harcèlement, insultes, hacking, et comptes “fisha”, ces comptes qui diffusent de manière non consentie des photos dénudées de femmes, parfois mineures, dans le seul but de les “afficher”. Bloqués chez eux, les auteurs de propos et d’actes misogynes passent par le virtuel pour déverser leur haine. “Collectivement, on a fait le constat de la solitude dans laquelle les victimes se trouvaient, on a ressenti l’urgence de la situation et on s’est dit qu’il était temps de combattre le cyber-sexisme !”, se rappelle Hana, l’une des cofondatrices du collectif.
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Dès lors, les militantes, dont l’avocate au barreau de Paris Rachel-Flore Pardo, se mettent en lutte : elles posent le terme, cyber-sexisme, qui désigne toutes les violences de genre, les inégalités, les discriminations vécues en ligne par les femmes ou celles s’identifiant comme telles. Ce sont elles qui sont le plus visées par le cyber-sexisme et les cyber-violences par l’image (comme la pornodivulgation, ou le chantage à la diffusion de photos intimes).
Loin d’être limitées au seul espace numérique, les cyber-violences sont un prolongement des violences “de la vraie vie”, vécues hors ligne, mais aux caractéristiques spécifiques. Nos téléphones portables étant devenus les extensions de nous-mêmes, les violences en ligne ne cessent jamais, peu importe l’heure ou l’endroit…
Toutes les semaines, l’association Stop Fisha reçoit des dizaines de messages. “Ça dépend de plusieurs facteurs. Par exemple en période de vacances scolaires, on observe une augmentation assez importante”, analyse Hana. Pour signaler des insultes, des menaces, ou encore la diffusion non consentie de photos et vidéos intimes, ou bien encore l’existence de nouveaux comptes fisha, sur Snapchat ou Telegram.
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Ces comptes, tenus par des hommes, diffusent les photos dénudées de jeunes femmes, parfois mineures, pour les insulter et leur “mettre la honte”. Sur certaines discussions Telegram, l’accès est même payant pour consulter ces photos. Sur l’année 2020-2021, les militantes estiment avoir traité plus de 1 000 comptes fisha.
Des moyens policiers et judiciaires encore faibles pour lutter contre le cyber-sexisme
Ces violences sexistes et sexuelles, même virtuelles, ont de lourdes conséquences sur les victimes. Ainsi, en avril 2020, Elyse, 16 ans, avait mis fin à ses jours au Havre, à cause d’un compte fisha. À la suite de cette affaire, le collectif Stop Fisha avait écrit dans une tribune pour Mediapart : “Depuis le confinement, les violences faites aux filles et aux femmes ont augmenté et le cyber-harcèlement sexuel a explosé. Bien que virtuelles, ces attaques ont de graves conséquences et force est de constater que les comptes fisha tuent.” Isolement, déscolarisation, troubles de l’humeur, dépression, anxiété voire pensées suicidaires.
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Si le collectif s’est créé durant le confinement, presque deux ans plus tard, les cyber-violences sont toujours bien présentes. “C’est un phénomène qui est bien plus large qu’un simple compte sur telle ou telle plateforme. C’est du cyber-sexisme de masse qui s’opère sans complexe. Les confinements n’ont fait qu’accroître une violence qui existait déjà sur les réseaux sociaux”, ajoute Hana.
En France, les cyber-violences sont répréhensibles par la loi, et la plupart sont des délits passibles de prison. Pourtant, les moyens judiciaires et policiers accordés à la lutte contre les cyber-violences restent faibles. Les militantes de Stop Fisha passent plusieurs heures par semaine à traquer, bloquer, signaler les contenus violents auprès des plateformes et de Pharos, une plateforme du ministère de l’Intérieur censée lutter contre la cyber-criminalité.
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Aujourd’hui, 54 agents issus de la police mais aussi de la gendarmerie travaillent pour la plateforme Pharos, ce qui reste bien peu face au nombre de signalements et de contenus violents sur Internet. “Ce qui est certain, c’est que Stop Fisha répond à un grand manque. L’État n’est malheureusement pas à la hauteur sur ces questions. Malgré quelques avancées comme le parquet numérique, il reste encore beaucoup à faire”, estime Hana.
Face aux plateformes, Stop Fisha veut faire changer la honte de camp
Mais selon la militante, il y a un acteur qui n’est que très peu inquiété dans ces cas de cyber-violences : les plateformes elles-mêmes et la responsabilité qu’elles engagent. “En matière de traitement des signalements et de modération, les réseaux sociaux sont complètement défaillants, c’est inadmissible. L’État a sa part de responsabilité mais les réseaux sociaux sont très silencieux et incompétents quand il s’agit de traiter les violences sur leurs plateformes”, souligne Hana.
Face au manque d’action des grandes plateformes du Web, dont les sièges sociaux se situent souvent hors d’Europe et aux systèmes de modération opaques, le Digital Service Act pourrait changer la donne. Cette législation, sur laquelle se penche actuellement la Commission Européenne, vise à ce que les plateformes rendent des comptes aux juridictions européennes.
Dans ce cadre, Stop Fisha, avec plusieurs collectifs féministes, se bat pour faire entrer la notion de “image-based abuse” (abus par l’image) dans la législation européenne. Selon Hana, “utiliser les bons termes quand il s’agit des violences, ça permet dans un premier temps de les rendre visibles et dans un second temps de les reconnaître. On reconnaît cette violence, elle existe et on ne peut que la combattre”.
Le collectif apporte également une aide juridique aux victimes, en les aidant à porter plainte et à incriminer les auteurs de ces cyber-violences sexistes et sexuelles. Selon la loi, le revenge porn (le fait de diffuser de manière non consentie des images ou vidéos intimes) est passible de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. Dans les faits, peu de victimes portent plainte et ces dernières aboutissent rarement.