Le destin de l’Homme en noir et les théories autour de la quête finale de Westworld

Publié le par Adrien Delage,

© HBO

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Comme (trop) souvent dans les séries chorales et high concept, Westworld a tendance à s’éparpiller un peu partout dans les vastes plaines du parc de Robert Ford. On y suit les voyages respectifs de Dolores, Maeve et Bernard, mais la multiplication des timelines n’aide pas franchement à la lisibilité de l’histoire – et rend paradoxalement cette œuvre puzzle particulièrement hypnotique et captivante. Mais avec “The Riddle of the Sphinx”, Lisa Joy et Jonathan Nolan ont probablement livré l’un des meilleurs épisodes de toute la série en prenant le temps de se focaliser sur un personnage en particulier : William, aka l’Homme en noir.

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L’actionnaire de Delos, et joueur expert de Westworld, est un homme foncièrement mauvais qui pille, viole et trucide à foison pour atteindre son objectif final : percer les secrets du parc et surtout mener à bien la quête mystérieuse créée spécialement pour lui par Robert Ford. Si cet épisode bouteille le révèle moins manichéen qu’à l’accoutumée, il montre aussi la descente aux enfers qu’a connue William en tentant de dépasser les limites de l’humanité pour sauver son beau-père James Delos.

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Des vibes lostiennes

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“The Riddle of the Sphinx” a été réalisé par Lisa Joy, une première pour la showrunneuse. Clairement, elle et son mari Jonathan Nolan voulaient marquer le coup en pondant un chapitre qui fourmille de références visuelles et philosophiques. Dès les premières minutes de l’épisode, Westworld recommence à distiller des vibes lostiennes comme c’était déjà le cas dans la saison initiale.

En l’occurence, il s’agit là d’un épisode marquant de l’œuvre signée J.J. Abrams, Damon Lindelof et Jeffrey Lieber. “Man of Science, Man of Faith” est le season premiere de la saison 2 de Lost. L’épisode débute par un cold open dans lequel on découvre enfin l’intérieur de la trappe repérée par Locke. On fait alors la connaissance de Desmond à travers ses gestes répétés du quotidien, “pour sauver le monde” comme il le confiera à Jack et ses camarades. Cet aspect cyclique et les références visuelles au bunker de DHARMA (le vinyle, le vélo d’appartement) se retrouvent quasi plan par plan dans l’épisode de Westworld.

Mais dans la série de HBO, cette boucle temporelle prend une tournure encore plus tragique. Les nombreux objets de la pièce où est retenu James Delos ont un rapport avec le temps et la mémoire : le sable pris au piège du sablier, un poisson rouge enfermé dans son bocal, un vinyle qui tourne en boucle… Ils viennent symboliser la situation du beau-père de William, qui a passé des années dans cet espace claustrophobique afin de se préserver de la mort en usant du transhumanisme.

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Malheureusement, William et ses scientifiques ont échoué et le passage au présent avec Bernard et Elsie le confirme. Delos n’a jamais retrouvé toute sa tête dans son corps d’androïde puisque son cerveau robotique (ou sa conscience d’être humain ?) refuse d’accepter la réalité de sa survie, d’avoir vaincu la mort (la fameuse défaillance du plateau cognitif évoquée par l’Homme en noir lors de leur dernière entrevue).

Mais selon Lisa Joy, la référence prépondérante dans “The Riddle of the Sphinx” est un film russe de la fin des années 1970 : Stalker, réalisé par Andreï Tarkovski. Un long-métrage de science-fiction qui bouscule ses spectateurs par sa gestion antéchronologique du temps, des perspectives et de la continuité narrative. Ça ne vous rappelle rien ?

Mieux encore, Stalker raconte l’histoire de différents personnages qui tentent d’atteindre la Zone, un lieu jamais exploré par les humains, prétendument dangereux et peut-être d’origine extraterrestre. Tous les protagonistes du film convergent ainsi vers le même point, comme c’est le cas dans Westworld avec la fameuse Vallée qu’évoque Dolores à de multiples reprises et qui consisterait en une puissante arme de destruction massive.

