Après les cartons de Drive et The Neon Demon, Nicolas Winding Refn a gagné ses galons de cinéaste le plus hype (et le plus esthétisant) de sa génération. Il aurait pu continuer son œuvre sur grand écran, mais le dandy danois a de la suite dans les idées. Le streaming, c’est le présent et le futur. “Le cinéma est mort”, lançait-il il y a deux ans déjà, lors d’une conférence de presse tonitruante, où il annonçait le lancement de sa plateforme de streaming, ByNWR, sur laquelle il propose gratuitement des films oubliés, restaurés en 4K.
Publicité
Ressusciter le cinéma en streaming, c’est peut-être l’un des enjeux cachés de Too Old To Die Young. Comme à chaque fois qu’un cinéaste arrogant se lance dans une série, Nicolas Winding Refn s’est fendu d’une sortie médiatique au premier abord peu originale, annonçant avoir tourné “un film de 13 heures” et non une série. Et au final aucun des deux. Car dans l’esprit du réalisateur, le format sériel qui accompagnait la télévision linéaire est aussi mort que le cinéma. Ce qui l’intéresse, c’est l’espace du streaming, “la collision entre le cinéma et les séries télé”. Justement, Amazon lui a offert un magnifique mur blanc, lui a filé un pinceau et lui a dit : “Faites ce que vous voulez.” Voici donc venir Too Old To Die Young. Derrière ce titre de petit malin qui sonne comme la campagne du nouveau parfum Diesel se cache donc 10 épisodes d’une durée aléatoire, entre 30 minutes et 1 heure 37.
Publicité
On y suit d’un côté la plongée ultraviolente d’un jeune policier taiseux (coucou Miles Teller en mode Ryan Gosling) et légèrement dead inside dans le LA by night où la criminalité prend différents visages, de l’autre la trajectoire tout aussi sanglante d’une famille à la tête d’un cartel mexicain, alors que le parrain est sur le point de manger les pissenlits par la racine. Les deux mondes vont finir par s’entrecroiser.
N’en déplaise à notre ami NWR, il a bien imaginé une série, même s’il propose à son audience de la suivre dans le désordre. On comprend assez vite le geste artistique de l’auteur, surtout au bout du deuxième épisode, sorte d’hommage parodique arty au Parrain, dans lequel un simili Don Corleone oscille entre narcolepsie et bavardage ennuyeux ayant pour sujet principal son obsession pour le footballeur Pelé. Si vous regardez assez longtemps TOTDY (2 ou 3 heures minimum), elle agit effectivement comme une sorte de flux de contenu, fascinant par sa lenteur. Chaque scène est passée au peigne fin, avec une caméra qui balaie lentement le décor de droite, à gauche, à droite, pendant que les personnages passent le plus clair de leur temps à chiller sans but, dans le silence, où à se dire des platitudes.
Publicité
Les fans du style NWR retrouveront tout ce que les anti détestent : cinquante nuances de néons by night, un son électro qui va bien, de l’ultraviolence, des gens beaux et des scènes qui s’étirent à n’en plus finir. L’épisode 2, qui se déroule au Nouveau-Mexique, a lui des airs de Breaking Bad au ralenti. Les personnages sont le plus souvent des caricatures conscientes (le vieux flic, le parrain, le jeune BG, les putes).
Publicité
Entre les deux, on retient quelques personnages, surtout féminins, qui sortent un peu du cadre, comme la justicière Yaritzia (Cristina Rodlo). Mais le but n’est pas vraiment de développer ces personnages. On a plutôt l’impression que l’histoire est en second plan, et que NWR se fait plaisir à expérimenter formellement, notamment sa palette de nuanciers de couleurs. Il se comporte davantage comme un designer control freak en manque de mannequins porte-manteaux qu’autre chose avec ses acteurs. Comme s’il ne fallait surtout pas qu’ils nous transmettent une quelconque émotion, de peur d’égratigner sa toile de grand maître. Son esthétique et sa façon de filmer ses personnages ne sont d’ailleurs pas sans rappeler par moment le film Nocturnal Animals de Tom Ford.
Intéressante sur la forme, Too Old To Die Young aurait davantage sa place dans un musée d’art contemporain que sur une plateforme de streaming. On pensait David Lynch seul sur son créneau de “série/œuvre d’art” après la saisissante saison 3 de Twin Peaks, qui a tant divisé mais aussi fasciné. Nicolas Winding Refn participe de cette même démarche de décloisonnement des arts de l’écran. Il marche sur ses pas, passionné lui aussi par l’origine du mal. Mais il malaxe la même matière avec moins de génie que son aîné, diront certain·e·s. Sa recherche de beauté est presque conventionnelle, là où celle de Lynch produit des œuvres imprévisibles. Le créateur de Twin Peaks prend aussi le temps de nous raconter des histoires à l’intérieur de ses fantasmes quand les cauchemars de l’artiste danois semblent tous se ressembler depuis Drive.
Publicité
NWR nous expliquait qu’il a commencé à écrire TOTDY juste après l’élection de Trump à la tête des États-Unis, la série étant une sorte de “réaction versatile et physique” à ce que le pays était en train de devenir selon lui. Alors oui, elle évoque le chaos, la violence, l’absurdité d’une société codifiée où finalement tout le monde s’ennuie profondément. Elle retourne à l’occasion (mais pas encore assez à mon goût) les codes macho du genre mafieux, comme dans cette scène gay où le nouveau parrain asperge de coke son bras droit dénudé. Mais si l’interprétation d’un Ryan Gosling ou d’une Elle Fanning permettait aux spectateurs un minimum d’empathie, les personnages volontairement désincarnés de TOTDY ne font pas le même effet. S’attacher à eux demande un effort particulier. NWR a approché sa “série de streaming” comme un film de 13 heures. Et c’est là que réside l’un des problèmes de TOTDY : quand Lynch ne se prive pas de jouer avec notre attachement aux personnages de Twin Peaks, Refn déshumanise les siens, et nous ne donne pas spécialement envie de savoir ce qui va leur arriver.
La série pêche, pas tant par son extrême lenteur ou à cause des gimmicks de réalisation, mais parce que l’auteur a oublié de nous raconter une histoire. On peut réduire une intrigue à sa substantifique moelle sur un film de deux heures, et se concentrer sur la forme. Il faut en revanche avoir une sacrée confiance en son art pour ne pas se remettre en question alors qu’on s’apprête à réaliser un contenu artistique d’une durée de 13 heures. Too Old To Die Young nous apprend deux choses : le style NWR n’est pas franchement compatible avec un format sérialisant, et il serait peut-être temps pour le réalisateur d’innover réellement. Reste une œuvre d’une beauté formelle assez hypnotisante – qui s’inscrit esthétiquement dans la continuité de Drive, Only Gods Forgive et The Neon Demon – et une expérience de visionnage pour le moins unique.
Les 10 épisodes de Too Old To Die Young sont disponibles sur Amazon Prime Video.
Publicité