Un regard. C’est tout ce qu’il aura fallu au chasseur de primes le plus réputé de la galaxie pour tomber sous le charme d’un petit être étrange et, en apparence, insignifiant. Pourtant, Din Djarin, le héros vagabond de The Mandalorian, a été introduit dans la série comme un personnage solitaire, froid voire insensible. Mais à l’instar de millions de fans à travers le monde, il a fondu devant la mignonnerie et la fragilité de l’Enfant, peut-être le dernier survivant d’une espèce encore énigmatique. Alors, comment expliquer la figure paternelle qu’est devenu Mando au contact de Baby Yoda ?
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Les deux personnages voyagent ensemble depuis maintenant un bout de temps. L’instinct de survie de Din a contribué à la protection de l’Enfant, si bien que leur lien et la relative naïveté de son “colis” les ont conduits à un rapprochement père/fils touchant. En saison 2, Mando a d’ailleurs des interactions bien plus tendres et même paternelles avec Baby Yoda : il le porte, répond à ses besoins (alimentaires, le plus souvent), donne sa vie pour lui voire le corrige comme le ferait un parent aimant au sein d’une famille. Avant que la série n’apporte ses propres réponses, on vous propose des pistes pour mieux comprendre la relation fusionnelle qui unit le tandem le plus attachant de toute la galaxie.
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Le traumatisme de l’orphelin
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Pour mieux comprendre le sentiment de protection de Din vis-à-vis de l’Enfant, il faut d’abord revisiter son passé. Les deux personnages partagent un passif commun, même si les mystères autour de Baby Yoda ne sont pas encore résolus : ils sont orphelins. Mando l’est devenu pendant la chute de la République, alors que ses parents ont donné leur vie pour le protéger des droïdes séparatistes. Il a alors été recueilli par une troupe de Mandaloriens de la Death Watch, qui lui ont offert un cocon familial de substitution.
Dans le premier chapitre de la série, lorsque le chasseur de primes tombe sur l’Enfant, les deux protagonistes se touchent le doigt comme Adam et Dieu sur le célèbre plafond de Michel-Ange. Pour Din, c’est aussi et surtout une réminiscence de la main tendue par un Mandalorien après le massacre d’Aq Vetina, flash-back présent dans le chapitre 8. Pour lui, ce souvenir représente une lueur d’espoir dans un passage de sa vie traumatisant, et donc une occasion de rendre la pareille à ce petit être fragile et abandonné. Il le voit peut-être même comme un acte de rédemption, incapable de sauver ses parents du sacrifice ultime.
Par la suite, Din a été accepté chez les Mandaloriens comme leur propre progéniture. Ce peuple lui a fait don d’une éducation certes violente, destinée à le transformer en guerrier sans peur, mais en lui enseignant des principes et une culture (la fameuse voie du Mandalore). Ce sont des interactions bel et bien présentes entre le chasseur de primes et l’Enfant, puisqu’au-delà d’assurer sa protection, Din a tendance à l’éduquer, prendre soin de lui et même lui faire des remontrances lorsque son appétit de glouton prend le dessus. En soi, c’est bien un rôle de père qu’occupe Mando pour Baby Yoda.
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La paternité, une fonction primordiale chez les Mandaloriens
Dans l’univers canon de Star Wars, les Mandaloriens sont considérés comme un peuple belliqueux voire hostile pour le reste de la galaxie. Introduits officiellement dans la saison 2 de The Clone Wars, ils furent longtemps représentés comme les ennemis des Jedi et donc du bien dans le manichéisme si cher à la saga. Pourtant, dans la collection Légendes, à comprendre l’univers étendu de la saga mais invalidé par Lucasfilm et Disney car considéré comme non-canon, les Mandaloriens apparaissent comme une communauté bien plus sensible, juste voire progressiste (le mariage homosexuel y est notamment légal). Et cette forme d’humanité se retrouve principalement à travers la gestion de la famille, en particulier dans le rôle du père.
