Pour sa nouvelle série, le scénariste britannique Julian Fellowes quitte les vertes contrées du Yorkshire pour poser son histoire dans les beaux quartiers du New York frémissant des années 1800. La comparaison avec Downton Abbey, la série qui l’a fait connaître des sériephiles, est inévitable et elle est surtout justifiée. Car même si l’on change de décor et d’époque, l’écriture de Fellowes nous est familière. On entre donc dans The Gilded Age sans appréhension et avec l’assurance d’y trouver une élégante fresque en costumes au cœur de l’aristocratie.
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L’idée de faire un prequel à Downton Abbey lui trottait en fait dans la tête depuis 2012 mais, à l’époque, le projet devait se concentrer sur la romance naissante entre Robert et Cora Crawley. Après quelques atermoiements, Julian Fellowes n’a vraiment commencé son travail de recherches, qu’on imagine titanesque, qu’à l’été 2016. Deux ans plus tard, il est annoncé que la série sera diffusée sur NBC, mais c’est finalement sur HBO qu’elle atterrit après un interminable développement. Pour le scénariste, ce projet de longue haleine est “l’accomplissement d’un rêve”.
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Finalement, il laisse la famille Crawley en Angleterre. Cette histoire, qui se déroule une bonne trentaine d’années avant leur ère, prend place en 1882. Une époque où New York voit débarquer des nouveaux riches ayant fait fortune dans le chemin de fer, à l’instar des Russell, dont l’emménagement dans un somptueux palace fait jaser l’ancien monde et les vieux et vieilles aristos du quartier. Ada Brook (Cynthia Nixon) et sa sœur Agnes van Rhijn (Christine Baranski), qui guettent leurs moindres gestes depuis leur fenêtre, voient également leur quotidien chahuté par l’arrivée de leur nièce, Marian (Louisa Jacobson), qui se retrouve sans le sou après le décès de son père. Durant son trajet depuis sa Pennsylvanie natale, elle fait la connaissance de Peggy Scott (Denée Benton), une aspirante romancière afro-américaine qui la dépanne pour le billet de train.
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Là où Downton Abbey disséquait les rapports verticaux entre les aristocrates et celles et ceux qui les servent au quotidien, The Gilded Age a une approche plus horizontale des relations humaines. Bien sûr, le personnel de maison a toujours sa place ici, mais il y est surtout question de l’opposition entre nouveaux riches et vieilles fortunes, de la résistance au changement quand la modernité frappe à la porte. Cet aspect-là n’était pas absent non plus de Downton Abbey, puisqu’on se souvient du chamboulement qu’avait provoqué l’arrivée du téléphone chez les plus vieux et plus vieilles habitant·e·s de la demeure. C’était le passage à une nouvelle ère, avec tout ce que ça comporte de peurs irrationnelles chez les plus anciens, et d’horizons qui s’ouvrent pour les plus jeunes.
The Gilded Age, c’est d’abord des décors et des costumes absolument somptueux, pas juste là pour faire joli : ce sont des marqueurs sociaux, qui peuvent aussi être des “statements”. Bertha Russell (Carrie Coon) affiche immédiatement sa différence, par exemple, en revêtant des robes avant-gardistes pour l’époque. Elle brise les codes, et se fait donc remarquer, ce qui ne plaît pas à tout le monde. En face de chez elle, les sœurs Agnes et Ada, dont l’une est veuve et l’autre est considérée comme une “vieille fille”, refusent toute extravagance et se conforment à des tenues plutôt conservatrices. Le palais des Russell, qui pourrait héberger toute la bonne société new-yorkaise sans jamais qu’elle ne s’y sente à l’étroit, est une véritable démonstration d’opulence, et donc de pouvoir. Mais quel intérêt d’avoir un tel écrin si personne ne souhaite franchir le palier ? Car c’est bien là le problème de Bertha : elle rêve désespérément de s’intégrer, mais sa tentative aux forceps d’introduction dans ce monde lui a laissé un goût amer.
