Chaque année, le nombre de séries diffusées augmente drastiquement avec l’explosion des plateformes et des canaux de diffusion. Forcément, hormis les grands noms qui font la presse diffusés sur Netflix, Disney+, Amazon et tutti quanti, les sériephiles ont parfois du mal à creuser parmi la pléthore d’offres qui s’accroît de façon exponentielle. Aujourd’hui, on vous propose de découvrir l’une des pépites cachées et discrètes de 2021, qui n’est pas encore diffusée en France mais devrait l’être prochainement (grâce au contrat d’exclusivité entre Showtime et Canal+) : Yellowjackets.
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Cette création signée Ashley Lyle et Bart Nickerson, un couple de producteurs qui a fait ses preuves sur Narcos, est une adaptation libre et d’un point de vue féminin de Sa Majesté des mouches, roman culte de William Golding. L’histoire de Yellowjackets s’inspire également d’un fait divers, plus précisément le crash d’un avion dans la cordillère des Andes dans les années 1970. À l’origine, les droits sont tombés entre les mains de Warner Bros. qui souhaitait l’adapter en film. Mais la showrunneuse Ashley Lyle décide finalement de proposer un pitch de série centrée sur une bande d’adolescentes, contrairement à l’histoire originale entièrement masculine.
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Après plusieurs refus de la part des diffuseurs, la productrice ne lâche pas l’affaire et convainc finalement Showtime de commander un pilote en 2018. Ashley Lyle transpose l’histoire de Sa Majesté des mouches au milieu des années 1990, autour d’une équipe féminine de foot du New Jersey. Qualifiées pour les phases finales du championnat lycéen, elles s’envolent pour Seattle à bord d’un jet privé. Mais, au cours de leur escale, l’avion s’écrase dans les Rocheuses canadiennes au beau milieu de nulle part. Pendant 19 mois, les survivantes du crash vont devoir s’organiser pour rester en vie et cohabiter, alors que certaines vont braver les interdits et utiliser des méthodes inimaginables pour se sustenter.
Entre narration lostienne et thriller survivaliste
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Dans le plus grand respect du roman de William Golding, Yellowjackets raconte la plongée d’un groupe d’individus vers la folie et la déconstruction sociale. Les jeunes femmes de l’équipe vont d’abord tenter de survivre avec des notions civilisationnelles de base, comme la démocratie et le partage équitable, avant de sombrer vers une forme de tribalisme plus rudimentaire et sauvage, où les faibles n’ont pas leur place. Même si la série reprend le concept initial de Sa Majesté des mouches, elle le transcende à travers une narration sinueuse qui nous fait voyager entre le passé, le présent et le futur des survivantes.
Cette narration lostienne héritée de la série culte signée Damon Lindelof et J. J. Abrams, précurseurs du concept de flashback et de flashforward, permet de rentrer profondément dans l’intimité des jeunes héroïnes de Yellowjackets. On apprend à connaître leurs forces, leurs faiblesses, leurs peurs et leurs désirs pour mieux comprendre leur façon de réagir face à l’inconnu dans les montagnes canadiennes. On touche ici à la première et grande qualité de la série, son écriture à la fois opaque et bien construite, ni trop complexe ni pas assez pour saisir les enjeux de chaque personnage. Yellowjackets est une série chorale qui s’est inspirée des meilleurs pour raconter son histoire avec une forte implication émotionnelle.
Évidemment, comme Lost avant elle, l’adaptation d’Ashley Lyle cultive son mystère sur la longueur et par petites touches. Qu’on soit dans le présent ou dans le futur, on ne sait jamais si l’histoire va évoluer vers un aspect plus fantastique ou au contraire s’efforcer de rester rationnelle. Les adolescentes ont-elles délibérément choisi de sacrifier leurs camarades pour la survie du plus grand nombre, ou s’agit-il d’une force surnaturelle qui les a toutes possédées ? La série joue sur cette tension entre réalisme et surréalisme en évitant soigneusement de répondre trop vite à la question. On sent toutefois le courage et la volonté des jeunes filles se dégrader progressivement face à une situation désespérée, jusqu’à ce que les besoins primaires prennent le pas sur leur amitié, voire leur humanité.
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Sans trop en révéler, il y a un peu de Cannibal Holocaust dans Yellowjackets, ce film horrifique italien signé Ruggero Deodato, culte chez les amateurs du genre, qui parle entre autres d’extrême violence et de cannibalisme. Certes, la série ne va jamais aussi loin dans sa représentation de la torture et du macabre, mais il y a des scènes d’une grande brutalité, parfois gores, souvent glaçantes, qui traduisent l’évolution des jeunes héroïnes livrées à elles-mêmes. Christina Ricci, l’interprète de Misty, cite dans une interview avec Entertainment Weekly un autre cinéaste amateur de violence à propos de Yellowjackets : Quentin Tarantino avec Reservoir Dogs. Une série pour les femmes qui apprécient ce film et qui “parle de femmes qui n’ont rien à voir avec la réalité”, selon ses propres termes.
Parlons désormais du casting tout simplement impeccable de la série. Menée par une Melanie Lynskey (Mon oncle Charlie) de gala, la distribution de Yellowjackets est tout simplement bluffante. En plus de la ressemblance physique frappante entre les versions jeunes et adultes des personnages, on imagine que les actrices se sont concertées hors du tournage pour partager et recopier des mimiques similaires visibles à l’écran. C’est franchement bluffant et il est ainsi très facile de reconnaître et de s’identifier rapidement aux nombreux personnages. La série dépoussière d’ailleurs certains archétypes féminins nauséabonds des teen drama, comme Natalie, une fille gothique qui fuit la solitude et aime le sport. Du tout bon donc, surtout que la série parle avant tout de ses personnages, leurs tourments et leur évolution vers un état d’esprit plus sombre et tribal.
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La réussite de Yellowjackets vient aussi de sa reconstitution très référencée dans les années 1990. Son générique d’introduction est un mix entre celui de Buffy et Malcolm, et sa musique ravira les puristes du rock, avec une BO qui tend vers le folk et le grunge à travers des titres des Smashing Pumpkins, PJ Harvey ou encore Pearl Jam. Sans être consumée par la nostalgie d’une époque révolue, la série évoque l’importance des traumatismes de l’enfance dans le passage à la vie des adultes. Et, après l’épisode du crash, la bande revient 19 mois plus tard avec des séquelles mais aussi des difficultés à appréhender le monde moderne, comme un soldat atteint d’un syndrome de stress post-traumatique.
Yellowjackets est un petit OVNI sériel, qui mélange les genres sans jamais tomber dans les travers d’un simple patchwork. Scénario lostien, thriller survivaliste, la série se distingue aussi par des touches horrifiques inspirées de The Haunting of Hill House et une approche nihiliste de la condition humaine dans une situation hostile. Les filles de Yellowjackets s’enferment dans une caverne de Platon brutale et macabre, de laquelle elles ne ressortiront jamais vraiment. Une audacieuse (et pas forcément volontaire) métaphore de la vie réelle en temps de pandémie, qui s’impose également comme une série palpitante et viscérale.
La première saison de Yellowjackets est inédite en France pour le moment.
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