Indissociable de son personnage de Liz Lemon dans 30 Rock ou de son imitation de Sarah Palin au SNL, c’est aussi et surtout en tant que scénariste que Tina Fey a marqué la pop culture de ces vingt dernières années.
Parce qu’elle est une femme dans un monde – celui de la comédie US – trusté par des hommes, on a voulu la relooker. Parce qu’elle a dirigé des hommes, on l’a traitée de “bossy “. Parce qu’elle a défendu les femmes, tout en se moquant de ses propres travers, on l’a accusée d’être antiféministe.
Mais Tina Fey a su s’imposer en campant farouchement sur ses positions, en restant elle-même. Elle a aussi trouvé des alliés de poids tels Lorne Michaels, producteur du Saturday Night Live, Robert Carlock, scénariste au SNL qui est encore aujourd’hui son binôme d’écriture, et bien sûr, son amie de toujours, Amy Poehler.
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L’autodérision comme mécanique de défense
À l’âge de 5 ans, alors qu’elle traînait devant la maison familiale d’Upper Darby, en Pennsylvanie, un fou s’approche d’elle et lui lacère le visage avec un couteau. Sur le coup, la petite Tina croit que son agresseur l’a attaquée avec un feutre. La cicatrice qu’elle porte encore aujourd’hui sur son profil gauche lui rappelle le caractère indélébile de cette marque.
Mais la blessure la plus profonde est celle que l’on ne voit pas. Peu de temps après les attentats du 11 Septembre sur le World Trade Center, une enveloppe d’anthrax est découverte au 30 Rock, l’adresse new-yorkaise de la chaîne NBC. Tous les employés se sont évidemment inquiétés, mais Tina Fey, elle, a dû faire appel à une thérapie pour surmonter l’événement.
“C’est une attaque qui arrive de nulle part, c’est terrifiant”, dira-t-elle à l’époque. Pas besoin d’être psychiatre pour comprendre que la peur qu’elle ressent à cet instant, cette menace qui surgit sans prévenir, est un douloureux rappel de ce qu’elle a vécu enfant.
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Unbreakable
Les années Saturday Night Live
“She doesn’t have the looks”, assénait Sue Mengers, un agent de Hollywood très influent, pour décourager Lorne Michaels de sortir Tina Fey de la Writer’s Room et la mettre devant les caméras du Saturday Night Live.
Avant de devenir l’imitatrice officielle de Sarah Palin, elle a d’abord œuvré dans l’ombre, à écrire des heures de sketchs, au rythme incessant des émissions hebdomadaires. Le SNL est une école exigeante.
Chaque semaine, on remet les compteurs à zéro. Chaque semaine, il faut apporter sa contribution, ses idées. Des blagues qui ne seront pas toutes retenues. Tous ceux qui y sont passés peuvent témoigner de la pression immense qui pèse sur ses scénaristes.
En 1998, un an après avoir intégré la Writer’s Room, Tina Fey est choisie par Lorne Michaels pour prendre la direction de l’équipe, après le départ d’Adam McKay. Elle devient ainsi la première femme, dans toute l’histoire du SNL, à occuper ce poste.
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“Il n’y a vraiment que dans le monde de la comédie qu’une fille blanche docile de la banlieue entre dans les quotas de diversité” – Tina Fey dans son livre Bossypants
Deux ans plus tard, on lui propose de passer devant la caméra pour mettre en application les sketchs écrits en coulisses, et notamment ceux du Weekend Update, le segment d’actu satirique, en duo avec un certain Jimmy Fallon.
En 2004, ce dernier s’en va et laisse sa place à une vieille amie de la comédienne : Amy Poehler, membre du cast depuis 2001. Le duo marquera les esprits par ses vannes qui ne manquaient jamais leur cible et une complicité qui crevait l’écran.