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En effet, dans la culture mandalorienne de Star Wars Légendes, la paternité est une qualité primordiale, prise très au sérieux. Ainsi, c’est bien le père, et non la mère, qui doit tenir le rôle d’éducateur au cours de l’enfance. Les parents qui n’arrivent pas à avoir d’enfants sont d’ailleurs encouragés à adopter des orphelins, une idée reprise dans The Mandalorian à travers le passif de Din. Dans certains comics et romans de l’univers étendu, un père sans enfant renvoie pour les Mandaloriens à un sentiment de honte, au même titre que la lâcheté et la trahison. Din pourrait très bien avoir hérité de cette vision quasi viscérale de la paternité, un sentiment qu’il n’avait pu exprimer à travers sa solitude avant sa rencontre avec l’Enfant.
Évidemment, tout ceci est à prendre avec des pincettes, cette philosophie familiale étant toujours considérée comme non-canon par Disney et Lucasfilm. Toutefois, les créateurs de Star Wars, dont Jon Favreau, ont tendance à emprunter de plus en plus à l’univers étendu de la saga. C’est le cas de The Clone Wars, une œuvre certes canon mais pas forcément connue du grand public, qui prend une importance capitale pour mieux saisir les enjeux de la saison 2 de The Mandalorian et donc de l’univers live action de Star Wars. Nul doute que, dans le futur, la mythologie mandalorienne profitera grandement de l’imagination prolifique des auteurs de la collection Légendes.
Œdipe, le meilleur ami de Star Wars
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La figure paternelle a toujours été une thématique centrale dans l’univers de Star Wars. Elle participe même au manichéisme, quintessence de la saga, à savoir la lutte du bien contre le mal. Prenons comme exemple Luke Skywalker, un enfant qui a grandi sans son père biologique mais s’en est créé un spirituel à travers la présence de Ben Kenobi. Dans Le Retour du Jedi, il est le premier héros de la franchise à être confronté au complexe d’Œdipe et de son parricide, résumé en une citation culte dans l’histoire du cinéma : “Je suis ton père.”
Rebelote dans la prélogie, censée nous compter les origines de Dark Vador à travers le parcours d’Anakin Skywalker. Là encore, la question du père, ou plutôt son absence, est primordiale. L’équilibre de la Force au sein du Jedi est déstabilisé au cours des trois épisodes, chaque fois influencée par une figure paternelle qui échoue ou meurt avant de lui montrer la voie : Qui-Gon Jinn dans La Menace fantôme, Obi-Wan Kenobi dans L’Attaque des clones et finalement Sheev “Dark Sidious” Palpatine dans La Revanche des Sith, qui le plongera définitivement vers le côté obscur.
J. J. Abrams et Rian Johnson ont poursuivi l’exploration du mythe œdipien dans la nouvelle trilogie : d’abord avec Rey, orpheline désespérément en quête de ses origines, mais aussi et surtout avec Kylo Ren, nouvelle figure tragique et masculine copiée sur le modèle d’Anakin. Tout comme son idole casquée, l’apprenti de Luke est divisé entre deux symboles de la paternité : d’un côté celui du bien avec Han Solo, et de l’autre celui du mal avec Snoke et plus tardivement l’Empereur des Sith. Ainsi, la dualité entre lumière et ombre qui régit les lois de Star Wars semble toujours dépendre de l’absence ou de l’influence d’une figure paternelle, entraînant la naissance des plus grands héros et des plus terribles méchants de la galaxie.
Pour mieux comprendre l’omniprésence du mythe d’Œdipe dans Star Wars, il faut évidemment se tourner vers son créateur, George Lucas. Au cours de sa longue carrière, l’architecte du space opera est souvent revenu sur ses inspirations, citant à qui veut l’entendre Flash Gordon et le mythologue Joseph Campbell, quasi-fondateur de la pop culture moderne. En revanche, il a toujours été très silencieux sur les raisons intimes qui l’ont poussé à explorer la paternité dans sa saga, excepté en 2008, lors d’une interview avec USA Today :
“C’est comme ça que Steven [Spielberg] et moi voyons les choses. La plupart de nos films parlent des relations entre père et fils. Que ce soit Dark Vador ou E.T., c’est impossible de regarder nos films sans le voir. Nous n’avons pas spécialement eu une enfance dingue ou autre, mais nous avons tous les deux grandi dans un environnement modeste. Ses parents étaient divorcés, ce qui l’a manifestement affecté. Ma mère était très malade, ce qui m’a influencé sur ma vision des choses.
