Parce qu’elle représente le pire de ce que l’Humanité a été capable de s’infliger, la période du nazisme reste particulièrement dans l’imaginaire de la pop culture. Les séries se font le reflet de cette fascination morbide. Après The Man in the High Castle ou encore la tarantinesque Hunters, avait-on envie de voir une nouvelle série venir déterrer les fantômes nazis ? Pas nécessairement et pourtant, le projet de David Simon le pédagogue, se distingue clairement des autres. L’idée n’est pas de créer des méchants épiques et des héros de guerre stylés, mais bien de raconter la vraie vie, beaucoup plus terrifiante, car les monstres étaient humains.
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Adaptation du roman éponyme de Philip Roth, The Plot Against America appartient à la catégorie bien spécifique de l’uchronie – ces fictions qui se basent sur des faits historiques, pour mieux explorer une réalité alternative. Nous voilà plongés en 1940. Charles Lindbergh vient de remporter les élections face à Franklin D. Roosevelt. L’aviateur populiste et xénophobe est alors au top de sa popularité aux États-Unis et considéré comme un héros. Dans la vraie vie, il a été poussé à se présenter par les Républicains, mais a finalement refusé de le faire. Le romancier a imaginé un Lindbergh conduisant petit à petit l’Amérique vers le fascisme et l’antisémitisme.
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Journaliste de formation, David Simon a une obsession : scruter l’Amérique, son passé (The Deuce, Show Me a Hero) et les challenges du présent (The Wire, Generation Kill, Treme) d’un point de vue social et politique. Plutôt unique en son genre dans l’industrie sérielle, le showrunner aime créer au plus près de la réalité. On l’adore pour ça ou au contraire… on reste indifférent. Le rythme de ses œuvres, beaucoup plus lent que la plupart des séries actuelles, en décontenancera plus d’un. Mais les connaisseurs arriveront en terrain conquis. The Plot Against America propose une reconstitution soignée des années 1940, en nous plongeant dans le quotidien d’une famille de la classe moyenne, résidant dans le quartier juif de Newark. Un peu à la manière des meilleurs Scorsese, on observe alors le quotidien de toute une communauté : les deux époux, Herman et Bess (Morgan Spector et Zoe Kazan), leurs enfants, leurs proches et voisins. Ils s’enflamment, rigolent, parlent politique, bref, vivent. C’est à travers ces vies et ces protagonistes que l’on va voir l’Amérique basculer dans le fascisme.
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Le casting, toujours impeccable dans les séries de David Simon, comprend aussi les excellents Winona Ryder et John Turturro, la première tombant sous le charme du second, un rabbin ambitieux qui va servir de paravent à la politique antisémite de Charles Lindbergh (Ben Cole), de moins en moins discrète. La fascination que ce dernier exerce sur ses compatriotes, en tant qu’aviateur et garant des valeurs américaines, se fait sentir surtout à travers les yeux du plus jeune de la tribu et les grands rassemblements populaires. Mais ce personnage reste au second plan, car l’intérêt ici est de montrer comment sa politique va se répercuter dans la vie des Américain·e·s.
Le showrunner s’intéresse avant tout aux mécanismes qui font tenir la démocratie et aux garde-fous, qui cèdent un à un. Entre le premier et le troisième épisode (la mini-série en compte six), le changement d’atmosphère est palpable. Un cousin est parti s’enrôler au Canada pour “tuer des nazis” (son fantasme va d’ailleurs se heurter à la dure réalité de la guerre), la famille Levin qui souhaitait déménager dans un quartier plus huppé se rend compte que ce sera impossible. Puis, dans l’épisode 3, un voyage à Washington prévu de longue date leur ouvre les yeux sur l’antisémitisme de plus en plus décomplexé de leurs concitoyen·ne·s, mais aussi… de la police. Herman est furieux, tandis que Bess comprend vite qu’ils ne peuvent plus compter sur ces garants de l’ordre social et de la justice, censés protéger tout citoyen·ne. Les voilà chassés d’un hôtel, puis agressés par un client antisémite dans une pâtisserie.
Pendant ce temps-là, l’administration Lindbergh – soutenue par son allié, le rabbin Bengelsdorf – met en place “Just Folks”, un programme d’assimilation des juif·ve·s (comme s’ils et elles n’étaient pas assez américain·e·s), qui propose aux enfants de partir l’été dans les campagnes, pour découvrir les fermes et les “vraies familles américaines”. Quelques mois après son intronisation, le nouveau président signe également un pacte de non-agression avec Hitler. La mini-série excelle ainsi à retracer les alertes de plus en plus visibles, qui vont mener à une politique fasciste et antisémite.
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Classique dans sa forme, The Plot Against America brille par son écriture précise. David Simon n’a pas son pareil pour tricoter des scènes qui vont mettre à jour les imbrications entre antisémitisme, xénophobie et lutte des classes. Par exemple, une partie de la communauté juive suit la ligne du rabbin Bengelsdorf, qui distingue le peuple juif européen du peuple juif américain, comme si ce dernier pouvait être protégé de l’horreur, parce qu’il serait quelque part meilleur et élu. Un schéma de pensée extrêmement dangereux.
Tous les rouages sont mis à nu, au fil des épisodes : la technique du “diviser pour mieux régner”, la stigmatisation progressive de toute une population par palier, le manque de solidarité, la peur, l’impuissance, une politique isolationniste… Des pratiques utilisées de nos jours par un certain Donald Trump. Au-delà de l’antisémitisme, The Plot Against America nous invite évidemment à regarder dans le rétro pour éviter de commettre les mêmes erreurs.
Si on ne peut s’empêcher de noter qu’une fois de plus, cette histoire est racontée d’une perspective masculine – les personnages féminins, au demeurant plutôt bien écrits, restent en périphérie et semblent beaucoup plus “fragiles” et influençables que les hommes – la démonstration de David Simon reste magistrale et dramatiquement pertinente, autant pour l’Amérique que du côté de l’Europe, qui fait face à une nouvelle montée des extrêmes et de la xénophobie.
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The Plot Against America est diffusée sur HBO et sur OCS en France.