La fascinante série de science-fiction d’HBO joue au chat et à la souris avec ses corps nus, et l’érotisme est le cadet de ses soucis.
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La nudité sur une chaîne câblée comme HBO passerait presque inaperçue à une époque où la sexualité sur le petit écran est devenue ordinaire et où les tabous sont brisés les uns après les autres. Westworld ne fait pas exception, mais la série d’anticipation de Jonathan Nolan et Lisa Joy devient schizophrène quand elle aborde la nudité. Sa vision diverge selon les sujets (humains ou hôtes, hommes ou femmes, Blancs ou Noirs) et le contexte (la fiction du parc d’attractions ou la réalité de ses coulisses).
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Ce n’est pas pour rien que l’emblème de la série est un corps privé de sexe, dont seuls quelques attributs laisse deviner le genre qui lui sera assigné à la sortie de la chaîne de fabrication. Ultime clin d’œil à cette conscience en éveil, cette image de l’androïde sur sa roue est une référence à l’homme de Vitruve, une représentation de l’humanisme d’après Leonard De Vinci.
Dissocier nudité et sexualité
Quand Westworld s’attaque à la nudité de ses personnages, en particulier de celle de ses hôtes, elle offre deux visions bien différentes. Celle à laquelle nous ont habitués les chaînes câblées, et en particulier HBO ; et une nouvelle représentation, encore déstabilisante car assez rare sur le petit écran. La première, c’est celle des scènes de sexe, justifiées ou non pour le bien du scénario, et dont l’érotisme est généralement inversement proportionnel à sa valeur “choc”, tant notre société moderne nous sert de la fesse à toutes les sauces.
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HBO est une spécialiste du genre, de Rome à True Blood en passant par Game of Thrones, les corps s’étreignent, la nudité émoustille ou fait tapisserie. Mais la série parvient aussi à dissocier la nudité de la sexualité, ce qui est beaucoup plus rare et, donc, bien plus intéressant. Westworld nous introduit à un univers plus froid, où l’organique a disparu au profit du mécanique et où l’intelligence artificielle peut mimer nos émotions à s’y méprendre. Cette nudité-là, qui comme la première n’est réservée quasi exclusivement qu’aux hôtes, est désincarnée.
Elle devient alors transgressive dans sa façon de montrer, avec le plus grand détachement possible, des corps, des sexes, des seins, dépossédés de leurs vertus érotiques. Westworld ne lutte pas pour autant contre l’hyper-sexualisation des corps, elle décrit seulement le travers opposé : cette chair-là est comme morte. Les hôtes sont d’ailleurs allongés sur des tables d’autopsie, même pour un simple check-up. Si les hôtes sont censés représenter la perfection des corps dans toute leur diversité, c’est bien l’humain qui est faillible, corruptible et victime de ses imperfections. L’un des techniciens est ainsi surpris, le pantalon baissé, en train de violer l’une des hôtes.
Les désirs sexuels sont propres à l’humain
Quand la série questionne l’éveil de conscience et le degré d’humanité de ses androïdes, c’est pour mieux redéfinir ce que nous sommes. Et si l’on nous demande ce qui fait de nous des humains, en comparaison avec l’intelligence artificielle, on pense d’abord aux émotions, au libre-arbitre… Mais la sexualité fait aussi parti du lot. Les machines peuvent feindre, on leur apprend à mimer l’acte, comme le montre le générique, mais elles n’ont pas de désirs sexuels et ne ressentent aucune jouissance.
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La jeune femme dans cette scène n’est d’ailleurs pas vraiment une femme, selon les standards de l’entreprise qui a créé Westworld : elle n’a pas de volonté propre, c’est une poupée… Alors pourquoi parler de viol dans ce cas précis ? Précisément parce qu’on nous fait comprendre que ces hôtes sont ce qu’il se fait de plus proche de l’humain, sans l’être. Dès que William se prépare à entrer dans Westworld, il demande maladroitement à la femme qui l’accompagne si elle est “réelle”. L’homme est confus et celle-ci lui répond : “C’est le but.”
Concernant l’absence de volonté propre — ce qui placerait la notion de consentement dans une zone plutôt floue —, l’intrigue de Westworld permet de lever tous les doutes qui pourraient persister : les hôtes développent soudain une conscience d’eux-même, et donc un libre-arbitre. Cette conscience n’est pas absente, mais en sommeil. Quand l’illusion de la réalité opère, dans le parc, on cesse de poser ces questions car les hôtes doivent se confondre avec les humains. Ils peuvent donc feindre le consentement, faire semblant de résister… Peu importe, du moment que les visiteurs peuvent faire ce que bon leur semble avec eux.