J’ai étudié l’anthropologie et je suis particulièrement intéressé par les anciennes formes de narration. La plupart parlent des relations personnelles, des parents ou des dieux, qui sont d’une certaine manière des super-parents.”
George Lucas a passé son enfance dans un ranch de Modesto, une petite ville historiquement agricole de la Californie. Adolescent, il était fasciné par les courses de dragsters. En vérité, il se rêvait même de devenir pilote professionnel après ses études. Malheureusement (ou heureusement pour la franchise la plus populaire de l’histoire du septième art), à l’été 1962, George Lucas percute un arbre à bord de son Autobianchi Bianchina à quelques jours de sa remise de diplôme. Traumatisé par l’accident après des hémorragies internes graves et un séjour en urgence à l’hôpital, il abandonnera sa vocation de sportif pour se consacrer à sa deuxième passion : le cinéma et plus précisément la science-fiction.
C’est là que l’histoire devient réellement intéressante pour mieux comprendre les enjeux de Star Wars. Prêt à rebondir après son échec avec les dragsters, George Lucas décide de s’inscrire dans une école de cinéma. Mais son père, George Walton Lucas Sr., propriétaire d’une papeterie locale, s’y oppose formellement et souhaite que son fils reprenne son business à sa majorité. Un conflit éclate alors entre eux et, à ses 18 ans, George Lucas Jr. claque la porte, s’envole pour une école d’art et affirme à son père qu’il sera millionnaire à ses trente ans. S’il pourrait aujourd’hui rire au nez de son père, le cinéaste ayant vendu Lucasfilm à Disney en 2012 pour la modique somme de 4 milliards de dollars, il préfère rendre hommage à la méfiance de son paternel vis-à-vis d’un business du divertissement où tout était à faire :
“Il voulait que je reprenne son magasin. Mais je lui ai dit que c’était hors de question, que je n’irai jamais travailler pour faire la même chose tous les jours. […] Faire des films n’était pas quelque chose de respectable pour lui. Il pensait que j’allais échouer, ce qui était compréhensible voire raisonnable à l’époque. Moi-même je n’aurais jamais accepté que mes enfants bossent dans le cinéma !”
Comme dans Star Wars, l’histoire entre George et son père, disparu en 1991, finit bien. Les deux s’étaient finalement réconciliés. Mais le créateur du space opera avait tout de même rejeté sa figure paternelle et son héritage à ses 18 ans. Métaphoriquement, l’épisode qui représente le plus ce moment de sa vie est donc La Revanche des Sith : alors qu’Obi-Wan fait tout son possible pour enseigner la philosophie Jedi à Anakin, ce dernier refuse de le suivre et entend créer sa propre voie, quitte à trahir les leçons de maître Yoda et ses pairs. En réalité, c’est donc George Lucas Jr. en train d’expliquer à George Lucas Sr. qu’il a décidé de ne pas reprendre la papeterie mais de tracer sa propre route dans une galaxie lointaine, très lointaine.
Pour conclure, revenons-en à The Mandalorian, afin d’un peu mieux saisir la fascination des fans pour la série et le lien puissant entre Din et l’Enfant. Deux orphelins sont finalement parvenus à briser le cercle vicieux de la paternité dans Star Wars. Comprenez par là que contrairement à Anakin, Luke et Kylo, Baby Yoda n’a pas eu à choisir entre un “bon” et un “mauvais” père : Mando incarne les deux figures, à la fois par son passif d’orphelin, sauvé de la misère, et son statut de chasseur de primes, craint dans la galaxie. Le modèle dysfonctionnel de la famille, qui obligeait les fils à choisir entre deux pères et donc deux visions opposées de la vie, n’est plus. Ou comme pourrait l’exprimer un sage Jedi : l’équilibre de la Force a été restauré.