Comme chaque année en ère de Peak TV, l’été s’étoffe de plus en plus de séries. En 2018, on a tremblé devant Sharp Objects, trinqué avec Bean et ses amis de Désenchantée ou encore rechargé notre magasin avec le retour de Jack Ryan sur les écrans. Entre ces grosses productions toujours bien marketées mais pas toujours à la hauteur des attentes, il se cache des pépites que le soleil chatoyant de la période estivale ne devrait jamais éclipser.
Publicité
La saison 2 de The Sinner en fait partie. Le thriller policier du scénariste Derek Simonds (When We Rise), coproduit par Jessica Biel, qui tenait le premier rôle en saison initiale, nous emmène sur les traces d’un nouveau meurtre mystérieux en lien avec une secte lugubre, dont l’enquête est toujours prise en charge par l’attachant Harry Ambrose (Bill Pullman). Après les accès de violence de Cora Tannetti, l’enquêteur fait face à un autre cas dérangeant : un enfant âgé d’une dizaine d’années aurait volontairement assassiné ses parents. Mais la réalité derrière ce geste effrayant est toute autre et escamote une affaire de manipulation de masse.
Publicité
Une semi-anthologie captivante
L’intérêt et l’originalité de The Sinner reposent sur son concept : il s’agit d’une semi-anthologie policière. Comprenez par là qu’à chaque saison, une nouvelle enquête débute centrée sur des personnages inédits. Un seul élément reste inchangé et soutient le tout, à savoir le détective fatigué et fataliste Harry Ambrose. Un choix essentiel et malin du showrunner Derek Simonds, tant Bill Pullman est impeccable et attachant dans ce rôle. Il faut dire que la force du show réside avant tout dans ses personnages, captivants et même bouleversants.
Publicité
Après l’excellente prestation de Jessica Biel, transcendée dans le rôle de Cora, la série mise sur Carrie Coon. Grande habituée de l’anthologie (Fargo, The Leftovers à sa manière), l’actrice est tout simplement glaçante et magnétique dans la peau de Vera Walker, sorte de gourou de Mosswood, un ranch où vit une étrange communauté autosuffisante aux rites sibyllins (leur totem est une immense roche inquiétante). Bizarrement, de nombreux membres ont tendance à disparaître dans des circonstances suspectes au fil des années.
Cette dernière est également la tutrice de Julian, le meurtrier présumé de ses parents, un gamin manipulé et perturbé incarné par Elisha Henig, qui livre une partition ébouriffante. Pour être complètement honnête, le jeune comédien est la révélation de la série et possède un talent fou pour nous faire passer des larmes à l’effroi en quelques secondes. Son jeu est hypnotique et à seulement 14 ans, on lui souhaite un avenir aussi prometteur que celui de Millie Bobby Brown.
Autour de ces atouts majeurs naviguent des personnages secondaires présentant autant d’intérêt que les protagonistes. On pense notamment à la flic qu’Harry prend sous son aile, Heather Novack, interprétée avec une dose d’émotions parfaitement contrôlées par Natalie Paul (The Deuce). Toutefois, il est regrettable que sa relation homosexuelle souffre du trope si commun du “bury your gays”. Mais c’est bien la seule erreur de cette deuxième saison de The Sinner dans son traitement des personnages, qui sont tous identifiables, fêlés intérieurement et donc forcément irrésistibles, que leurs intentions soient bonnes ou mauvaises.
Publicité
La violence au féminin, la thématique poignante de l’été
La série d’USA Network traite des sujets sombres, violents voire carrément glauques sans jamais faire appel à la surenchère. Au contraire, The Sinner propose une mise en scène très sobre, à la photographie grisée, qui est encore plus angoissante en saison 2. Comme un slow burner, en rythmant toutefois davantage son intrigue avec des rebondissements et autres twists en cours de route, elle tend à faire exploser la vérité, telle une frappe nucléaire, à mesure que se rapproche le dénouement du season finale.
Si elle est captivante et peu choquante en termes de mise en scène, sa violence est plus subtile et tout aussi crue. Par cet aspect, The Sinner ressemble à une autre série immanquable de cet été, Sharp Objects. Toutes deux, chacune à sa façon, surtout quand Jean-Marc Vallée a une saison entière pour imposer sa patte de réalisateur, traitent de la violence faite aux femmes, mais aussi de la violence des femmes. En prenant en compte ces problématiques de l’ère post-mouvement #MeToo, la série remet d’ailleurs en question l’identité d’Harry Ambroise en saison 2, mais aussi de manière méta le rôle de l’acteur, qui est parfois relégué au deuxième plan pour laisser Vera et Heather s’exprimer.
Publicité
Contrairement au personnage d’Amy Adams dans Sharp Objects, la souffrance de Vera provient d’un homme, Lionel Jeffries. Il est le fondateur de la communauté de Mosswood et provoque un phénomène de mimétisme sur ses fidèles. Dans ses rites, souvent violents, basés sur des abus physiques voire sexuels, on lit une critique de la société patriarcale, de sa domination et aussi de ses effets néfastes et aliénants sur les esprits. D’ailleurs, certaines de ses suiveuses tombent enceintes de lui et il interdit les relations intimes entre ses disciples, ce qui n’est pas sans rappeler le comportement de certains gourous ayant réellement existé tel que David Koresh, dont l’histoire a été traitée dans la mini-série Waco.
Désormais leadeuse de la communauté, Vera répète ce schéma vicieux qui en vient même jusqu’à traumatiser les enfants comme Julian. Après avoir été considérées comme des proies, des objets de manipulation, les femmes deviennent l’instrument de la violence des hommes (poke The Handmaid’s Tale). C’est choquant, révélateur sur notre propre société et The Sinner confirme ainsi sa capacité d’analyse de la société moderne tout en construisant un puzzle fascinant à reconstituer. De quoi vous donner des sueurs froides alors qu’il fait 40 °C à l’ombre.
En France, la saison 2 de The Sinner sera diffusée prochainement sur Altice Studio, tandis que la première sera disponible sur Netflix le 21 septembre prochain.
Publicité