Si la télé française peine encore à s’aventurer sur le terrain des luttes LGBTQ+, Les Engagés met, une fois de plus, les pieds dans le PAF.
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Cette année, la télévision américaine a battu des records de représentation des minorités LGBTQ+ à l’écran, malgré, ou plutôt en réaction aux assauts constants et de plus en plus décomplexés de la droite et de l’extrême droite trumpistes. De ce côté-ci de l’Atlantique, alors que pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle agression homophobe ou transphobe fasse les gros titres de la presse, nos fictions restent majoritairement du côté hétéro de la Force.
Montrer un couple d’homos ou de lesbiennes dans Scènes de ménages ? La France n’est pas prête, et puis on risquerait de tomber dans le cliché Cage aux folles. L’une des rares séries “woke” du PAF, c’est Plus belle la vie, dont l’un des personnages principaux est un homme gay, qui a évoqué la transidentité d’un autre et a ouvert la discussion sur le viol conjugal (même si elle s’est rétamée, à l’époque, en proposant un sondage en ligne du plus mauvais goût). C’est peu de dire qu’il nous reste du boulot en termes de représentativité…
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À quelques exceptions près (et souvent passées inaperçues), c’est vers la plateforme Studio 4 qu’il faut se diriger pour trouver la planche de salut du PAF avec Les Engagés, qui attaque, ce lundi 12 novembre, sa deuxième saison. Un mois s’est écoulé depuis les événements du final de la saison 1 et Hicham (Mehdi Meskar), en froid avec Thibaut (Eric Pucheu), se tient à bonne distance du Point G. Le premier est en plein éveil (de son identité, de son militantisme) quand le second sombre pour finalement tenter de se reconstruire. Leur relation, qu’elle se fissure ou se ressoude, est bien sûr au centre de l’intrigue. Autour d’eux se croisent les parcours de toute une galerie de personnages secondaires aux horizons très différents. Et Sullivan Le Postec, l’auteur de la série que nous avons pu rencontrer sur le tournage en juin dernier à Lyon, a adapté son écriture pour leur laisser la place qu’ils et elles méritaient. Un parti pris qu’il doit notamment à Damon Lindelof…
“Aussi étrange que ça paraisse, la saison 2 de The Leftovers a eu une influence sur l’écriture. Le fait que Lindelof fasse des épisodes du point de vue d’un seul personnage, je me suis dit que je pouvais m’autoriser ça.”
Car Les Engagés, ce n’est pas UNE histoire de la lutte LGBTQ+, mais DES histoires. Et cette saison 2 se veut volontairement plus inclusive. Une richesse qui, comme nous le confiait son créateur, lui tenait à cœur.
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“Je me suis servi de la saison 1 pour raconter mon histoire. Bien sûr, je mets des voiles, je triche et je me protège. Quand tu racontes une histoire intime, c’est forcément universel. Et ça a touché les gens, des gens qui ne s’étaient jamais reconnus à l’écran se sont identifiés. Mais il y a aussi eu des ‘j’ai adoré la série, mais c’est dommage moi je suis homo et noir/trans/un jeune séropo et il n’y avait pas de personnage comme moi’. J’ai été très touché par ça, je mesurais la chance que j’avais eue de raconter mon histoire.”
Cette nouvelle salve d’épisodes met ainsi un point d’honneur à parler de transidentité, de transphobie (même en milieu associatif), de la crise des réfugié·e·s LGBT (comme l’illustre Kenza, militante tunisienne et demandeuse d’asile), du VIH, du port du voile, de féminisme, de l’invisibilisation des lesbiennes… La liste est longue, le sujet tout aussi dense, et le défi d’évoquer tout ça en 10 épisodes de 10 minutes est colossal. Mais parce que Sullivan Le Postec enrobe ces problématiques dans des histoires individuelles et intimes, parce qu’il écrit d’abord pour ses personnages, on n’a jamais l’impression d’être les réceptacles d’une leçon de civisme et d’intersectionnalité.
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Enfermé·e·s dans notre bulle progressiste et bienveillante, on perd parfois de vue certaines réalités qui se sont rappelées à nous lors de notre passage sur le tournage. Les équipes de la série ont été confrontées à l’homophobie de certains riverains. Un voisin, voyant des hommes s’embrasser sous ses fenêtres pour une scène, les a d’abord insultés avant d’appeler la police. Ou encore cette fois où, alors que l’équipe bloquait la rue quelques minutes à peine pour des prises, un père et son fils sont devenus menaçants… Mais il y a aussi de belles histoires, comme celle de cet ado d’une quinzaine d’années qui s’est courageusement interposé face à ces derniers. Ce jeune garçon est désormais un membre à part entière de la team, qui l’a pris sous son aile. Tous les héros ne portent pas de cape, paraît-il…
Alors concrètement, cette saison des Engagés, qu’est-ce qu’on en pense ? Si les lignes ci-dessus ne vous ont pas déjà mis sur la voie : que du bien, évidemment. On avait déjà évoqué, en saison 1, son importance dans le paysage sériel français, mais la qualité de la série ne repose pas uniquement sur la pédagogie. Bien sûr, elle parvient à éduquer les personnes hétéros et cis, et c’est toujours ça de gagné, mais elle offre aussi des modèles à celles et ceux qui n’en voient jamais sur leurs écrans.
