Entre la boue, le sang et les scènes d’inceste, la première saison de Taboo a marqué les esprits. Retour sur une saison captivante mais un peu longue à démarrer. Attention, spoilers.
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Déjà sur le papier, Taboo avait tout pour être excellente. Pour son équipe de scénaristes (Steven Knight, le créateur de Peaky Blinders, Tom Hardy et son père Chips), son acteur principal et le reste du casting, composé entre autres de deux anciens de Game of Thrones, à savoir Jonathan Pryce et Oona Chaplin.
Dès le premier épisode, Taboo dévoilait un Tom Hardy ultracharismatique et une photographie à tomber par terre. Le tout dans un Londres hostile et poisseux qui nous transportait dans l’ère colonialiste du début du XIXe siècle et ses déboires économiques. Malheureusement, c’est aussi à cette occasion que la série a atteint ses limites.
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Si vous êtes passé à côté de Taboo, le show narre l’histoire de James Keziah Delaney, un homme en quête de revanche qui retourne à Londres après avoir passé plusieurs années en Afrique à faire la guerre. Son père décédé, il hérite de tous ses biens y compris d’un petit bout de terre situé à la frontière des États-Unis et du Canada, appelée la baie de Nootka (Nootka Sound en VO).
Bien décidé à la préserver vu l’intérêt commercial et stratégique qu’elle représente, James va devoir affronter la Compagnie britannique des Indes orientales, une société richissime possédant des pouvoirs militaires et administratifs importants, ainsi que les forces du roi, deux entités prêtes à tout pour s’emparer de la baie de Nootka.
Voodoo child
La première impression qui frappe à la vue de Taboo, c’est la noirceur qui en émane. Des lieux reculés de Londres où a été filmée la série à la sublime photographie inspirée des romans de Charles Dickens en passant par les thématiques du show, tout est fait pour assombrir la série. Comme l’indique son nom, tous les tabous sont exploités au cours des huit épisodes de la première saison. Les scénaristes passent en revue des sujets aussi peu reluisants que le meurtre, l’inceste, la manipulation ou encore le vaudou. De plus, l’intrigue de Taboo est exigeante et demande une certaine connaissance des mœurs et des enjeux de l’époque pour en comprendre pleinement le contexte.
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Vous l’aurez compris, la saison 1 de Taboo se prend très au sérieux, parfois trop. Si les personnages baignent dans la boue et la crasse à longueur de temps, aucun n’est là pour faire de l’humour. Ce trop-plein de réserve allonge certaines scènes, génère une sensation d’ennui et de longueurs par moment chez le spectateur. Toutefois, ces séquences fastidieuses sont bien rattrapées par des explosions de violence et d’excitations souvent inattendues.
Contrairement au season premiere controversé de The Walking Dead en rapport avec l’ultraviolence dont fait preuve le personnage de Negan, les scénaristes de Taboo jouent habilement avec les scènes d’hémoglobine. Si, comme dans l’épisode 2, James arrache avec ses dents la moitié du cou d’un assassin, la violence est exposée de manière plus subtile par moments. Par les gestes sauvages de James, ses grognements rauques, sa lame africaine et son visage éclaboussés de sang, et ce sans nous montrer qu’il est littéralement en train d’éviscérer un de ses assaillants, Taboo révèle toute l’ambiguïté de son anti-héros. Ce n’est pas un homme en quête de rédemption, mais un démon assoiffé de vengeance. Tom Hardy a beau posséder le charisme d’un ange, son personnage reflète le visage du diable.
La série a également su nous surprendre avec le background de James. On pensait finalement assister, ne serait-ce que pendant un épisode, à la révélation du passé atroce et sanguinaire de Delaney. Finalement, nous n’aurons droit qu’à des pièces du puzzle, allant de flashbacks sur un bateau transportant des esclaves, à une étrange sorcière vaudou comme tout droit sortie de l’imagination de Ryan Murphy. C’est avec ces petits moments d’égarement que Taboo, à défaut d’utiliser l’humour, flirte avec le fantastique pour nous envoûter dans le destin hors du commun de son anti-héros.
