La nouvelle vague féministe post-mouvement #MeToo a permis de conscientiser les esprits et de faire émerger un mouvement intersectionnel passionnant, qui prend en compte l’accumulation des discriminations de genre, de race, de classe. Elle s’est traduite dans les séries par la création d’œuvres qui mettent sur le devant de la scène celles et ceux dont les histoires n’avaient pas droit de citer, ou si rarement. La mini-série Self Made Madam C. J. Walker s’inscrit dans cette mouvance, en romançant l’histoire vraie d’une femme afro-américaine entrepreneuse, au début du XXe siècle.
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Il fallait bien un personnage historique comme Sarah Breedlove (son nom de naissance), inscrite au Guinness World Records comme la première femme américaine à devenir une self-made millionnaire (créant sa fortune elle-même, sans héritage), pour que la fiction décide de braquer les projecteurs sur celles qui se retrouvent trop souvent invisibilisées : les femmes noires.
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Elles ont une histoire propre, qu’on ne raconte pas souvent, et encore moins de leur point de vue, hormis quelques exceptions comme La Couleur pourpre (le film de Spielberg, adapté du classique littéraire d’Alice Walker). Sur le papier donc, l’envie était grande d’ovationner avant même sa diffusion Self Made, qui se propose de faire un pont entre la période de l’esclavage, l’émancipation et l’empowerment des femmes noires. Malheureusement, une histoire géniale sur le papier ne fait pas une bonne série.
Premier enfant de la famille né après la proclamation d’émancipation de 1862, Sarah Breedlove devient orpheline de ses deux parents, anciens esclaves dans les champs de coton, alors qu’elle n’a pas 10 ans. Si dans la vie, elle a eu quatre frères et une sœur, la série n’évoque pas ces relations familiales, préférant simplifier son histoire pour se concentrer sur une trajectoire de personnage qui réussit seul face à l’adversité.
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C’est l’une des nombreuses entailles faites à la réalité historique par une fiction, qui pourtant se basait sur On Her Own Ground, une biographie signée par l’arrière arrière-petite-fille de C. J. Walker, A’Lelia Bundles et le revendiquait dès son titre, en entier Self Made : D’après la vie de Madam C. J. Walker. Et c’est le reproche principal fait à la série, par ailleurs portée par une Octavia Spencer parfaite : des faits historiques omis – elle a appris le métier de coiffeuse aux côtés de ses frères, barbiers – et d’autres largement exagérés – comme sa rivalité avec Annie Malone (Addie Monroe dans la série). L’accent est mis sur les trahisons, amicales et amoureuses.
Elle Johnson et Janine Sherman Barrois, les deux showrunneuses d’une équipe composée quasi exclusivement de femmes noires à la réalisation et à l’écriture (le projet a été apporté par Octavia Spencer, productrice exécutive aux côtés notamment de LeBron James), ont visiblement opté pour le genre du soap historique. Et elles ne lésinent pas sur la couche de sensationnalisme, voire de misérabilisme, dans le premier épisode.
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Il n’y avait pourtant pas besoin d’en rajouter tant l’histoire est puissante : cette blanchisseuse sans le sou, aux cheveux ravagés par la dureté de son travail et sa condition sociale, va apprendre le métier de vendeuse auprès d’une femme afro-américaine, Addie, puis prendre son envol pour créer elle-même sa propre ligne de cosmétiques pour les cheveux crépus des femmes noires. Faisant face à la fois au racisme des hommes blancs qui tiennent à l’époque tous les cordons de la bourse (et des grandes galeries de beauté), et au sexisme des hommes noirs qui tentent de s’élever socialement au même rang que les hommes blancs, l’entrepreneuse finira par triompher de l’adversité, et bâtir un empire cosmétique avec sa société, Madam C. J. Walker Manufacturing Company.
Les thématiques abordées dans cette mini-série étaient si prometteuses, entre l’esquisse d’une histoire capillaire des femmes noires, l’intersection des luttes (on voit notamment le difficile dialogue entre des hommes militants ou entrepreneurs noirs qui refusent de soutenir les femmes noires, ces dernières n’ayant leur place ni dans les organisations pour les droits des noirs, ni dans celles consacrées aux droits des femmes, gérées par des blanches racistes), le colorisme (dans la relation douloureuse entre Addie et Sarah, à la peau plus sombre que sa rivale) et les standards de beauté blancs, les violences domestiques ou encore la difficulté des femmes à faire œuvre de sororité entre elles.
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Mais tous ces sujets afro-féministes se retrouvent noyés par une réalisation peu inspirée, chargée (les scènes de fantasme de l’héroïne, notamment un premier épisode où elle s’imagine sur un ring de boxe face sa concurrente), une écriture qui manque globalement de finesse et ne rend pas honneur à ce personnage historique si important.
Au-delà même du choix du genre – il existe de très bons soaps –, l’écriture pèche par facilité, la cerise sur le gâteau étant cette ellipse de plusieurs années entre l’épisode 3 et 4, qui conclut la fiction. Si le format de la mini-série bouclée a particulièrement la cote en ce moment, il s’avère trop ici beaucoup trop court. On a littéralement l’impression d’avoir manqué un épisode, voire plusieurs, dans la vie de cette femme extraordinaire, qui a fait avancer la cause afro-féministe à pas de géant.
Reste la performance d’une Octavia Spencer au sommet de son art, qui réussit à trouver des aspérités à son personnage et à nous rendre cette évolution (on part d’une femme très pauvre qui gagne moins d’un dollar par jour à une cheffe d’entreprise millionnaire et sûre d’elle) crédible. Mais on garde un sentiment mitigé face à cette fiction qui veut visiblement nous apprendre plein de choses, mais en oublie au passage d’avoir aussi une ambition formelle et narrative.
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Composée de quatre épisodes, Self Made Madam C. J. Walker est disponible sur Netflix.