À l’occasion du lancement de la série Les Grands, qui met en scène une poignée d’adolescents attachants, Biiinge a rencontré son co-scénariste et réalisateur, Vianney Lebasque.
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La scène se déroule lors d’une froide journée de novembre 2015, dans un vrai collège basé à Tours. L’équipe des Grands, une nouvelle série OCS qui a eu la bonne idée de s’intéresser aux ados (trop peu présents dans nos séries françaises), tourne depuis quatre semaines une première saison composée de dix épisodes. Créée par Benjamin Parent et Joris Morio, elle a connu de profonds changements avec l’arrivée du réalisateur et co-scénariste Vianney Lebasque, à qui l’on doit le film Les Petits Princes.
Dans la (vraie) cantine du collège, entre la poire et le fromage, et avant de retourner gérer l’une des scènes phares de la saison — celle de la photo de classe —, l’homme revient sur ce projet, qui lui tient visiblement à cœur.
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Biiinge | Alors, satisfait de cette journée de tournage ?
Vianney Lebasque | Oui, c’est une journée importante. Il y avait une scène de baiser entre deux personnages. J’ai simplifié au maximum la technique pour me concentrer sur le jeu des acteurs. On a tourné le plus souvent en lumière naturelle et caméra à l’épaule. Le but était d’avoir des mises en place très simples, pour ne pas enfermer les acteurs dans des choses trop complexes.
Je partais dans l’inconnu au départ. Je n’ai jamais tourné avec une telle rapidité. Au final, c’est une très bonne surprise. Ce qu’on avait réfléchi en amont fonctionne sur le tournage. Je ne suis pas du tout frustré, la qualité du rendu est même au-delà de mes espérances.
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Vous êtes co-scénariste et réalisateur, mais pas créateur. Comment avez-vous travaillé avec Benjamin Parent et Joris Morio ?
J’ai été contacté par les deux créateurs, qui avaient beaucoup aimé le ton de mon premier film, Les Petits Princes, et la sincérité dans le jeu des acteurs. J’ai suivi cette même ligne pour cette série. Mais j’ai accepté le projet car j’ai pu me le réapproprier. Je voulais insuffler mon ton, raconter ce qui me touche chez les adolescents.
“Je prends les ados très au sérieux. Leurs sentiments sont très sérieux.”
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J’ai voulu redessiner des personnages, les développer aussi selon les acteurs retenus pour les jouer. Au final, on a réécrit intégralement les dix épisodes en deux mois et demi avec les deux auteurs. On a été à fond tout l’été 2015. J’ai repris des dialogues pour leur donner un ton plus personnel. On n’a jamais cessé de réécrire jusqu’au premier jour de tournage. En fonction de la mise en scène, il y a encore des aménagements.
Pourquoi avoir réalisé autant de changements ?
J’aimais la fraîcheur des adolescents et le parti pris d’être uniquement dans un collège. Ce que j’ai surtout voulu, c’est casser le côté bouclé des épisodes. J’étais intéressé par l’évolution des personnages. Qu’est-ce que celui-là apprend et comment va-t-il se comporter ?
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On était sur de la comédie, et j’ai poussé le curseur pour aller vers la comédie dramatique : mettre du sérieux là où il n’y en avait pas, ajouter des images qui disent des choses sans forcément qu’il y ait du dialogue et mettre du cinéma dans ce genre de séquences. Il fallait plus d’enjeux dramatiques et un traitement plus réaliste. Et puis j’adore les ados. Je ne voulais pas qu’on se moque d’eux ou qu’on propose une caricature d’adolescents. Je les prends très au sérieux. Leurs sentiments sont très sérieux.
Comment avez-vous réussi à doser les dialogues entre adolescents pour qu’ils soient drôles et réalistes ?
J’ai ajouté ma touche sur les dialogues, repris des petits mots que je n’aimais pas. Ça a vraiment été un travail à trois. Il fallait aussi savoir quels sont les mots qu’ils utilisent ou pas. N’ayant pas la prétention de mieux parler qu’eux, j’ai tout simplement demandé aux comédiens. Je le sens quand ils n’arrivent pas à dire une phrase et dans ce cas, je leur demande : “Comment tu le dirais ?” Si c’est un mot qu’ils n’aiment pas, ça me paraît faux. Ils n’hésitent pas aussi à venir me voir pour me poser des questions : “Pourquoi il dit ça à ce moment ?”, ou “Ce mot, je ne le sens pas…”
J’ai aussi préféré ne pas abuser d’expressions trop actuelles pour ne pas rendre la série obsolète rapidement. Je pense qu’on est réaliste en cherchant plutôt la façon dont ils interagissent entre eux que des mots précis. Donc je n’ai pas insisté sur les mots trop tendances comme le “seum” ou “miskin”, mais plutôt sur des expressions presque intemporelles, que les générations d’ados disaient aussi avant. Après, ce ne sont pas des jeunes de la rue donc on n’est pas dans un langage trop codé. On est dans une classe socio-culturelle moyenne.
Abordez-vous des sujets sensibles dans Les Grands ?
Oui, mais sur le ton de la comédie. On a par exemple un personnage qui fait une tentative de suicide, à la suite de quoi les élèves doivent écrire une lettre. Certains s’en foutent complètement et sont plus intéressés par leur contrôle de maths. Ça donne un humour grinçant que j’aime beaucoup.