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Le mal de mer du Tom Hardy show
La présence de Tom Hardy est à la fois la plus grande force et la plus grande faiblesse de Taboo. Dans ce rôle d’homme fort, orgueilleux, primitif, l’acteur anglais brille. Il faut dire qu’entre The Revenant et le terrible Bane de The Dark Knight, c’est une partition qu’il maîtrise et pour laquelle il est apprécié du grand public. Il a beau tenir le rôle principal, ses dialogues sont la plupart du temps courts, murmurés, bougons, employant ce que les Américains appellent la technique du “mumble acting”. Un style qui plaît ou pas à l’oreille des spectateurs mais il est vite fatiguant de monter le volume pour l’entendre soupirer à longueur de temps “I have a use for you”.
Le jeu de Tom Hardy est très physique, c’est pourquoi il transcende véritablement les scènes d’action ou les entrées en scène dramatiques. Mais le problème majeur reste que sa présence éclipse les autres comédiens, pourtant excellents pour la plupart. La présence de Tom Hardy agit comme la houle d’une mer déchaînée sur un bateau de fortune. Lui est le mât principal et le navire tangue un coup à gauche puis un coup à droite, signifiant l’intérêt du spectateur pour les personnages secondaires qui en reviennent toujours au solide artimon.
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Le galion ne coule pas complètement car la présence imposante de Tom Hardy continue de fasciner et d’intriguer. C’est injuste car Jonathan Pryce est aussi pernicieux en président de la Compagnie britannique des Indes orientales qu’en Grand Moineau de Game of Thrones. Et Michael Kelly, aka Doug Stamper dans House of Cards, aurait mérité mieux qu’une apparition de quelques minutes dans chaque épisode, rien que pour son jeu cynique. Quant à David Hayman, qui incarne le majordome miteux Brace, d’une touchante sincérité, il est le seul personnage montrant un peu de cœur et de compassion dans ce monde violent et trop masculin.
Si la série respecte fidèlement l’époque dans laquelle elle se déroule, les scénaristes auraient tout de même pu creuser davantage ses personnages féminins. Ce n’est pas qu’ils traitent mal les femmes de la série, à l’instar James, mais qu’ils les survolent. Au final, elles sont surtout là pour servir la nature bestiale de Delaney, comme dans les scènes de sexe rêvées par Zilpha (Oona Chaplin). On tenait également un personnage badass avec Lorna Bow (Jessie Buckley), l’ex-femme du père de James. Malheureusement, à la fin de la série, elle devient juste un autre guerrier à la solde de Delaney. Pire, Taboo fait table rase sur une grande partie de ses personnages secondaires dans l’épisode 8, les tuant un par un.
La séquence est forte, avec cette fusillade filmée minutieusement et d’une manière incroyablement fluide. Elle sert également de twist majeur, nous faisant comprendre que Delaney avait dix coups d’avance sur le roi et la Compagnie britannique des Indes orientales.
En revanche, elle dessert l’intrigue principale. Tout comme dans la première saison de Preacher, on a l’impression d’assister à un préquel de Taboo avec ces huit épisodes annoncés comme une mini-série. Le procédé scénaristique est intéressant et permet d’introduire avec profondeur James Keziah Delaney. Mais au final, ça ne justifie pas les nombreuses longueurs et la série risque de tourner en boucle dans une très probable saison 2, puisque tous les petits pions de l’antihéros ont été sacrifiés et qu’il en faudra bien de nouveaux pour accomplir ses sales besognes à venir en Amérique.
Avec son contexte historique fascinant, son esthétique magnifiquement sombre et l’interprétation de son acteur principal, Taboo est une œuvre magistrale, qui redonne foi dans les créations originales du petit écran. Mais contrairement à sa principale concurrente Peaky Blinders, elle n’a pas une galerie de personnages assez étoffée et attrayante pour sublimer pleinement son sujet. Cela dit, regarder cette poignante série seulement pour le plaisir de voir Tom Hardy coller des beignes et murmurer des mots doux à ses partenaires, ça n’aura jamais rien de “taboo”.
En France, la saison 1 de Taboo reste inédite.