En décembre dernier, le revival de The L Word effectuait ses débuts un peu tièdes sur les écrans des abonné·e·s à Showtime. La proposition est séduisante, la nostalgie au rendez-vous, mais on se demande bien ce que cette “Generation Q” (pour “Queer”) très fréquentable et instagramable a justement à nous dire sur les personnes queer de notre époque. Celles qui, précisément, tiennent pour acquis le fait de voir des lesbiennes, bies, trans et personnes non binaires dans leurs séries (bien qu’elles soient encore très sous-représentées).
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La révolution qu’a provoquée The L Word, l’originelle, au moment de sa diffusion de 2004 à 2009, a attendu presque dix ans avant d’en montrer les premiers effets concrets avec des séries comme Pose. Si son héritière naturelle n’est pas à la hauteur, c’est du côté de Work in Progress qu’il faut regarder. Petite série indé coproduite par Lilly Wachowski, également diffusée sur Showtime (chez nous sur Canal+), elle a été imaginée par Abby McEnany, et inspirée de sa propre vie. Celle qui se décrit elle-même dans la série comme une “grosse gouine queer de 45 ans qui n’a rien fait de sa vie” n’épargne rien à l’héroïne qui porte son nom. L’exercice est sûrement très cathartique. Et pour le public, c’est un vrai cadeau.
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Abby vit à Chicago et elle est persuadée que l’amour, ça n’est pas pour elle. Mal dans son corps, mal dans son genre, mal dans sa tête. Chez la psy, elle vomit sa déprime. Elle qui est passée maître dans l’art de l’auto-dépréciation, et dont la vie est rythmée par ses troubles obsessionnels compulsifs, se donne 180 jours – matérialisés par 180 amandes soigneusement alignées sur sa table et qu’elle jette au fur et à mesure – avant d’en finir pour de bon. Sa psy, elle, n’a pas attendu 180 jours : Abby réalise, en pleine séance, que sa confidente est morte d’ennui en l’écoutant. Ouch ! Mais sa rencontre avec Chris, un homme trans incarné par Theo Germaine, l’acteur·ice non binaire qu’on a pu découvrir dans The Politician, va lui donner une nouvelle raison d’espérer.
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Aussi douce que cruelle, Work in Progress fait exploser les cases dans lesquelles on range habituellement les gens. Une lesbienne qui se déteste et qu’on prend souvent pour un homme, est amoureuse d’un homme trans bien dans sa peau et libre. Abby, qui aime bien avoir le monopole du malheur, est bien obligée d’abdiquer : elle aussi a le droit d’être heureuse. Quand elle s’est lancée dans l’écriture de sa première série, Abby McEnany avait d’abord un besoin irrépressible de montrer ce qu’on ne voit jamais, ou trop rarement, sur nos écrans.
Si le cinéma grand public n’a jamais vraiment investi ce terrain, les séries télé, elles, permettent de faire avancer les questions de représentation. Quelle ne fut pas notre surprise en découvrant, dans les sous-titres français sur Canal+, le pronom “iel” (une forme neutre utilisée pour parler des personnes non-binaires). De mémoire de critique de séries, on n’avait jamais vu ça !
“J’ai toujours voulu faire ça, parce que je pense qu’il n’y a pas beaucoup de personnes comme moi au cinéma ou à la télévision. […] Voilà qui je suis : vieille, grosse, gouine aux cheveux gris. Je ne dis pas que je suis la seule. Mais disons que nous ne sommes pas nombreuses”, expliquait la créatrice dans une interview du Guardian, en décembre dernier.
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Voir des corps, des identités de genre, des sexualités qui divergent de la “norme” (une norme factice, on le rappelle), voilà ce qu’on demande à nos séries en 2020 (il serait temps !). Car au-delà du bénéfice indéniable auprès des personnes concernées de se voir représentées, c’est aussi un gage de diversité en termes d’histoires à raconter. Et tout·e sériephile qui se respecte, avide d’originalité, devrait se réjouir de cette richesse encore trop peu explorée.
Dans sa fable drôle, névrosée et plus queer que la plus queer de tes copines, Abby McEnany nous sert sur un plateau une comédie délicieuse sur l’identité sous toutes ses formes. Elle nous prend par la main pour explorer la vibrante scène LGBTQ+ de Chicago, dans les clubs comme dans les brunchs. Et dans son monde, les pires attaques qu’elle reçoit ne viennent pas de l’homophobie ou de la grossophobie des autres, mais bien d’elle-même. On dirait du Hannah Gadsby, l’humoriste australienne dont le spectacle Nanette sorti en 2018 sur Netflix avait fait l’effet d’un coup dans les tripes. Les deux femmes partagent d’ailleurs une certaine ressemblance.
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Mais Work in Progress n’est pas formidable seulement parce qu’elle s’emploie à raconter des histoires de personnes queer, elle l’est aussi et surtout par sa finesse d’écriture et la vulnérabilité de son héroïne, tantôt ultra sympathique, tantôt difficile à aimer. Abby McEnany marche sans cesse sur un fil, entre comédie et drame, entre bienveillance et cruauté, et sa petite série indé est peut-être la révolution queer qu’on attendait.
La première saison de Work in Progress, diffusée aux États-Unis sur Showtime, est à découvrir, chez nous, sur Canal+.