Une idée que la série avait l’occasion de développer dans l’épisode 5. Au lieu de ça, elle nous a offert une scène d’orgie inutile, pas érotique pour un sou, et qui ne joue absolument pas sur la perception que l’on a des vrais/faux désirs sexuels des hôtes et de leur asservissement. Et ça, pour caricaturer un peu, c’est juste HBO qui fait du HBO. Voilà une séquence qui a beaucoup fait parler, mais qui ne raconte pourtant rien. Les corps des humains et des androïdes sont indistincts et la caméra ne cherche pas à nous expliquer qui est quoi.
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Cette orgie de peaux, de seins, de sexes peinturlurés en doré n’a d’autre fonction que de servir d’arrière-plan. En gros, il font tapisserie. Ce n’est plus une transgression de montrer ce genre de choses en 2016, surtout dans la mesure où la série ne prend aucun recul sur son sujet, à ce moment précis. Dans cette scène, l’action n’est pas tous ces corps qui gémissent et se caressent, ce sont les deux invités et Dolores… Les seuls à être habillés et à ne pas se prêter au jeu des bacchanales.
Je m’habille, donc je suis
L’une des principales thématiques de Westworld, une fois qu’on la dépouille de tous ses mystères et qu’on se libère des nombreuses théories qui fleurissent déjà sur Internet, c’est un va-et-vient entre deux mondes. La fiction et la réalité s’entrechoquent, les humains jouent à Dieu et leurs créatures bien obéissantes sont maintenues dans leur ignorance. L’illusion est parfaite, jusqu’à ce que deux de ses hôtes, Dolores et Maeve, commencent à dépasser leur programmation, à remarquer des bugs dans la matrice… Bref, à s’éveiller.
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Les hôtes du parc connaissent deux états : celui où ils sont dans leur monde, où ils ont un but, des émotions ou un chemin à suivre, le tout étant écrit pour eux et ajusté en fonction des éléments extérieurs. Lorsqu’elles sont dans Westworld, Maeve et Dolores sont habillées avec les vêtements qu’on leur a assignés, tel un uniforme.
Mais lorsqu’elles franchissent la barrière qui sépare leur fiction de notre réalité, dans les coulisses du parc et leur décor clinique, elles sont nues et toujours dans la même position. Assises sur une chaise pour les interroger, pour fouiller dans leur disque dur et tester leurs réactions pré-programmées, ou allongées sur une table d’autopsie pour être auscultées, rapiécées, charcutées : elles ne sont plus qu’un corps.
Seule Dolores a droit à un traitement de faveur lors de ses entretiens avec Bernard, qui insiste pour qu’elle soit habillée. Les deux s’engagent alors dans de véritables conversations, et s’échangent quelques secrets et réflexions intimes. Elle n’est pas déshumanisée et conserve ainsi sa dignité.
Dans sa fiction écrite sur mesure, Maeve, la tenancière de bordel, est une femme sexualisée, en apparence capable de choisir avec qui elle couche. Mais dans la réalité, son pouvoir de séduction n’est plus qu’un amas de données informatiques que l’on peut augmenter ou baisser à l’envi. Ses choix sont déterminés pour elle en amont, sa parole est calibrée et sa valeur n’est que la somme des technologies qui la composent.
Dans l’épisode 6 pourtant, Maeve surpasse ce pour quoi on l’a créée et après avoir été déshumanisée par des hommes en blouse, elle prépare sa revanche. Face à ces deux techniciens de labo, qui tiennent littéralement dans leurs mains les commandes qui permettent de contrôler Maeve, c’est elle qui prend le pouvoir, sans bouger de sa chaise, et toujours nue comme un ver.
Pour l’actrice Thandie Newton, qui se confiait sur son rôle dans Collider, c’est quand elle est totalement nue qu’elle est la plus forte. Elle estime qu’elle est davantage objectivée quand elle est dans les corsets et ses habits de prostituée que lorsqu’elle ne cache rien.
“J’avais les seins remontés jusqu’au menton. Ça attirait les regards, même de la part des équipes sur le plateau […], ça a dévalué la communication, qui passait alors en second après l’inconfort que ça provoquait pour tout le monde. Cet inconfort, ça s’appelle l’érotisme.”
Quand les humains de Westworld imposent la nudité aux hôtes lorsqu’ils sont dans la réalité, c’est pour marquer leur différence et assoir leur supériorité — toute relative, évidemment. Une distinction qui rappelle les uniformes déshumanisants que l’on donne aux prisonniers ou aux esclaves. Les vêtements sont réservés aux maîtres. C’est donc aussi à un système de classes que Maeve s’attaque, en renversant les rapports de pouvoirs, en devenant supérieure à ceux qui la dominaient, tout en restant nue.