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“C’est quelque chose qui n’a pas toujours été compris, mais qui est très intentionnel dans ce que je fais : je voulais raconter l’histoire d’une petite asso de province remplie de blancs bourgeois, et brusquement il y a un mec qui s’appelle Hicham qui arrive. Il va faire la révolution dans cet endroit, sans jamais s’arrêter de s’ouvrir, de changer, de se transformer.”
Mais plus encore, et c’est précisément ce qu’on espère d’une bonne fiction, elle brasse des histoires universelles, intimes et des intrigues tricotées autour de personnages attachants, révoltants, souvent poignants. Cette année, il y a d’ailleurs un changement notable derrière la caméra avec l’arrivée de Slimane-Baptiste Berhoun. Ultra-soignée, la réalisation de cette saison fait oublier qu’il s’agit d’une série à petit budget. Des plans pour servir l’histoire et ses personnages, et mettre en valeur l’écriture de Sullivan Le Postec, qui elle-même joue avec les différentes temporalités ou les voix off.
Des cadrages pensés comme des tableaux qui isolent les personnages ou au contraire les rassemblent. Les séquences tournées dans le night-club ou le cabaret, où le clair-obscur se pare de couleurs néon, en sont un exemple notable. Et, de mémoire de sériephile, on ne se souvient pas avoir déjà vu un plan à trois (on n’en dira pas plus, rassurez-vous !) à la télé française aussi bien filmé. La Pride de Lyon, qui a autorisé la série à y filmer quelques séquences riches en émotions, fut elle aussi un défi. Les associations LGBT locales ont heureusement accueilli les équipes à bras ouverts.
“On tourne au centre LGBT, donc elles nous laissent emprunter leur local. On a de bonnes relations avec elles, on les a rencontrées pour participer à la Marche des fiertés, filmer à l’intérieur, monter sur leur char. Cette année on a une scène de grosse réunion associative en préparation de la Marche, du coup on a des militants avec le T-shirt de leur asso. On a demandé aux associations si elles avaient des T-shirts à nous prêter et si elles voulaient qu’ils apparaissent. Il y en a trois ou quatre qui nous en ont passé. En juin dernier, on a fait une projection de la saison 1 dans le centre LGBT ici et l’accueil a été super chaleureux.”
Côté casting, si toutes les performances ne se valent pas, Eric Pucheu et Mehdi Meskar assurent toujours et certains personnages secondaires brillent tout particulièrement, à l’instar de Denis D’Arcangelo, l’interprète de Claude. Mais celui qui a surpris tout le monde, nous y compris, après l’avoir vu dans le feu de l’action, c’est Adrián de la Vega, qui incarne Elijah, un nouveau personnage qui croise la route d’Hicham. Le jeune youtubeur, qui n’avait jamais joué avant et a été coaché durant seulement trois mois avant de prendre ce rôle à bras-le-corps, est bluffant. Le tour de force des Engagés, c’est de ne pas avoir écrit Elijah dans un but “éducatif”, une case dans laquelle beaucoup de personnages transgenres sont encore rangés. Cette mission est, indirectement, dévolue à Hicham, qui va tant apprendre à son contact.
Politique et militante, Les Engagés l’est assurément, sinon elle ne porterait pas ce nom. La série offre à chacun et chacune une voix dans un paysage télévisuel qui les met trop souvent en sourdine, comme le déplore Sullivan Le Postec, tiraillé entre sa mission de conteur d’histoires et son engagement :
“Alors oui, il y a eu Fiertés [une série d’Arte, ndlr], et j’espère que ça changera, mais je n’ai pas l’impression qu’on aura une série LGBT tous les ans en France. Alors qu’il y a tellement d’histoires qui n’ont pas été racontées. Donc c’est très frustrant parce que je ne peux pas toutes les raconter. Je dois trouver l’équilibre entre raconter le plus de choses possible, je dois faire comme si peut-être il n’y en aura plus après moi, et je dois faire une bonne fiction.”
La saison 2 de la série Les Engagés débute ce lundi 12 novembre sur Studio 4, à raison d’un épisode chaque lundi et jeudi dès 19 heures. Elle sortira en DVD le 6 décembre prochain et sera visible sur la plateforme QueerScreen. La saison 1 est disponible sur Studio 4 et le festival queer Chéries-Chéris projettera les deux saisons ce samedi.