Certain·e·s le connaissent sous les traits de Mose, le cousin amish de Dwight Schrute. Les plus sériephiles, en revanche, savent que Michael Schur a surtout écrit plusieurs épisodes de The Office, a cocréé Parks and Recreation et Brooklyn Nine-Nine, et a créé The Good Place. Et c’est justement en imaginant cette dernière qu’il s’est plongé dans les théories philosophiques de l’éthique et de la morale.
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À tel point qu’il en a fait un livre, sorti ce 27 octobre en librairie, intitulé Comment être parfait – Les réponses aux questions éthiques que vous vous posez (et aux autres). Avec beaucoup d’humour et de bienveillance, il y dissèque des questions fondamentales et terriblement ordinaires, en convoquant les plus grand·e·s philosophes : Puis-je frapper un ami sans raison ? ; J’ai foiré. Dois-je demander pardon ? ; Je viens d’agir par altruisme… mais qu’est-ce que j’y gagne ?
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À cette occasion, nous avons pu le rencontrer et le cuisiner afin de comprendre comment sa quête personnelle de devenir une meilleure personne a pu influencer son travail.
Comment la philosophie et l’éthique morale sont entrées en jeu dans la fabrication de The Good Place ?
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Michael Schur ⎥ C’est un sujet que j’appréciais et qui m’intéressait, parce que j’ai eu des moments dans ma vie où j’avais merdé mais je ne savais pas pourquoi. Donc j’ai commencé à m’informer sur l’éthique, ne serait-ce que pour pouvoir mettre des mots sur ces échecs. Et c’est vite devenu un hobby. Et quand l’heure est venue, et qu’on m’a proposé de faire une série sur le sujet que je voulais, en me garantissant qu’elle aurait au minimum une saison – ce qui est déjà un sacré privilège –, je me suis dit que c’était l’occasion d’écrire quelque chose de différent de ce que j’avais pu faire jusqu’ici. Depuis environ quinze ans, j’écrivais des “comédies de bureau”.
Et un jour, alors que j’étais coincé dans les embouteillages, un type a déboulé sur la bande d’arrêt d’urgence pour doubler tout le monde. Pour contenir ma colère, je lui ai dit mentalement : “Toi, tu viens de perdre 50 points.” Je me disais que chaque action, de notre vivant, se voyait attribuer un certain nombre de points, positifs ou négatifs, qui allaient compter dans l’au-delà. C’est là qu’est venue l’idée de faire une série sur la vie après la mort. J’ai promis à mes patrons que ce serait explicitement sur l’éthique et la morale, mais que ça ne ressemblerait pas à un cours magistral et qu’on passerait un bon moment.
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Pourquoi devrait-on aspirer à une forme de perfection morale et éthique alors que, dans The Good Place, le personnage de Doug Forcett semble tellement malheureux au quotidien ?
C’est vrai ! Clairement, aspirer à ce genre de perfection est une mauvaise idée, et personne ne devrait rechercher ça. La clé n’est pas d’atteindre ce but, mais d’être une meilleure personne, un peu plus chaque jour qui passe. Doug nous sert plus d’avertissement : si toute votre vie tourne autour de cette quête de perfection morale, vous finirez comme lui.
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Pensez-vous que le fait d’être un scénariste de comédie vous donne un avantage pour approcher ce sujet depuis un angle différent ?
Je crois que la comédie est toujours le meilleur moyen d’aborder n’importe quelle idée compliquée. Les gens seront toujours plus susceptibles de vous écouter s’ils prennent du plaisir. Personne n’a envie de recevoir de grandes leçons de vie avec un ton professoral. Donc, dans ce sens, oui, ça aide. Ce n’est pas la démonstration la plus poussée ni la plus érudite qui soit, mais je crois fermement qu’un peu de miel aide à faire passer la pilule.
Comment appliquez-vous l’éthique et la morale à votre travail, à votre écriture ?
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J’ai toujours été plus attiré par la comédie un peu bébête dans la forme mais qui a des choses à dire sur le monde, et je n’aime pas vraiment celle qui est trop mordante ou méchante. Donc je ne considère pas ça comme un choix éthique de ma part, c’est plutôt une préférence personnelle.
Je dis souvent que, selon moi, l’humour naît soit de la douleur, soit de l’ennui. Les personnes marginalisées ou sous-représentées, leur humour émane souvent des épreuves qu’elles rencontrent. L’ennui, lui, concerne des hommes blancs – pas seulement, mais souvent –, ils ont tendance à aimer des choses comme les Monty Python, la comédie absurde ou purement bête, parce que cet humour ne naît pas de la douleur, du fait d’être ignoré, réduit au silence ou marginalisé.
