Après la tentative ratée de Motherland : Fort Salem, une nouvelle série dans laquelle les femmes prennent les armes vient de débarquer sur Netflix, et elle est nettement plus réussie. Basée sur les comics de Ben Dunn, intitulés Warrior Nun Areala et édités entre 1994 et 2002, et créée par Simon Barry, elle adopte le point de vue d’Ava Silva, une jeune femme orpheline et tétraplégique, qui vient de mourir dans des circonstances floues. Alors que son corps repose dans une église, elle est ressuscitée par un artefact divin qui vient s’accrocher dans son dos. Cela n’arrange pas du tout une organisation secrète, baptisée l’Ordre de l’Épée Cruciforme. Composé de nonnes combattantes, il combat depuis des siècles les démons, mené par la “Porteuse du Halo”, leur leadeuse.
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Voilà les (très) grandes lignes de cette première saison, composée de dix épisodes, qui prend logiquement des libertés par rapport aux comics. Si ces derniers étaient centrés sur Shannon Masters, la série débute par la mort de la nonne guerrière, suite à une embuscade qui sent le complot interne. Le Halo, qui possède sa propre capacité d’agir, se fixe alors sur la personne d’Ava, 19 ans… et athée, ce qui ne va pas aller sans poser de gros soucis. Parallèlement, une entreprise de tech, menée par la scientifique Jillian Salvius, est décidée à utiliser et à désacraliser les pouvoirs des artefacts jalousement gardés par l’Église, pour rendre la vie éternelle accessible à tous et toutes. À moins que ce ne soit l’Enfer qui ouvre ses portes ?
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Si les deux premiers épisodes manquent de clarté quant à l’exposition de la mythologie dense de la série et des personnages (on notera que c’est le cas de nombreux pilotes de séries Netflix, qui n’ont plus à répondre à une structure stricte comme les pilotes de networks), on est guidés dans l’univers par l’attachante Ava, incarnée par Alba Baptista, qui se trouve être le sosie officiel portugais d’Ellen Page ! Et aussi une excellente actrice. Aussi novice que nous, voire plus puisqu’elle a passé les 12 dernières années de sa vie clouée dans un lit et maltraitée par une Nonne, elle découvre à la fois les bonheurs d’une existence de personne valide en recouvrant la pleine capacité de ses membres, mais aussi un monde de ténèbres qu’elle n’a pas franchement envie de combattre. Et puis il y a ce tout nouveau pouvoir procuré par le Halo, qui lui permet de se battre, de léviter ou de traverser les murs. Elle va devoir l’apprivoiser et il lui permettra de combattre aussi ses propres démons. On suit ses états d’âme à travers une voix off aléatoire (surtout présente dans les premiers épisodes).
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Jamais à court de réparties comiques et de références à la pop culture (peut-être parce qu’elle a passé beaucoup de temps devant un écran ?), de The Rock à Harry Potter en passant par L’Exorciste, Ava s’inscrit sans peine dans la lignée des héroïnes badass pour qui l’humour est aussi une arme fatale, que ce soit Veronica Mars, Wynonna Earp ou encore Buffy Summers. Warrior Nun partage avec cette dernière le goût d’une mythologie féministe et mystique, où le pouvoir passe de femmes en femmes. Mais comme Buffy, qui était supervisée dans les premières saisons par un Observateur (Giles), lui-même répondant au Conseil des Observateurs, les nonnes badass répondent au Père Vincent, puis au Cardinal Duretti et au Vatican. Et comme dans la série de Joss Whedon, cette hiérarchie patriarcale est amenée à être renversée, et la mission en elle-même de l’Ordre de l’Épée Cruciforme est remise en question, tout comme le fut la tradition des Tueuses.
Je doute, donc je suis
Au cœur de Warrior Nun émerge le combat de longue date entre science et religion. La série creuse cette dichotomie mais évite tout manichéisme. La question de la foi est au cœur des débats entre les sœurs, et reste ouverte. L’une des protagonistes les plus intéressantes de cette première saison, ShotGun Mary (incarnée par Toya Turner), a rejoint l’ordre comme femme de main mais ne porte pas le voile et n’a pas prononcé ses vœux. En revanche, elle a trouvé un sens à sa vie dans ce combat contre le Mal, et dans la sororité. Avoir la foi est différent de suivre les préceptes de l’Église et sa hiérarchie. De l’autre côté, on peut argumenter que Jillian la scientifique a placé tellement d’espoir dans ses recherches qu’elle en a fait sa religion, alors même qu’elle critique l’Église et ses préceptes. Et c’est une des vraies questions de notre époque : la science et les nouvelles technologies ont répondu à tant de mystères, ont ouvert tellement de portes, qu’on est tentés de leur accorder toute notre foi. A-t-on raison ? Notre existence est-elle vraiment explicable par la raison et par la science ?
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Le doute traverse tous les personnages chrétiens de la série, de la Mère Supérieure aux nonnes Beatrice et Lilith, qui jusqu’ici ont toujours suivi les ordres comme de bonnes petites soldates ; en passant par le Père Vincent au passé étonnant. À chaque fois, c’est en s’entraidant et en se serrant les coudes que l’ordre s’en sortira. Ava, qui a souffert de la solitude et a une peur panique de l’abandon, va ainsi découvrir les bienfaits de la sororité. Toutefois, on n’est pas dans le monde des bisounours : le show nous montre que le lien entre les sœurs guerrières peut être rompu selon les circonstances et les désirs profonds de chacune, et qu’une sororité se travaille. Elle ne va pas de soi dans un monde qui laisse si peu de place aux femmes pour s’exprimer.
Au-delà de questions existentielles pertinentes, Warrior Nun s’avère aussi un divertissement de très bonne facture, fun, qui joue avec la culture du secret de l’église et la relation entre magie, histoire et religion. Il y a un côté chasse au trésor chrétien, avec les artefacts de l’ange Adriel et des flash-back, qui n’est pas sans rappeler le phénomène Da Vinci Code. La série puise le maximum dans des décors naturels espagnols (elle a été tournée à Marbella, Ronda, Antequera, Málaga et Séville), que ce soit les paysages, des scènes ensoleillées ou des monuments chrétiens et autres ruines qui l’inscrivent dans une atmosphère européenne. Un choix artistique très différent des comics américains, qui se déroulaient au Japon et à New York, mais payant. Tout comme les effets spéciaux et les combats des nonnes, saisissants par leur violence et leur explosivité.
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Interviewé par CBR, le showrunner Simon Barry a expliqué ne pas avoir bénéficié d’un budget à la hauteur de la mythologie et du genre fantastique de la série, mais il a tout donné sur la production value : “Je voulais qu’on ait l’impression qu’elle a coûté deux fois plus cher que la réalité”. Pour cela, “nous avons dû prendre le chemin le plus difficile, le plus créatif, et trouver nos opportunités là où elles se trouvaient”, explique-t-il. Là encore, on croirait entendre un autre showrunner en début de carrière, un certain Joss Whedon, qui se plaignait du budget riquiqui de sa série, Buffy, en saison 1, mais se félicitait aussi d’avoir dû trouver avec son équipe le look du show en faisant preuve d’une grande créativité. Et si on l’avait finalement vraiment trouvée, la nouvelle Tueuse ?
La première saison de Warrior Nun est disponible sur Netflix depuis le 2 juillet.