Car quoi de plus pratique, dans le cadre d’une énigme médicale ou policière, que d’avoir un personnage avec une mémoire extraordinaire ou un sens logique très développé au service du bien commun ? Quelle plus belle occasion pour les réalisateurs d’aborder les notions de famille, d’amour ou de réussite personnelle qu’un personnage handicapé socialement ? Et puis quoi de plus noble que la volonté d’en profiter pour “changer le regard” des personnes neurotypiques (qui ne sont pas autistes) sur eux ?
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Si toutes ces séries ont en effet (enfin) pu dépasser la caricature du petit garçon blanc mutique passionné par les trains pour proposer des représentations de l’autisme plus diversifiées, elles ont encore du chemin à faire, selon des sérivores directement concerné·e·s.
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Besoin de précision
L’autisme est un trouble neuro-développemental, autrement dit un mode de fonctionnement – et non une maladie – différent de celui des neurotypiques, qui est présent dès la naissance. Une explication qui, si elle s’avère nécessaire à l’écran, tient en quelques phrases de dialogue et reste délivrée correctement dans les séries récentes centrées explicitement sur l’autisme.
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Les choses se corsent ensuite pour les scénaristes : il s’agirait de préciser que certaines personnes autistes ont plus de difficultés sensorielles que d’autres, ne parlent pas toutes comme des robots, ne récitent pas uniquement par cœur des définitions de manuels ou de dictionnaires en cas d’infodump (raconter une masse d’informations sur un sujet en quelques minutes), ne se tapent pas forcément la tête contre un mur en cas d’excès de stimulus extérieurs ou d’anxiété.
Ces stéréotypes sont pourtant monnaie courante, de l’épisode d’Adrien dans L’Instit’ (2004) à The Good Doctor (2017) et reprennent les difficultés les plus recherchées lors d’un diagnostic par les professionnels de santé, soit les problèmes de communication, de gestion de l’imprévu et les comportements répétitifs. Flore a remarqué cette vision médicale :
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“Quand les personnages sont officiellement diagnostiqués comme autistes, ils sont très vite pathologisés, comme si la série se concentrait uniquement sur les symptômes de l’autisme et donnait une vision extérieure du personnage, privé de personnalité propre.
J’ai regardé cinq minutes de ‘The Good Doctor’ et j’ai eu l’impression que les scénaristes avaient pris comme modèle un garçon de 12 ans, qui pas du tout l’air de quelqu’un qui a pu faire médecine, qui agit ou stimme [faire un mouvement ou une action répétitive, ndlr] sans que les personnages et donc les spectateurs ne comprennent pourquoi…
Alors qu’un adulte autiste a eu le temps d’apprendre comment les autres fonctionnaient et à scripter [préparer des scénarios et des réponses adaptées à une situation donnée, ndlr]. Il nous faudrait vraiment une meilleure représentation, avec de la diversité, et surtout des acteurs et des actrices autistes.”
Représenter le spectre
Max, de son côté, a un avis mitigé sur Atypical (diffusée sur Netflix depuis 2017), dans laquelle on suit les premiers déboires amoureux de Sam, un ado autiste : “J’ai trouvé ça très bien que l’un des intérêts spécifiques de Sam soit l’Antarctique, ça change. Mais les stéréotypes sont tout de même présents et on a encore un garçon blanc hétérosexuel comme incarnation d’un autiste.”
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Les femmes autistes sont en effet encore sous-diagnostiquées, et donc peu représentées à l’écran, tandis que les personnes autistes LGBTQ+ et/ou de couleur sont les grandes oubliées du paysage audiovisuel.
Un effort de diversité dans les particularités et difficultés au quotidien des personnes autistes a été toutefois entamé par la série israélienne On the Spectrum (2018) par exemple, qui met en scène une femme et trois hommes autistes colocataires, aux ambitions et aux expériences très différentes.
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De leur côté, les producteurs de séries et les acteurs mentionnent régulièrement avoir demandé conseil à des autistes ou à des associations pour créer leurs personnages : c’est le cas de Sara Mortensen, qui interprète Astrid dans la série policière Astrid et Raphaëlle (sur France 2 depuis avril 2019), ainsi que de son producteur Jean-Luc Azoulay.
Citée par l’actrice, l’association Vaincre l’autisme apparaît dans les remerciements du générique de fin, même si elle est loin d’être plébiscitée par toutes les personnes autistes, spectatrices de la série ou non. Une représentation exhaustive ne serait cependant pas possible, vient nuancer Marin :
“Je retrouve dans des personnages autistes le fait de toujours reprendre les gens quand ils commettent une erreur sans aucun filtre, l’attrait pour les sujets très spécialisés, les TOC, la colère contre les injustices… Cela reste très caricatural, et lors de mon coming out Asperger auprès de ma famille ou de mes amis, les gens n’ont que ces clichés en tête. Cependant, chaque autiste est différent. Je peux soutenir le regard, serrer des mains : des connaissances ne le peuvent pas.”
Génies asociaux
Un autre stéréotype colle encore à la peau des personnages autistes : celui de l’asocial imbuvable au QI exceptionnel, alors que l’autisme n’est pas forcément corrélé à un haut quotient intellectuel. Si la présence du Sherlock Holmes incarné par Benedict Cumberbatch (dans Sherlock à partir de 2010 pour la BBC) sur le spectre de l’autisme n’est pas soulignée à chaque épisode, elle est tout de même fortement suggérée.
Il en est tout autrement des personnages principaux de Scorpion (disponible sur Netflix à partir de la saison 2), tous qualifiés de surdoués, ou de Dr House (achevé en 2012), directement désigné comme non-autiste par son ami cancérologue Wilson. Des personnages “codés autistes mais pas diagnostiqués”, que préfère Flore :
“House, c’était le premier personnage auquel je me suis réellement identifiée étant ado. Et c’est dur de réaliser à quel point il est abusif sous prétexte d’être atypique, mais aussi abusé, maltraité par son équipe pour cette raison et à cause de son handicap à la jambe. Cette représentation a eu un impact concret sur moi, car je dois maintenant déconstruire le validisme que j’ai intériorisé en me construisant sur le modèle de House.”
Pour Marin, c’est à l’inverse les capacités intellectuelles des personnages qui lui sautent aux yeux : “Dans Scorpion ou Esprits criminels, ils sont plus ‘haut potentiel intellectuel’ (HPI) qu’autistes, malgré des points communs comme la maladresse dans les rapports sociaux, une certaine solitude, des intérêts spécifiques et un franc-parler sans filtre, peut-être de la naïveté aussi.”
Là encore, la notion de haut potentiel intellectuel, ou douance, ne fait pas non plus consensus chez toutes les personnes autistes, ni chez les psychiatres et les psychologues. Dans les séries, préférer le mot surdouance à autisme ou HPI permet toutefois de décentrer l’attention du spectateur des comportements des personnages pour mieux s’intéresser au scénario et à l’action. Dans Scorpion par exemple, sur le suspens autour de la résolution d’un problème vital.
Et c’est peut-être là que se situe tout le défi des producteurs des prochaines séries : réussir à introduire un personnage autiste lambda, de la même façon qu’un personnage blond ou gaucher, sans en faire tout un plat.