“Je ne me suis pas épilée. Tous les hôtes ont des poils, parce que c’est l’époque qui veut ça, mais même ça, ça choque encore. Je n’ai rien fait pour vous inciter à penser à mon clitoris, à mes lèvres ou à mon vagin. J’ai tout laissé tel quel. Et ça m’a fait me sentir tellement forte.”
Le tabou de l’homme noir
À l’inverse, Westworld peut aussi avoir un traitement très maladroit de la nudité, notamment dans un cas très précis et furtif. Bart, un hôte qui apparaît durant 23 secondes dans l’épisode 5 et ne joue aucun rôle particulier dans la série — si ce n’est de rester planté là, devant l’ingénieure Morris, pendant qu’elle dissèque ses défauts comportementaux. Quand il verse du liquide dans un verre, Bart met tout à côté. La caméra filme cet homme dans toute sa masculinité, de profil, en plan serré sur ses parties génitales, puis de face, le pénis à peine dissimulé derrière la table.
Pourquoi cette séquence, pour le moins anodine, sort-elle du lot ? Parce qu’elle reproduit un trope télévisuel particulièrement problématique. Car voyez-vous, Bart est un homme noir. La pop culture s’est toujours fourvoyée en tentant de représenter la sexualité des hommes noirs : soit elle l’occulte totalement et en fait un tabou, soit elle le fétichise en le ramenant à des clichés de taille du pénis et de performances au lit.
Westworld tombe dans ce deuxième travers. Car oui, elle brise le tabou en montrant un homme noir en full frontal, mais elle s’en moque aussi. Les autres hôtes nus apparaissent soit en arrière plan et sans dialogue, ou sont les héros de l’histoire et leur nudité est prise très au sérieux comme on a pu le voir plus haut. Bart n’a pas droit à ce traitement de faveur. Contrairement à Dolores lors de ses entretiens avec Ford ou Bernard, dont les regards ne parcourent jamais son anatomie de façon lubrique, Elsie Morris s’attarde sur l’entrejambe de Bart.
Elle y va même de son petit commentaire, sur un ton qui trahit son désir : “Je vais te réassigner dans un rôle où tes… talents… ne seront pas tragiquement gâchés.” Tout le souci de cette scène réside non pas dans le fait que Bart soit représenté comme une poupée sans libre-arbitre (c’est le sort réservé à tous les autres et c’est ce qui donne de la force au propos de Westworld), mais dans cette objectivation sexuelle de l’homme noir, réduit à sa fonction, voire pire, à son pénis.
C’est d’autant plus symbolique que Bart est une forme esclave, dans l’impossibilité morale de briser ses chaînes et que Morris voit en lui un sextoy. Il est inoffensif pour elle et à sa merci. Un cliché raciste qui trouve ses origines dans la domination des Noirs par les Blancs du temps des premières colonisations et qui a décidément persisté depuis tout ce temps.
L’objectivation sexuelle de l’intelligence artificielle en tant qu’androïde est plus subtilement représentée dans Real Humans, sans nudité. Cette différence est due au fait que la série suédoise s’intéresse plus particulièrement à la reconnaissance de l’humanité des hubots, à leurs droits, quand Westworld fait une démarche à contre-sens en nous montrant comment les hôtes sont soudain déshumanisés dès qu’ils sont déshabillés.
Mais Bart n’est logé à la même enseigne que les autres hôtes, ceux qui jouent un rôle dans l’histoire. Nous voici donc avec un homme noir en full frontal, et que l’on réduit à son pénis. Un cliché raciste censé nous faire rire, mais qui fait plutôt grincer des dents. On comprend que la série ne dénonce ni le comportement ni la “blague” de Morris, puisqu’elle n’accorde à la scène que 23 secondes, pensant sans doute rétablir l’équilibre cosmique en objectivant un homme, une fois n’est pas coutume, plutôt qu’une femme. C’est raté.
Comme on a pu le voir dans ces six premiers épisodes, Westworld s’est clairement posé la question de la nudité et ce qu’elle raconte sur les hôtes. Elle est un baromètre qui nous permet de mesurer le niveau d’asservissement de Dolores à son créateur et témoigne de la rébellion à venir de Maeve. Mais la série n’a pas porté la même attention aux autres personnages, comme avec Bart, et révèle ainsi une faille dans sa propre réflexion sur la nudité.
Elle propose tout de même un traitement très intéressant autour du sujet des corps nus en évacuant d’emblée le “male gaze” et son pendant féminin le “female gaze”. Ce regard qui objectifie sexuellement les personnages — le plus souvent féminins, mais Westworld rétablit aussi l’équilibre en ce sens — et parasite trop souvent notre lecture des séries. La nudité n’a jamais été aussi peu sexualisée et sublimée sur le petit écran.
En France, Westworld est diffusée sur OCS, en US + 24