Dans The Gilded Age comme dans Downton Abbey, la dramaturgie est plus subtile que ne le préconisent les codes traditionnels du soap. Ici, on ne s’insulte pas frontalement, on ne s’arrache pas les cheveux, non ! On s’ignore poliment ou on conspire pour qu’un brunch tourne au fiasco. Des stratagèmes qui peuvent s’avérer bien plus cruels qu’on ne le pense. Le cast de la série, Carrie Coon en tête, prend visiblement beaucoup de plaisir à jouer à ces petits jeux, et nous à les regarder.
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Problèmes de riches
Si The Gilded Age séduit aisément avec tout cet apparat, il lui manque encore quelque chose pour aller au-delà de la belle reconstitution d’époque. Une pointe d’humour, peut-être ? Parce que, comme l’a compris une série comme Succession, où la dramaturgie est poussée dans ses retranchements, du drame naît la comédie… et inversement. Les deux se nourrissent mutuellement et envoient aux téléspectateur·rice·s le signal que tous ces problèmes de riches restent, après tout… des problèmes de riches. The Gilded Age bénéficierait de se prendre un peu moins au sérieux.
Elle manque également le coche du côté de ses protagonistes, en choisissant Marian comme fil d’Ariane. C’est à travers elle que l’on entre dans cet univers guindé. Pourtant, Louisa Jacobson a beau être la fille de Meryl Streep, son personnage a bien du mal à éblouir. Marian est une femme blanche, privilégiée, jolie, qui a un peu de caractère mais pas trop… bref, après ces trois premiers épisodes, elle n’a pas l’envergure qu’on espérait d’une héroïne. Celle qui en a l’étoffe, en revanche, et dont le parcours s’avère déjà bien plus intéressant, c’est Peggy. Une jeune femme noire de bonne famille qui tente de se faire une place dans un monde qui la considère comme une citoyenne de seconde classe, voire pire, voilà une trajectoire qu’on a envie de suivre.
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Les “period dramas” ont refusé tellement longtemps – et ils le font encore – d’intégrer des personnes noires dans leur narration que beaucoup de spectateur·rice·s en sont venu·e·s à penser qu’elles n’étaient tout simplement pas là à l’époque. Leur seule présence aujourd’hui dans les fictions en costumes leur apparaît alors comme choquante, comme une gifle donnée à l’Histoire. Ce qui est à peu près aussi absurde que de décréter que les personnes LGBTQ+ n’existaient pas avant le XXe siècle.
Peggy n’est pas le produit d’une soi-disant “check-list woke”. Des femmes comme elles, noires et appartenant à la petite bourgeoisie américaine, ont bien existé, et il sera intéressant de la voir naviguer dans cet univers aussi raciste que misogyne pour se faire une place comme romancière. Car contrairement à celle de Marian, cette histoire-là n’a jamais été racontée auparavant et, en tant que sériephiles, c’est avant tout cette nouveauté que l’on recherche dans les récits.
S’il y a bien une chose que Julian Fellowes maîtrise, c’est l’entrelacement des grandes intrigues avec les plus petites, de sorte que tous ses personnages soient bien servis en la matière. The Gilded Age ne fait pas exception et jongle allègrement entre le macro et le micro drama : les arches narratives de la saison se dessinent, pendant que des saynètes mineures mais tout aussi divertissantes se jouent entre les murs des différentes demeures. La série met particulièrement bien en avant le côté performatif de l’étalage des richesses, la puissance de la rumeur et le poids écrasant de la réputation.
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Parvenir à nous passionner pour le quotidien de ces crazy rich white people, c’est un exercice qui requiert une certaine finesse. Succession, encore elle, en a fait une tragicomédie shakespearienne teintée de cynisme, là où The Gilded Age préfère susciter une certaine tendresse très premier degré pour ses personnages, tout en les confrontant aux vies, nettement moins enviables, de leurs domestiques. Ce numéro d’équilibriste, on le sait, Julian Fellowes le connaît par cœur et c’est avec une élégance toute britannique qu’il nous invite à nouveau dans son univers.
La saison 1 de The Gilded Age est actuellement diffusée sur OCS.