De l’ombre à la lumière, des téléfilms à la franchise Star Wars, retour sur le parcours de Rizwan “Riz” Ahmed, révélation de la série The Night Of.
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Au XVIe siècle naquit Mulla Mahmud Jaunpuri, un philosophe et astronaute indien qui étudiait les taches de la Lune et les reflets du Soleil. Soit deux astres opposés, deux entités qui se cachent selon un cycle naturel à l’échelle humaine. Peu étonnant que quelques siècles plus tard, l’un des descendants du penseur reproduira à l’identique cette fracture dans un tout autre domaine, celui des séries et du cinéma.
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Dans ce jeu d’ombres et de lumières, Riz Ahmed excelle. Déjà, parce qu’il a le physique pour : ses innocents yeux de biche et les traits fins de son visage offrent un saisissant contraste avec ses pupilles couleur charbon. On plonge dans son regard sans jamais en ressortir vraiment indemne.
Logiquement, les rôles d’anti-héros tourmentés lui collent à la peau. Que ce soit dans The Night Of, Night Call ou le plus récent Jason Bourne, Riz Ahmed a le don pour incarner ces personnages divisés entre le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, le bien et le mal.
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De Karachi à Wembley
Riz Ahmed ne vient pas d’un monde où des budgets énormes sont alloués à des films, où l’éclairage reste constamment allumé. Non, le jeune acteur vient de Wembley, une banlieue du nord-ouest de Londres, connue pour son glorieux stade de foot et sa population diversifiée. Une société brassée par des origines ethniques variées : asiatiques, arabes ou indiennes.
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C’est de cette dernière communauté qu’est issu Riz Ahmed. En effet, outre un philosophe indien, il compte parmi ses aïeux Shah Muhammad Sulaiman, qui était un juge éminent au début du XXe siècle. Un homme passionné par les poèmes ourdous, les contes et les récitals d’origines arabiques, dont la plupart des films de Bollywood s’inspirent aujourd’hui.
De ces figures familiales, Riz Ahmed retiendra surtout un pays, une communauté, une identité : le Pakistan (indépendant depuis 1947 et la fin de l’empire colonial britannique), patrie de ses parents avant qu’ils ne décident de quitter Karachi, la capitale économique du Pakistan, pour Londres, où naîtra l’acteur, dans le quartier de Wembley. Riz Ahmed n’a pas oublié ses origines, et il a notamment embrassé la religion musulmane de ses parents.
Il sort diplômé de l’université Christ Church, située à Oxford, en philosophie, politique et économie. Une école qui a accueilli des personnalités aussi renommées que le philosophe John Locke et le romancier Lewis Carroll, et qui inspira l’architecture de la Grande Salle dans les films Harry Potter.
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Toutefois, Riz Ahmed finira sa scolarité à la Central School of Speech and Drama de Londres, l’une des écoles d’art dramatique les plus prisées de la capitale britannique. Par la suite, il enchaîne des petits rôles dans des téléfilms avant de se faire repérer dans le drama d’ABC lancé en 2005, The Path to 9/11.
Riz Ahmed s’implique ensuite sur des projets aux thématiques fortes, telles que la stigmatisation et le racisme latent à l’encontre de la religion et du pays de ses origines. Bientôt, ça ne suffit plus. Outre l’acting, le jeune homme va prendre le mic et déverser son flow acéré par le biais de son alter ego rappeur, Riz MC.
Riz MC, le rappeur engagé
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En 2006, Riz Ahmed pose sa voix et expose ses pensées au grand jour pour la première fois. Sur son titre “Post 9/11 Blues“, le emcee dénonce les abus des gouvernements à l’encontre de sa communauté après les attentats du 11-Septembre.
Le morceau jugé, politiquement incorrect, sera carrément banni des ondes radios et des chaînes de télé. Sur le ton de l’ironie, le refrain invite les gens à danser sous le bruit des bombes qui explosent. En tant que rappeur, Riz Ahmed ne cherche pas tant à créer la polémique qu’à réveiller les consciences. Un an plus tard, il enchaîne plusieurs événements musicaux anglais prestigieux comme le festival de Glastonbury, le BBC Electric Proms et le Royal Festival Hall.
Finalement, il se fait connaître du grand public durant le Meltdown Festival en 2008, où il ouvre le concert de Massive Attack, l’un des groupes les plus engagés politiquement.