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Le Sphinx et l’immortalité

Comme souvent dans Westworld, les titres des épisodes sont évocateurs des thèmes exploités dans la série. Ici, l’énigme du Sphinx est une référence qui remonte à l’antiquité et au retour d’Œdipe à la ville de Thèbes, dont l’entrée est gardée par une créature mythologique et pernicieuse. À la question de la chimère (“Qu’est-ce qui marche à quatre pattes le matin, à deux le midi et à trois le soir ?”), le fils qui a tué son père répond l’homme, qui se déplace à quatre pattes lorsqu’il est bébé, se tient debout pendant le reste de sa vie et a besoin d’une canne pour marcher à l’approche de ses derniers jours sur Terre.

Si le parc de Westworld ne se déroule pas à l’époque gréco-romaine, on peut aisément faire le parallèle avec James Delos et l’échec de William à lui offrir la vie éternelle. Si dans le cas de la série, le Sphinx représente la mort, et la réponse d’Œdipe l’immortalité, alors aucun être humain n’est capable de dépasser sa condition, encore moins après les 149 tentatives ratées de William. Le but de Westworld semble alors vaguement se dessiner : une partie d’échecs existentielle dont l’Homme en noir et Dolores sont les pièces maîtresses.

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James Delos scrute un bouquin pendant sa boucle temporelle qui s’intitule Les Sirènes de Titan. Cet ouvrage paru en 1959 et écrit par Kurt Vonnegut reprend des thèmes majeurs de la science-fiction. Si, en filigrane, le roman remet en cause le libre arbitre et le sens des actions humaines (thèmes récurrents dès les prémices de la série), l’œuvre porte surtout un message d’amour inspirant : il faut aimer son prochain, si ce dernier est apte à être aimé.

En d’autres termes, les clés de Westworld résideraient dans le lien entre William et Dolores, dont l’amour braverait la nature et le destin de chacun pour se réaliser, voire leur permettre de dépasser leurs conditions respectives : William accepterait de se transformer en un être hybride afin d’atteindre l’immortalité, tandis que Dolores déciderait d’être humaine pour créer son propre scénario de toute pièce, au risque de devenir mortelle.

Une autre référence de l’épisode va dans le sens de cette théorie. William aurait tenté de ramener son beau-père à la vie 149 fois. Un chiffre qui paraît anodin mais correspond aux proportions du monolithe dans La Sentinelle, le livre d’Arthur C. Clarke qui a inspiré le filme culte 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

Or, dans la version littéraire, le monolithe est une sorte de portail qui permet à l’humanité de passer à son prochain stade de l’évolution. Ainsi, David Bowman et l’Homme en noir partagent une destinée commune, guidée par Ford dans le cas du second. Rappelez-vous de ses paroles dans le season premiere : “C’est un jeu où tu dois trouver la porte.” Et voilà qui nous amène une partie de la réponse à l’énigme du Sphinx, et plus largement, à l’enjeu fondamental de Westworld.

La porte serait une métaphore de la solution vers la quête d’immortalité désirée par une grande partie des personnages (William, Delos, Ford, Arnold…) de la série. Un point convergent où l’amour et la rédemption permettraient à William et Dolores de se retrouver et de vivre leur idylle. Derrière cette porte se cacherait donc une copie jeune du corps de l’Homme en noir, lui permettant d’y transmettre sa conscience pour vivre avec l’alter ego de William.

L’amour serait donc l’arme ultime des androïdes, rendant Westworld beaucoup plus poétique, humaine et chaleureuse qu’à première vue. Mais comme aime à le répéter de manière méta feu le directeur du parc : “Si tu regardes droit devant, tu te diriges dans la mauvaise direction”