Dans l’acronyme LGBTQ+, la lettre B est rarement mise sur le devant de la scène. Trop compliqués à ranger dans une case, les bi ne sont jamais les têtes d’affiche (ou très rarement, citons en exception J’ai 2 amours où le personnage principal masculin est bi) et quand ils le sont, les stéréotypes ont la peau dure. “C’est si rare de voir une série centrée sur une femme qui explore sa sexualité et encore plus rare d’avoir un personnage féminin bisexuel. J’ai vécu longtemps avec ce projet dans ma tête avant de trouver les bons partenaires”, explique Desiree Akhavan, actrice principale, réalisatrice et showrunneuse de The Bisexual, dont la diffusion sur Channel 4 vient de débuter.
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Elle a commencé à réfléchir à The Bisexual en 2014, alors qu’elle réalisait son premier film, Appropriate Behavior, qui a eu les honneurs du festival Sundance. “C’était la première fois que j’étais confrontée aux médias, et on n’arrêtait pas de parler de moi avec ce terme, ‘bisexuelle’ : ‘la réalisatrice bisexuelle ou la cinéaste irano-américaine bisexuelle…’ Et ce mot, bizarrement, résonnait à mon oreille comme quelque chose de mauvais ou d’embarrassant, même si c’était vrai. Je me surprenais à penser : ‘Oh j’espère que mes parents n’écoutent pas.’ Je me suis demandé pourquoi j’étais si mal à l’aise à chaque fois que j’entendais ça. Il fallait que j’enquête. Pourquoi ça me faisait me sentir honteuse ?”
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“D’une manière ou d’une autre, tu mens”
Et c’est ainsi qu’est née l’idée de The Bisexual, un titre de série ô combien signifiant, à la fois une façon de réhabiliter ce terme pour l’autrice, mais aussi de contrecarrer l’invisibilisation des personnages bi, sous-représentés à Hollywood. C’est écrit en toutes lettres, ça existe, vous ne pourrez pas passer à côté : THE BISEXUAL. “C’est un titre qui vous fait sentir quelque chose. Je suis intriguée par le fait de comprendre pourquoi il renvoie quelque chose de si intense. Quels stéréotypes avons-nous en tête quand on entend ce mot, et lesquels avons-nous sur ce personnage, avant même qu’on la connaisse vraiment ?”
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De quels stéréotypes parle-t-elle ? Il y en a un paquet, choisissez votre préféré : être la méchante de service ou la marrante libérée sexuellement. “Tu n’es pas quelqu’un de confiance, tu ne peux pas être monogame, tu fais preuve de duplicité ou juste tu es une chaudasse… D’une manière ou d’une autre, tu mens.”
Elle poursuit :
“Je pense que c’est très dur pour les gens de ne pas voir le genre comme la couche extérieure d’identité, comme si quand tu aimes quelqu’un, ça ne peut être qu’un genre en particulier, que tes critères ne peuvent convenir qu’à un genre. Et les personnes qui pensent comme ça ont du mal à comprendre qu’on peut être attiré par un autre genre, et ne peuvent pas faire correspondre ton genre extérieur avec leurs critères. J’y ai beaucoup pensé, et il y a toujours cette duplicité, ça semble faux, comme si la bisexualité n’existait pas. Mais pendant six épisodes, vous allez voir comment cela existe pour cette femme.”
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Desiree Akhavan a choisi de faire de son personnage Leila une lesbienne, déjà passée par un coming out compliqué, et qui va se retrouver face à un deuxième coming out inversé dans le Londres (la showrunneuse y habite depuis quatre ans) contemporain et lesbien. L’histoire débute par une rupture aussi douloureuse que soudaine, après 10 ans de vie commune avec une femme, qui la demande en mariage. C’est un électrochoc pour Leila, qui se rend compte qu’elle ne veut pas se marier, peut-être parce qu’au fond, elle a besoin d’explorer sa sexualité et qu’elle se sent aussi attirée par des hommes. “Alors qu’elle est trentenaire, elle va se retrouver à vivre comme une adolescente, découvrir de nouvelles choses en tentant de comprendre comment fonctionnent les hommes.”
Dans l’excellent pilote de The Bisexual, série bientôt visible chez nous sur Canal+ Séries, Leila discute avec ses copines lesbiennes et balance cette phrase : “La bisexualité est un mythe.” Évidemment, c’est ironique, puisqu’elle est justement en train d’explorer la sienne. “Leila est celle qui a le plus de mal à accepter son identité sexuelle. Elle est la plus critique envers elle et elle lutte avec une homophobie intériorisée.” Leila, qui s’est construite comme lesbienne et fréquente des amies gays, a peur de leur réaction si elle venait à se proclamer bi. Dans la vraie vie, “certaines lesbiennes ont un problème avec les bi, d’autres non, tout dépend avec qui vous parlez”, “et dans la série, c’est définitivement Leila qui a le plus de problème à accepter cette étiquette”.
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Female gaze
Dans la lignée d’un Girls ou d’un Insecure, deux autres dramédies réalistes écrites et jouées par leur showrunneuse, The Bisexual propose un nouveau point de vue féminin sur bien des sujets, à commencer par la sexualité et la façon dont Desiree Akhavan compte la représenter dans sa série.
“En général, les scènes de sexe à la télévision ne disent qu’une chose : ces gens sont en train d’avoir des relations sexuelles. Mais c’est tellement plus que ça : on peut y déceler la fin d’une relation, des émotions différentes… Il n’y a pas que des fluides qui sont échangés. Il y a une énergie et de la communication dans le sexe. Je ne vois quasiment jamais ça sur un écran. Ça m’intéresse beaucoup.
Je pense aussi que les scènes de sexe sont très souvent filmées de façon subjective. Je veux changer l’objectif. Je veux voir des scènes de sexe du point de vue des femmes. Je veux voir comment elle en fait l’expérience.”
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Qui dit female gaze dit jouissance féminine, une thématique qui sera explorée au fil de la première saison de The Bisexual, à en croire sa showrunneuse. Et si vous pensez que la jouissance féminine est un thème qui ne date pas d’hier, coucou Sex & the City, c’est vrai, mais a-t-elle jamais été abordée d’un point de vue bi ?
“J’espère que la série permettra d’ouvrir des discussions sur la moralité et les tabous qui entourent la bisexualité, ainsi que sur la sexualité des femmes, et leur jouissance. En deux ans, et après avoir réalisé le film The miseducation of Cameron Post [2018, ndlr] qui était centré sur une jeune femme lesbienne, je pense que les gens sont allergiques au plaisir féminin. Demander du plaisir selon ses propres termes, ne pas s’en excuser et le rechercher, ça a tendance à être pris de la mauvaise façon par le public. Je veux examiner pourquoi.”