“Everybody do the post 9/11 dance, look scared, shake you arse, while the bombs go blast”
Riz MC, “Post 9/11 Blues”
Même dans ses clips, Riz Ahmed joue la carte de la contradiction. Entre humour noir et défense de la cause musulmane sur le clip de “Post 9/11 Blues”, mais aussi en revenant sur les problèmes que lui posent sa double nationalité. C’est le cas dans “Englistan”, où il s’entoure du beatmaker britannique légendaire Zed Bias pour exprimer ses difficultés à définir son identité.
Dans cette chanson, le jeune homme se dit partagé entre haine et amour pour une ville où “la politesse et la violence” s’affrontent tous les jours. Dans les textes de son premier album, MICroscope, Riz MC évoque tour à tour le terrorisme, le racisme, l’immigration et tâcle l’islamophobie avec sa verve tranchante et ses lyrics satiriques.
Comme dans son jeu d’acteur, Riz Ahmed réussit avec brio à réunir les deux facettes qui l’animent. À l’image de ses rôles, complexes, qui tentent de répondre à la question de l’identité et du rapport à autrui, l’homme refuse tout manichéisme.
The Night Of ou la mise en abyme
Nasir Khan, le jeune homme au centre de l’enquête de The Night Of, n’est pas le premier rôle de Riz Ahmed mais certainement déjà le plus marquant. Naz est suspecté d’avoir brutalement assassiné une fille blanche de Manhattan. L’innocence de Naz sera rapidement mise en doute quand le spectateur suit sa descente aux enfers express à la prison de Rikers Island, qui passe par la drogue, la violence et le tatouage “Sin” (“péché”).
À travers le destin de Naz, The Night Of nous parle aussi de l’influence (néfaste) des médias sur la population, qui se résumerait alors presque en un chapô : un individu d’origine arabe a tué une blanche, donc les musulmans doivent quitter le pays car ils sont à l’origine de ces tragédies.
Riz Ahmed interprète à merveille ce garçon à l’air naïf et innocent qui se métamorphose petit à petit en véritable criminel. À nouveau, son visage angélique et ses yeux d’ébène lui permettent tantôt d’avoir l’air naïf et innocent, tantôt de composer un regard glacial, presque diabolique. Il a musclé son corps autant que son jeu pour retranscrire à l’écran la transformation morale et physique de Naz.
Cette dualité lui permet de jouer avec sincérité sur chaque trait de caractère de son personnage : le Naz candide des débuts, puis celui qui va fréquenter Freddy (Michael K. Williams) en prison. Riz Ahmed parvient à être crédible sur les deux tableaux, qu’il soit pris d’effroi à la découverte du corps inerte d’Andrea dans le pilote, ou qu’il fume du crack à sa sortie de prison.
Un sujet revient sans cesse au fil des huit épisodes de The Night Of : le terrorisme, et notamment les attentats du 11-Septembre. Dans la série de HBO, on apprend que Naz a été persécuté dans sa jeunesse par ses camarades de classe, en raison de ses origines arabes et de sa religion. Les textes de Riz Ahmed rappeur évoquent aussi ce sujet, qui était déjà le thème central de la mini-série The Path to 9/11.
Le plus fascinant avec son personnage de The Night Of, c’est qu’il pourrait raconter une période de la vie de Riz Ahmed. Tout ces événements, notamment le fait d’être malmené après le 11-Septembre, auraient pu lui arriver. Il connaît peut-être un ami qui a subi ce genre d’attaques.
Rogue One : A Riz Ahmed Story
L’hiver prochain, Riz Ahmed risque bien de voir sa cote de popularité croître de façon exponentielle. L’acteur va en effet rejoindre l’une des sagas mythiques du cinéma hollywoodien avec Rogue One : A Star Wars Story. Une chance inouïe pour le comédien de prouver sa valeur au plus grand nombre et de voir son nom s’inscrire dans la pop culture aux côtés des Harrison Ford & Co.
Le plus surprenant, c’est que même dans une production aussi mainstream que Star Wars, les chefs de casting lui ont dégoté un rôle ambigu, à cheval entre le bien et le côté obscur de la Force. En prêtant ses traits à Bodhi Rook, Riz Ahmed incarnera un pilote de l’Empire galactique, tiraillé entre la puissance des ténèbres et sa volonté de rejoindre l’Alliance Rebelle. Comme si le combat d’Anakin contre Dark Vador avait toujours sommeillé en lui.
À travers ce parcours jalonné de personnages torturés, Riz Ahmed est finalement parvenu à atteindre la visibilité qu’il mérite, et plus encore dans quelques mois, lorsque ses yeux noirs s’ouvriront à la lumière des étoiles de Hollywood, et de la constellation formée par les fans de Star Wars.