On parle aussi d’homosexualité à travers le parcours d’un personnage qui va vers l’acceptation de son identité sexuelle. Il y a aussi le cas d’un gamin en surpoids qui a pris 30 cm en un été, et va tout d’un coup séduire les deux plus belles filles du collège. Les thématiques sont liées à leur identité. On voit aussi les parents et selon leur comportement, on comprend un peu la psychologie de leurs enfants.
“Je n’avais aucune série française en tête, seulement Skins.”
L’improvisation est une technique que vous utilisez souvent ?
Quand je vois une scène qui ne fonctionne pas, je me demande : “Qu’est-ce qui fait que je n’y crois pas ?” Et dans ce cas, je cherche un truc et je propose que les deux du fond se racontent une histoire par exemple. Ça me sert à insuffler de la vie.
J’essaie de créer des choses en plus de celles écrites noir sur blanc, pour rendre les scènes les plus naturelles possible et qu’on puisse faire exister les personnages plus secondaires. Je crée aussi en fonction de ce que me donnent les comédiens. J’ai par exemple imaginé plein de scènes avec Monsieur Genno [Thomas Scimeca, ndlr], un des personnages adultes qui n’avait pas de storyline. On se voyait 30 minutes le matin et on partait d’une idée toute bête pour développer une scène.
Côté sources d’inspiration, vous avez plutôt été chercher outre-Atlantique ?
On s’est vite rejoints sur l’envie de faire quelque chose qui ressemble plus à ce que fait le ciné indé américain sur l’adolescence que ce qui se fait sur les séries. Je n’avais aucune série française en tête, seulement Skins, ma série référence sur les ados.
J’ai pensé à des choses comme Bienvenue dans l’âge ingrat de Todd Solondz, Elephant de Gus Van Sant, à des cinéastes comme Larry Clark [Kids, Bully, Ken Park, ndlr] ou Gia Coppola [Palo Alto, ndlr]. J’ai essayé d’insuffler cet esprit par petites touches, que ce soit dans ma façon de diriger les acteurs, dans la musique ou dans la photographie.
Il y a aussi dans Les Grands une fraîcheur et un ton comique présents depuis le début. Quand on a été touché par un personnage qui nous a fait rire, on est d’autant plus touché de le voir ensuite dans une situation où ses sentiments sont mis en avant. Je pense que la dramédie, c’est mon truc. Je crois que je ne vais faire que ça [rires] !
Quelle est la place de la musique dans la série ?
La musique est très importante pour moi, pour accompagner les sentiments, mais je ne voulais pas mettre de “la musique de jeune” parce que je fais une série sur des ados. C’est trop cliché. Sur le plateau, il y en a qui sont en train d’écouter Georges Moustaki, donc je ne vais pas leur mettre La Fouine.
Je travaille avec le même compositeur que sur mon film, Christophe Menassier. L’ambiance sera electro-rock. Ce n’est pas forcément très original, mais ce sera quelque chose avec des roads, ces vieux claviers analogiques que l’on entend chez des gens comme Sofia Coppola. J’adore la BO de Air sur Virgin Suicides.
Avez-vous repensé à vos années “coups de cœur” en tournant Les Grands ?
Je n’ai pas du tout réfléchi à mes années en tant qu’ado. Mais quand je prends du recul, j’ai l’impression d’être un peu des cinq personnages principaux. Tout ce que j’ai changé n’est finalement pas innocent : ça correspond à une période de ma vie ou une histoire que j’ai eu avec une fille. Tous les sentiments que j’aime font partie de l’adolescence. J’ai essayé de retranscrire ce que j’ai ressenti à cette époque, sans rentrer dans l’anecdote, en restant plus sur des sensations.
Les Grands parleront-ils aussi aux adultes ?
J’ai essayé d’être universel. Les adultes nostalgiques de leur adolescence y retrouveront la beauté de l’innocence. J’espère que les moments de vie dans Les Grands rappelleront des choses à tout le monde. On est souvent du point de vue des ados, mais la série montre aussi celui des adultes.
Je me souviens d’une scène où l’un des techniciens avait les larmes au yeux, parce que ça lui a rappelé une époque de sa vie, loin de ses responsabilités d’adulte. C’est un sentiment très puissant, que l’on a tous ressenti. Je veux que la série retranscrive ça.
Qu’est-ce qui vous fait revenir sur cette période de l’adolescence ?
Ce qui me fascine dans cette période de l’adolescence, c’est que tout est possible. C’est une période pendant laquelle on a encore complètement le choix de qui on veut devenir. Chaque événement va déterminer l’adulte qu’on va devenir. Il y a une notion d’avenir très importante, de laquelle on a absolument pas conscience quand on est en train de vivre ça. On cherche sans le savoir et tout se construit de manière totalement inconsciente. Je trouve ça assez beau.
On a ajouté le décor du toit, en haut duquel les ados vont se réfugier. Il est à eux. Il n’y a pas les règles du collège. Avoir l’horizon devant soi quand on est cinq sur un canapé, à 14-15 ans, c’est une image assez parlante des années qu’ils sont en train de traverser.
La première saison de la série Les Grands débarque ce jeudi 3 novembre sur OCS.