Donc ma comédie vient plutôt de cet ennui, ça me permet de faire travailler mon imagination, elle me servait à m’échapper de mon enfance incroyablement ordinaire et ennuyeuse.
Hannah Gadsby, qui présentait son dernier show à Paris récemment, est le parfait exemple d’un humour qui se nourrit du trauma et de la douleur.
Absolument ! La meilleure comédie vient souvent de la douleur. Aux États-Unis, chaque comédien·ne noir·e, ou juif·ve, et à peu près chaque femme humoriste, à un certain niveau, utilise cette douleur. C’est une échappatoire, c’est aussi très cathartique, et Hannah Gadsby est un magnifique exemple de cela.
Lequel des personnages que vous avez écrits a, selon vous, la vie la plus éthique ?
Il y en a quelques-uns ! On m’a déjà posé la question, et ma réponse standard est : Ron Swanson [de Parks and Recreation, ndlr].
Vraiment ?
Oui, parce qu’il a un sens tellement profond de l’honneur et de l’intégrité. Je ne suis pas en accord avec ses idées politiques, mais il vit sa vie avec une certaine droiture. Il a du respect pour les gens qui l’entourent, et s’ils ne les aiment pas, au moins, il est cordial avec eux. Il dit “please” et “thank you” quelle que soit la personne en face de lui.
Leslie Knope serait ma deuxième réponse. Même s’il lui arrive de merder quelques fois, elle a un code moral en acier, mais il peut aussi lui arriver d’être aveuglée par l’ambition. Le capitaine Holt [de Brooklyn Nine-Nine, ndlr] est aussi un personnage très éthique.
Pour revenir à The Good Place, est-ce que vous aviez une idée claire dès le départ de la façon dont elle devait se finir, ou est-ce que ça s’est précisé au fur à mesure que vous avanciez dans le récit ?
Non, ça a pris forme en cours de route. Je crois que la fin a commencé à prendre forme dans ma tête et celle des autres scénaristes vers la fin de la saison 2, quand ils retournent sur Terre. Il y a un livre de Todd May, qui s’appelle Death, qui m’a beaucoup aidé avec la série. Il pose la question : “Que se passerait-il si on était immortel ? Qu’est-ce qui compte vraiment si la mort n’existe plus ?” La mortalité, c’est ce qui donne de la valeur aux choses et aux gens. Ce qui nous a amenés à réfléchir sur l’au-delà : s’il existe un “paradis” où tout le monde est éternel, plus rien n’a de valeur ni de saveur. C’est l’enfer, quand on y pense !
Tu es immortel, tu fais toutes les choses que tu aimes, cinquante, cent fois, jusqu’à t’en dégoûter, et tu ne peux rien faire pour changer ça. On en a conclu qu’il fallait que nos personnages meurent pour de vrai, dans l’au-delà. On avait cette idée en tête depuis longtemps mais on ne savait pas comment la mettre à exécution.
Il fallait qu’ils soient envahis par ce sentiment profond d’accomplissement et qu’ils décident quand le moment était venu de partir.
Dans votre livre, justement, vous faites cette distinction entre trouver le bonheur et un sentiment d’accomplissement…
Oui, ce sont deux notions très différentes. Si vous êtes absolument et totalement accompli, dans tous les aspects de votre vie, alors il ne vous reste plus rien d’autre à faire. Le bonheur, ce sont davantage des moments que l’on attrape au vol, et ça peut s’en aller aussi vite.
Si vous aviez découvert la philosophie morale et éthique plus tôt dans votre vie, pensez-vous que vous seriez un scénariste et un showrunner différent ?
Je ne sais pas. J’ai découvert ces sujets quand j’avais la trentaine. L’avantage, c’est que j’avais déjà vécu toute une existence durant laquelle j’ai fait tout un paquet d’erreurs en tant qu’adulte. Ensuite, j’ai appris les théories de l’éthique et j’étais en mesure d’analyser ces erreurs. Si je m’y étais intéressé avant, je crois que j’aurais fait beaucoup trop attention à ne pas faire ces erreurs, et je n’aurais jamais eu la joie d’avoir ces épiphanies, de comprendre mes faux pas. Je ne changerais rien.
Bien sûr, ça m’aurait fait gagner pas mal de temps si j’avais passé un diplôme de philo à la fac, mais je suis heureux comme ça.
Le livre de Michael Schur, Comment être parfait, en librairie depuis le 27 octobre, est édité chez Philosophie magazine Éditeur.