Mais son fait d’armes le plus marquant de son passage au SNL arrivera bien plus tard, ironiquement, après son départ du show (qu’elle a quitté en 2006). Nous sommes en 2008, en pleine campagne électorale pour la présidentielle et une candidate, alors gouverneur de l’Alaska, devient la muse inattendue de Tina Fey : Sarah Palin.
La comédienne revient sur les planches du SNL, en tant que “host”, cet invité très spécial, au cœur de chaque nouvel épisode. Elle se saisit de la soudaine popularité de Sarah Palin et la fait sienne, dans un jeu d’imitation troublant. Tina Fey va conférer une véritable sympathie à la candidate républicaine, dans une émission au public plutôt démocrate. Non sans l’égratigner un peu au passage, évidemment.
Régulièrement, Tina Fey renfilera la perruque de Palin, en tant que host ou en invitée surprise. Le gimmick atteint son paroxysme lorsque Amy Poehler la rejoint dans sa parodie, grimée en Hillary Clinton, pour dénoncer le sexisme en politique.
Son alter ego, Liz Lemon
“Vous avez tous regardé un show de sketchs sur le féminisme sans même le réaliser, tout ça parce qu’il y avait toutes ces vannes autour.” – Tina Fey dans Bossypants.
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Pourtant, certains ont vu en Liz Lemon un personnage qui cochait toutes les cases du stéréotype féminin traditionnel : célibataire, pétrie d’insécurités, désespérée d’avoir un homme dans sa vie… C’est mal connaître Tina Fey que de douter de son engagement féministe. Sa seule présence sur les tapis rouges hollywoodiens est une revendication.
Elle qui a toujours lutté contre la croyance absurde, notamment entretenue par Jerry Lewis, selon laquelle les femmes ne sont pas drôles. Sa réussite, comme celle de sa meilleure amie Amy Poehler, est la meilleure réponse à ce genre d’inepties, encore proférées à notre époque.
Tina Fey + Amy Poehler = BFF (Best Feminist Friends)
Tina Fey et Amy Poehler se sont rencontrées sur les planches de la troupe d’impro Second City, en 1998 à Chicago. C’est le cofondateur du théâtre qui les a présentées.
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“Elle s’appelait Tina et elle était comme moi, mais en brune. Elle était vive d’esprit, timide et hilarante à la fois.” – Amy Poehler, dans Yes Please!
Les deux comédiennes ne se sont jamais vraiment quittées et leur carrière a évolué selon le même tempo : l’impro, le SNL, l’écriture de série (Parks and Recreation pour Poehler). Leurs personnages respectifs, Liz Lemon et Leslie Knopes, ont beau être différents, ils s’inscrivent tous les deux dans une démarche féministe.
Un “statement” qui retourne les codes de l’héroïne de comédie. Contrairement à beaucoup de leurs idoles passées, Lucille Ball dans sa série I Love Lucy en tête, le couple n’est pas au centre de leurs préoccupations. Elles sont en quête d’un idéal bien plus contemporain, un bonheur qui passe par l’épanouissement professionnel.
Le vrai modèle, pour ces deux femmes, il faut le chercher du côté du Mary Tyler Moore Show, une sitcom des années 1970 :
“Mary Tyler Moore était une femme active dont les intrigues ne tournaient pas exclusivement autour des hommes et de la rencontre amoureuse. Elles exploraient l’amitié, les relations avec les autres, ce qui ressemble fort à ma vie d’adulte.”
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Après leur passage au SNL et leurs séries respectives, Fey et Poehler vont devenir des icônes de la comédie au féminin et du féminisme à Hollywood.
“J’ai connu des hommes plus vieux dans la comédie qui pouvaient à peine manger ou se laver par eux-mêmes et qui travaillent encore aujourd’hui. Les femmes, en revanche, on dit qu’elles sont ‘crazy’… Je suspecte que la définition de ‘crazy’ dans le show business soit en fait synonyme d’une femme qui continuerait de parler même après qu’elle n’est plus baisable.” – Tina Fey dans Bossypants