En mars dernier, la sitcom des années 1980 Roseanne faisait un retour fracassant sur ABC. Plus qu’une madeleine de Proust pour beaucoup de téléspectateur·rice·s, la série était la voix de l’Amérique qui a voté pour Donald Trump. Des électeur·rice·s qui ne se voyaient pas représenté·e·s dans la petite lucarne, plus encline à véhiculer des valeurs progressistes et libérales (au sens anglo-saxon du terme). En bref, ils se reconnaissaient dans ces personnages.
Publicité
Car Roseanne, depuis sa création en 1988, était le symbole d’une classe ouvrière, blanche, méprisée par les institutions, qui a du mal à joindre les deux bouts et qui vote à droite. Quand Donald Trump, lors de sa campagne présidentielle, a promis de “vider le marécage” (“drain the swamp” était l’un de ses slogans phares), une épuration des élites de Washington en somme, c’est tout un pan de la population qui a mordu à l’hameçon.
Publicité
Les Conner, tribu façonnée pour ressembler à la famille américaine moyenne, ont fait leur retour avec un timing parfait. Il a été décidé, de façon très opportune, que Roseanne avait voté pour Trump. Et le succès a été immédiatement au rendez-vous. Chaque semaine, ce sont plus de 18 millions de fans qui se rassemblaient devant le petit écran pour partager les galères et les moments de joie de ces personnages qui leur ressemblent tant.
On a alors commencé à disséquer le phénomène Roseanne. Sa star, Roseanne Barr, se posait alors comme un pont entre les deux camps d’une Amérique divisée. Ouvrir le dialogue, et donner une voix à celles et ceux que l’on entendrait jamais, dans un pays qui se radicalise, l’intention est louable. Mais rapidement, la série a mis de l’huile sur le feu plutôt que de l’apaiser. Les opinions politiques de la sitcom, encensée par Fox News (le bastion médiatique de la droite dure américaine) et par Trump en personne, commençaient à refléter les vues problématiques de sa star.
Publicité
Et c’est finalement dans les coulisses que le destin de Roseanne s’est joué. Ce mardi, on apprenait l’annulation surprise de la sitcom. En cause, un tweet raciste (effacé depuis) de l’actrice principale et cocréatrice, Roseanne Barr, au sujet de Valerie Jarrett, une femme afro-américaine, ancienne conseillère de Barack Obama :
“Les Frères musulmans + La Planète des singes ont un bébé = vj”
Un tweet qui fait tache dans la nouvelle politique éditoriale d’ABC, tournée vers la diversité aussi bien à l’écran qu’en coulisses. En février 2016, la chaîne faisait de Channing Dungey la première femme noire à devenir présidente d’un grand network. C’est elle, aux côtés d’exécutifs de Disney et d’ABC, qui a pris la décision d’annuler Roseanne, quelques heures après le tweet incriminant.
Publicité
“La déclaration de Roseanne sur Twitter est abjecte, répugnante et contraire à nos valeurs”, a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Depuis, Roseanne Barr a effacé son tweet, annoncé qu’elle quittait le réseau social et a exprimé des remords… Mais le mal est fait, et le groupe qui a propulsé Shonda Rhimes au rang de super productrice, et a permis au film Black Panther d’atteindre les sommets, s’est totalement désolidarisé de l’actrice.
I apologize to Valerie Jarrett and to all Americans. I am truly sorry for making a bad joke about her politics and her looks. I should have known better. Forgive me-my joke was in bad taste.
— Roseanne Barr (@therealroseanne) 29 mai 2018
Publicité
“Je m’excuse auprès de Valerie Jarrett et de tous les Américains. Je suis sincèrement désolée d’avoir fait une mauvaise blague au sujet de sa politique et de son apparence. J’aurais dû réfléchir. Pardonnez-moi. Cette blague était de mauvais goût.”
Lâchée par la productrice consultante de la série, Wanda Sykes, une actrice noire notamment vue dans Black-ish sur ABC, puis par Sarah Gilbert, qui interprète sa fille à l’écran, Roseanne Barr a même été répudiée dans la foulée par l’agence qui la représente, ICM. Le retour de la sitcom culte des années 1980 avait commencé comme un conte de fées pour la chaîne. Le choix de l’annuler suite au tweet de sa star est une décision sans précédent dans l’industrie télé américaine. La série venait d’être renouvelée pour une saison 2, et les équipes s’apprêtaient à reprendre le chemin de la salle d’écriture.